Édition du 17 juin 2025

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Entrevue sur les États généraux du syndicalisme : défis et espoirs

Nous présentons ci-dessous une entrevue avec Bertrand Guibord (président du Conseil central du Montréal Métropolitain (CCMM- CSN ) et de Marc-Édouard Joubert (président du Conseil régional de la FTQ) sur les États généraux du syndicalisme. Malgré la multiplication des luttes syndicales, ces dernières s’inscrivent dans un contexte global de régression sociale et de montée de la droite. Face à cela, les États généraux du syndicalisme vont permettre de préciser les défis devant le syndicalisme au Québec : mobilisation des membres et démocratie des organisations, unité intersyndicale, renforcement de l’unité syndicale et rôle de l’action politique des syndicats entre autres questions. Cette entrevue cherche à préciser les pistes soulevées de ces thèmes et le rôle des États généraux sont appelés à jouer pour les définir.

André Frappier : Merci d’être là, et bravo pour l’initiative des États généraux du syndicalisme. C’est une première qui répond à un besoin réel. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter brièvement ?

Bertrand Guibord  : Militant à la CSN, j’ai œuvré à l’exécutif de mon syndicat local, le syndicat des professeures et professeurs du Cégep Marie Victorin. Aujourd’hui je suis président du CCMM-CSN que je représente au Comité intersyndical du Montréal métropolitain qui organise les États généraux du syndicalisme dans la région.

Marc-Édouard Joubert : Militant syndical au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), je participe aussi au Comité intersyndical du Montréal métropolitain. Je milite pour un syndicalisme plus combatif, capable de mieux répondre aux défis actuels.

États généraux du syndicalisme : Origine et attentes

André Frappier : Pourquoi avoir lancé cette démarche des États généraux et qu’est-ce qui explique l’adhésion large aujourd’hui, incluant centrales et syndicats indépendants ?

Bertrand Guibord . En ce moment, le contexte actuel fait qu’il y a de plus en plus de conflits, mais les syndicats en sortent victorieux. On doit maintenant répondre à des crises multiples : sociales, écologiques, démocratiques. Dans ce contexte, le syndicalisme a besoin de se réinventer. Les États généraux du syndicalisme visent à créer un espace démocratique, inclusif et pluraliste où les syndiqué·e·s peuvent débattre de leur avenir et proposer des perspectives de transformation.

Marc-Édouard Joubert  : On a vu une série d’attaques néolibérales contre le mouvement syndical. Le rapport de force s’est érodé, et plusieurs membres sentent que leurs structures syndicales sont devenues distantes, bureaucratisées. Il est temps de reprendre la parole à la base et de réfléchir collectivement à un renouveau du syndicalisme.

André Frappier : Quels objectifs poursuivez-vous concrètement avec cette initiative ?

Bertrand Guibord : Nous voulons créer un processus de large consultation. On a préparé un document de discussion qui propose 7 grands thèmes. L’objectif est de permettre aux militantes et militants de s’exprimer, d’identifier les blocages actuels et de proposer des pistes d’actions concrètes. Il s’agit de renforcer la démocratie syndicale, de poser la question du rapport au politique et d’affirmer la solidarité avec les luttes sociales et environnementales.

Marc-Édouard Joubert : On cherche à remettre les syndiqué·e·s au centre des décisions. Ce processus doit aller au-delà des appareils syndicaux. Il est porté par la base. Les États généraux veulent non seulement faire un état des lieux, mais aussi dégager des perspectives, une vision commune, des moyens d’action pour relancer un syndicalisme de transformation.

André Frappier : À qui s’adresse ce processus ?

Bertrand Guibord  : À toutes les personnes syndiquées, peu importe leur centrale ou leur secteur. On veut rassembler des militantes et militants de la FTQ, de la CSN, de la CSQ, de la FIQ, de l’APTS, de la FAE mais aussi des syndicats indépendants, comme ceux de la fonction publique fédérale.

Marc-Édouard Joubert  : Il faut une participation large, transversale. Le processus est ouvert à toutes les personnes qui se reconnaissent dans le besoin de repenser notre syndicalisme. On espère que les jeunes générations, souvent moins représentées, y prendront part aussi, car ils contestent les procédures et les façons de faire. Cela pousse à une remise en question salutaire.

André Frappier : Comment se déroule concrètement le processus des États généraux ?

Bertrand Guibord  : On a tenu une première assemblée de lancement à Montréal. Plusieurs autres sont prévues dans différentes régions : Québec, Outaouais, Saguenay, etc. Des comités locaux se mettent en place. On a aussi une plateforme numérique pour permettre la participation à distance.

Marc-Édouard Joubert  : Chaque assemblée se basera sur le document de discussion (donner la référence : L’union fait l’avenir - syndicalisme.com). On veut favoriser des échanges horizontaux, sans hiérarchie, pour faire émerger des propositions. Le comité intersyndical joue un rôle d’animation, mais ce sont les discussions de terrain qui doivent nourrir les conclusions.

Objectifs des États généraux du syndicalisme face à l’offensive patronale et gouvernementale et aux difficultés de mobilisation

André Frappier : Quel lien établissez-vous entre syndicalisme et luttes sociales (écologie, féminisme, antiracisme, etc.) ?

Bertrand Guibord : Le syndicalisme ne peut plus se limiter aux enjeux salariaux. Il doit s’ouvrir aux luttes sociales, environnementales, féministes, antiracistes. L’avenir du travail est lié à celui de la planète. Il y a des ponts à construire avec les mouvements sociaux. Les États généraux doivent être un lieu pour faire émerger cette convergence.

Marc-Édouard Joubert  : Les attaques contre le droit du travail, la destruction des services publics, l’urgence climatique, la montée du racisme : tout cela est lié. Le syndicalisme doit être un acteur politique dans le sens large, enraciné dans la société. Pour ça, il faut une refondation profonde de ses pratiques et de ses priorités.

Bernard Rioux : Malgré la montée des mobilisations et des grèves depuis 2024, on observe un effritement général : augmentation des inégalités, recul des droits syndicaux, montée du racisme. Quelles formes de luttes pourraient véritablement inverser cette tendance ?

Bertrand Guibord  : Il faut nuancer. Si la situation est difficile dans le secteur public et parapublic, le privé connaît des victoires importantes. Par exemple, dans le transport scolaire, certains ont obtenu jusqu’à 75 % d’augmentation salariale sur 4-5 ans. Ce qui est frappant, c’est la similarité des demandes patronales (flexibilisation, attaques sur les retraites, les congés, etc.) malgré les secteurs, ce qui appelle des luttes unitaires. La mauvaise gestion de la main-d’œuvre renforce les contradictions : au lieu d’améliorer les conditions, on impose des horaires absurdes et des contraintes qui nuisent au recrutement et à la rétention.

Marc-Édouard Joubert : Effectivement, il y a une dégradation sociale généralisée. Les propos racistes, sexistes ou homophobes se banalisent. Face à cette dérive, le syndicalisme doit rester un lieu de dignité. Le secteur privé résiste parfois mieux, mais globalement, nous devons renforcer notre présence idéologique dans l’espace public, malgré l’hostilité ambiante. Il faut former une "gang", un collectif fort, pour affronter les vagues conservatrices.

États généraux du syndicalisme et l’unité intersyndicale

André Frappier : Dans le dernier Front commun, les divisions syndicales ont été visibles. Quelles pistes concrètes pourraient favoriser une unité intersectorielle ou intersyndicale plus forte ?

Marc-Édouard Joubert : À l’échelle régionale, nous avons développé une culture du travail intersyndical. Le Conseil central a notamment réussi à syndiquer un entrepôt Amazon, ce qui est exemplaire. Il faut se concentrer sur les objectifs communs, même si les cultures syndicales diffèrent. Les États généraux devront aborder les enjeux de maraudage, de l’« ubérisation » du travail et de la solidarité syndicale.

Bertrand Guibord : Dans notre région, le travail du Conseil Intersyndical de Montréal montre qu’on peut dépasser nos divisions. Nous nous appelons « camarades » pour souligner notre solidarité. Paradoxalement, les patrons sont les meilleurs mobilisateurs. Le projet de loi 89 a uni les syndicats dans l’action. Nos divergences concernent plus les moyens d’action que les objectifs. Il faut accepter la diversité des tactiques tout en se recentrant sur nos buts communs. Et la jeune génération tend à concevoir le syndicalisme comme un mouvement social plutôt qu’un simple appareil.

La question du rôle politique des syndicats

André Frappier : Comment envisager un véritable changement politique ? Le débat politique est-il faisable dans les syndicats ?

Marc-Édouard Joubert : C’est un débat délicat, souvent douloureux. Notre expérience montre l’importance de discuter des valeurs et des enjeux avant les étiquettes partisanes. Le soutien ne devrait pas être automatique, mais basé sur les plateformes. Des militants appuient divers partis, y compris la CAQ. Le mouvement syndical devrait privilégier l’analyse critique des programmes et défendre ses positions, comme il l’a fait récemment contre Poilievre.

Bertrand Guibord : Le système politique lui-même est verrouillé. Toute expression, même neutre, peut être considérée comme partisane par la loi. Le cadre électoral est conçu pour limiter la voix syndicale. Il faut s’interroger : ce n’est pas seulement une question de soutenir tel ou tel parti, mais de remettre en question un système qui empêche toute réelle alternative. Même les partis progressistes finissent par s’adapter au jeu électoral et à ses logiques de marketing. Ce que nous vivons, c’est un système fondamentalement extractiviste — qui exploite les ressources comme les êtres humains.

Bernard Rioux : La neutralité politique de la CSN est-elle encore tenable aujourd’hui ?« On a connu dans le passé un soutien syndical à un parti comme le Parti des travailleurs. Aujourd’hui, se limiter à analyser les plateformes électorales des autres partis, sans se doter de nos propres outils politiques, n’est-ce pas se condamner à rester spectateurs ?

Bertrand Guibord : Être non-partisan ne signifie pas être apolitique. On est engagés sur des enjeux politiques tous les jours. Le problème, c’est que la loi électorale au Québec assimile toute prise de position à une prise de position partisane. Or, ce n’est pas parce qu’on soutient une mesure, comme une transition juste, qu’on soutient un parti. Il faut faire une distinction claire entre la politique parlementaire, la vie partisane et la vie politique.

André Frappier : Peut-on aller au-delà de la neutralité dans certaines situations concrètes ? Je me rappelle que plusieurs membres, candidats de Québec solidaire, ont obtenu l’appui de leur assemblée syndicale avant d’être soutenus par le Conseil général de la FTQ. Cela illustre que des formes d’engagement syndical avec des candidatures politiques progressistes ont déjà été explorées, avec un travail de base important.

Marc-Édouard Joubert : Nos statuts prévoient l’encouragement de la participation politique de militants progressistes. On a déjà appuyé des candidatures dans ce cadre. Le piège, c’est de se sentir paralysé par l’idée de neutralité. Parfois, il faut prendre position. Sur des projets comme PL89, les positions de QS rejoignent directement nos luttes syndicales. Cela dit, on observe un certain retrait des appuis formels ces dernières années, mais je crois que les États généraux pourraient rouvrir ce débat.

Espoirs et priorités

André Frappier : Quelle est, selon vous, la priorité ou l’idée principale qui devrait émerger des États généraux ?

Marc-Edouard Joubert : On doit sortir du rythme imposé par le calendrier parlementaire et les consultations gouvernementales. Ça nous éloigne de l’essentiel : nos membres. Je souhaite qu’on se redonne du temps pour deux choses : 1) réfléchir avec nos membres 2) et agir. Il faut alléger nos structures et redonner du souffle militant. Trop de militant·es sont épuisé·es. Il faut se concerter, se mobiliser et planifier.

Bertrand Guibord  : Ce que j’espère des États généraux, c’est qu’ils permettent aux syndicats de redevenir un lieu pertinent et mobilisateur. Les luttes aujourd’hui sont fragmentées. On doit redonner envie aux militant·es de s’engager syndicalement pour des causes politiques. Cela commence par le lien avec nos membres. Les syndicats locaux sont submergés par la gestion quotidienne des relations de travail. Il faut plus de gens impliqués, plus de militants qui portent ces enjeux collectifs.
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André : Bien, Bertrand, Marc-Édouard, merci beaucoup de votre excellent travail militant et d’avoir accepté de participer à notre entrevue.

Bertrand Guibord  : Merci André, merci Bernard.

Marc-Édouard Joubert  : Merci Bernard, merci André.

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Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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