Édition du 13 mai 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

De la lutte syndicale à la lutte pour le pouvoir politique ?

Notes sur le 39e Congrès du CCMM-CSN de mai 2025

« À l’offensive ». C’était le slogan du 39e Congrès du Conseil Central du Montréal Métropolitain de la Confédération des syndicats nationaux (CCMM-CSN) qui s’est déroulé du 5 au 9 mai 2025 au Palais des Congrès de Montréal .

Le CCMM est une sous-structure de la CSN, la deuxième plus grosse centrale syndicale du Québec (330 000 membres, dont 12 000 de plus ces trois dernières années). Il regroupe environ 400 syndicats, 110 000 membres de la grande région de Montréal, pour la grande majorité du secteur public (mais aussi dans la construction, l’hôtellerie, Ikea, Béton provincial, Rolls-Royce, Amazon avant la répression antisyndicale etc.).

L’équipe est composée d’un exécutif de cinq membres élu·es, d’employé·es de bureaux (deux ou trois ?) et de salarié·es de la « maison-mère » CSN, affectés au CCMM (une vingtaine). Son mandat (article 11 et 12 ) est principalement d’aider les différents syndicats de la région lors des grèves ou lock out, de contribuer à la formation syndicale, de favoriser la mise en réseau des membres et d’encourager la lutte sociale. En effet, depuis la fin des années 60, les membres de la CSN s’engagent à mener la lutte sur deux fronts, la lutte syndicale et la lutte « sociopolitique », « sur des enjeux plus globaux tels que l’environnement, la condition féminine, l’éducation etc. ». Dans l’historique disponible sur le site internet, on peut lire que le Conseil est « reconnu comme l’une des organisations les plus combatives du milieu syndical ».

Compte tenu de cet historique, du contexte social et du fait qu’il est rare qu’autant de travailleurs et de travailleuses se réunissent aussi longtemps pour échanger sur la situation syndicale, il nous semblait important de revenir un peu longuement sur cet évènement.

Et pour aller à l’essentiel, après avoir assisté par intermittence au Congrès, on peut effectivement témoigner de l’indignation, de la colère et de la combativité qui ressortaient des interventions aux micros et de nos échanges avec certain·es des plus de 500 délégué·es présent·es [1], un record parait-il.

  Une colère très politique

Dans l’immense salle du 5e étage du Palais des congrès, assis à l’une des soixante tables rondes, les délégué·es étaient chaque jour invité·es à écouter des présentations de l’exécutif, de syndicalistes, d’universitaires, de responsables des nombreux comités etc. (le contenu des présentations des panelistes est résumé ici). Plus rarement, des ateliers étaient organisés aux différentes tables. Enfin, lors des pauses du midi, les membres étaient parfois convié·es à participer à des actions, à manifester devant le bureau du Ministre du travail Jean Boulet pour dénoncer les attaques contre le droit de grève ou devant la Caisse de dépôt et de placements du Québec (CDPQ) pour dénoncer les investissements en Israël.

Aussi, après chaque panel, aux tables ou lors des trop courtes périodes de questions, de nombreux travailleurs et travailleuses ont témoigné et partagé leurs préoccupations immédiates. Et il ressortait clairement de ces échanges une volonté de passer « à l’offensive » et de mener le combat tant sur le terrain de la lutte syndicale que sur le terrain politique.

Les témoignages ont ainsi constamment dénoncé des salaires qui stagnent, les « profits écœurants des patrons », les inégalités sociales qui explosent, les exigences patronales intenables, notamment celles qui visent à obtenir plus de « flexibilité » (horaires variables, augmentation des temps partiels, précarisation des emplois etc.), le recours accru à la sous-traitance qui prive les salarié·es des assurances sociales et d’une retraite décente, de violentes pratiques antisyndicales (comme la fermeture des entrepôts d’Amazon, le recours aux briseurs de grève chez Rolls-Royce, à l’Hôtel Reine Elisabeth ou par la société d’État des casinos) etc.

Mais les interventions ne se limitaient pas à dénoncer le patronat. De nombreuses prises de paroles ciblaient spécifiquement le Gouvernement, des « politiciens au service de la bourgeoisie » qui privatisent à tout va et qui s’acharnent méthodiquement, sans relâche contre tous les biens communs, contre tous les services publics (santé, éducation, CPE, fonctionnaires etc.), qui se contrefichent de l’environnement, d’empoisonner l’air et les sols, qui s’attaquent aux droits des travailleurs, au droit de grève etc. Enfin, à la tribune comme dans la salle, des intervenant·es ont dénoncé un Gouvernement Legault qui, avec son ciblage systématique des étrangers et des demandeurs d’asile, fait la courte échelle à l’extrême droite. De même, des interventions ont souligné la tolérance du pouvoir en place à l’égard des discours racistes, sexistes, homophobes, transphobes etc. – comme ceux véhiculés dans les médias et les réseaux sociaux par les néofascistes Trump, Musk, Vance etc – et qui pavent la voie au fascisme.

  Quelques interventions de la salle

Simplement pour illustrer la teneur des prises de paroles et des échanges dans la salle, lors de l’une des toutes premières « période de questions » un ouvrier lance au micro de la salle : « le fascisme ça ne se négocie pas !... Et eux, ils vont rien négocier du tout ! … Il faut se préparer ». Et la salle applaudit vivement.

Toujours pour l’exemple, le même jour c’est la présidente du syndicat d’un CIUSS qui témoigne en colère, révoltée par l’incompétence criminelle du gouvernement dans le secteur de la santé :

« C’est dégueulasse ce qui se passe ! C’est dégueulasse au quotidien ! Je suis en tabarnack ! Il faut que ça cesse ! Je gère tous les jours des urgences…. Là, tout à l’heure à la pause, je vais devoir annoncer à une travailleuse qui travaille avec nous depuis plus de 20 ans que soit elle accepte un poste où elle gagnera 5 dollars de moins par heure, soit elle quitte !... Je peux témoigner moi ; on tue les services sociaux et les hôpitaux ; les travailleuses n’en peuvent plus… Il n’y en a que pour les riches ! ».

Les 500 délégué·es se lèvent d’un bond et applaudissent à tout rompre.

Le lendemain c’est un travailleur d’Amazon qui raconte depuis la tribune, la répression qui s’est abattue sur les 4 500 travailleurs et travailleuses des entrepôts de Montréal, des étrangers pour la plupart, viré·es du jour au lendemain pour avoir tenté et réussi à se syndiquer, sans que le Gouvernement Legault ne lève le plus petit doigt. C’est aussi un employé du Cimetière de Notre dame de Grâce de Montréal qui revient sur les 15 mois de grève et qui dénonce l’ignoble instrumentalisation de leur lutte par le Ministre du travail Jean Boulet qui, pour justifier la suppression du droit de grève, invoque les « cadavres dans les frigidaires ».

Dans les deux cas, la salle se lève, applaudit et scande « solidarité, solidarité… ».

Aux tables, mon voisin m’interpelle. Il est employé depuis plus de 25 ans au Stade Olympique où travaillent environ 300 personnes, dans l’évennementiel. Ils et elles sont sans convention collective depuis des mois et ils viennent de se doter d’un mandat de grève pour la semaine prochaine. Faisant écho aux présentations du panel consacré au droit du travail, il me tape sur l’épaule et me dit :

« Ostie ! C’est la même chose chez nous. Ce sont des écœurants qui veulent sous-traiter tous les services et casser le syndicat. Regarde ! ». Il me tend son téléphone et me montre un SMS qu’il vient de recevoir. Je lis : « Sais-tu si c’est légal que le patron il puisse embaucher des jeunes stagiaires pendant nos journées de grève ? Il vient d’en recruter une pelletée » ».

Plus tard, une autre voisine de table, qui travaille à l’accueil dans un grand hôtel de Montréal :

« chez nous ils coupent partout. Ils ne remplacent personne. On demande toujours plus au préposées…. Ils ne veulent que des occasionnels, des part-time, pas de régulier. Ils veulent plus payer les avantages sociaux, veulent pas de syndicat… Et le Gouvernement qui n’en a rien à faire, qui les laisse faire ».

L’avant-dernier jour du congrès, la parole se délie davantage encore, y compris sur des sujets plus polémiques. Ainsi, quand à la tribune l’exécutif du CCMM-CSN propose d’adopter une nouvelle résolution pour créer un énième « évènement de réflexion avec des alliés pour combattre le capitalisme », un syndicaliste avec plus de 35 ans d’expérience, calme mais profondément agacé, lance aux camarades présents à la table :

« j’espère qu’ils réfléchiront vite cette fois-ci et qu’ils seront plus rapide que les États généraux du syndicalisme… Criss ! Ça fait des années que les centrales syndicales nous parlent d’États généraux au Québec ; là elles viennent seulement de se mettre d’accord pour se rencontrer et elles le crient partout. Pis après elles nous disent qu’il faut attendre un an pour…. pour avoir quoi ? Ben… une nouvelle conférence… Ça n’avance pas ! Ostie ! ». Les six autres syndicalistes de la table appuient, s’agacent à leur tour…

Au même moment, sur le même thème, une jeune enseignante de CEGEP au micro de la salle partage son irritation au sujet de ces résolutions qui visent uniquement à autoriser le CCMM à organiser des « journées de réflexion », qui n’engagent à rien ni personne alors qu’il y a urgence à agir :

« Ce n’est pas difficile de se prononcer sur ces résolutions… Je ne vends pas un scoop en vous apprenant que celle-ci sera, comme toutes les autres, adoptée à l’unanimité. Mais ce n’est pas avec ces résolutions et en faisant des représentations politiques à l’Assemblée pour défendre le Code du travail qu’on va obtenir quoique ce soit... D’ailleurs, contrairement à ce qu’on a entendu le code du travail n’est pas un compromis en faveur des travailleurs... C’est un compromis en faveur du capitalisme. Alors si on veut passer à l’offensive il faut commencer par obtenir le retrait du PL89 [contre le droit de grève]. Et ça on ne l’obtiendra pas en restant dans le cadre que nous offre le patronat et le gouvernement. C’est en sortant du cadre. En faisant la grève sociale… Et est-ce qu’on va la faire cette grève, tous ensemble ? Qu’est-ce qui est prévu ici pour les empêcher d’adopter la loi … ? Est-ce qu’on la fera la grève de solidarité ? C’est maintenant que la question se pose ! L’enjeu de grève de solidarité, il se pose là, maintenant ! ».

Elle est chaleureusement applaudit par la salle. Un membre de l’exécutif la remercie et lui répond que la réflexion doit effectivement se poursuivre…

Bref, au-delà de la dénonciation des conditions de travail, il ressortait une claire volonté des membres à s’organiser collectivement sur le terrain politique. C’était donc la question de la politisation de la lutte et du pouvoir politique qui était, au moins implicitement, posée. Et sur ce point, il nous semble que l’on peut percevoir un certain décalage entre ces aspirations à poursuivre la lutte syndicale sur le terrain politique d’une part et le programme d’action proposé par l’exécutif et les résolutions adoptées tout au long du congrès d’autre part.

  Les « bilans » et le « texte d’orientation » de l’exécutif

L’exécutif a remis aux membres trois documents importants, un « bilan de l’exécutif », un « bilan de la mobilisation » et un « texte d’orientation ». Le Bilan de l’exécutif est essentiellement une reddition de comptes du travail réalisé par les cinq membres élu·es. Le document énumère les innombrables actions syndicales, conseils, comités, assemblées auxquels ils et elles ont participé au cours des trois dernières années. Et, de toute évidence, l’exécutif n’a vraiment pas manqué de travail au cours des trois dernières années.

Le second document, le Bilan de la mobilisation est une liste des principales grèves et lock out des syndicats membres du CCMM-CSN. Ce document est précieux en ce qu’il documente les conflits, les revendications des salarié·es et les pratiques anti-syndicales du patronat, ces trois dernières années dans le Montréal Métropolitain. On ne peut cependant s’empêcher de relever dès maintenant qu’à la lecture des résumés de ces différents conflits, on a parfois l’impression que, pour l’exécutif, tout s’est toujours (ou presque) bien terminé : grâce aux luttes menées par les syndicats, les travailleurs et les travailleuses ont pu retourner au travail avec des augmentations salariales qu’ils et elles n’auraient pas obtenu, sans lutter. C’est une évidence dans bien des cas. Seules les luttes paient, évidemment. Mais il est aussi certain que d’autres conflits ont laissé des impressions bien amères, que ce soit sur le déroulement de la lutte, sur les résultats des négociations ou sur le travail syndical. À titre d’exemple, il est pour le moins contestable d’écrire, comme on peut le lire dans le document, qu’il y a seulement eu « quelques déceptions » en ce qui concerne la mobilisation exceptionnelle du Front commun à l’automne 2023. Il s’agissait là l’une des plus grandes mobilisations de l’histoire ouvrière en Amérique du Nord, avec plus de 500 000 personnes activement mobilisé·es en défense des services publics, une opportunité unique pour imposer un autre agenda à un Gouvernement complètement discrédité. Mais au final les résultats de la négociations, comme le comportement des centrales syndicales, ont été évidemment l’objet de vives critiques, qu’il ne semble pas très constructif de minimiser si l’on veut mobiliser et passer «  À l’offensive »… la prochaine fois.

Enfin, le Texte d’orientation, définit la ligne politique et les actions proposées par les élu·es du Conseil. Dans ce document de quatre pages, théoriquement le plus important pour l’avenir du CCMM, l’exécutif se déclare résolument anticapitaliste (« nous n’avons pas à nous cacher de rejeter le capitalisme »). Et il invite à « transformer en profondeur nos modes de vie et de production » et à lutter contre l’exploitation des humains et de la nature. À plus court terme et plus concrètement, l’une des rares mesures identifiées dans le texte d’orientation contre laquelle il faut se battre est la remise en cause du droit de grève par le Gouvernement Legault : « la réforme annoncée du Code du Travail par la CAQ et le projet de loi 89 n’augurent rien de bon », ce qui est un bel euphémisme.

Aussi, le texte précise que le principal objectif poursuivi par l’exécutif pour ce Congrès est « évidemment » plus modeste, plus limité, au point qu’il apparait finalement très défensif. « Lors de ce 39e congrès, donnons-nous comme objectif de nous organiser afin d’agir pour protéger nos droits et ceux de l’ensemble de la population, à notre échelle ». Et à cette fin, « [t]enons-nous debout, solidairement, et organisons notre action pour que celle-ci soit la plus percutante possible ».

Pour résumer, le Texte d’orientation est ainsi passé de la nécessité de lancer « l’offensive » pour lutter contre le capitalisme et changer nos modes de vie pour sauver la planète, à celle de défendre nos droits, à notre échelle, en se tenant debout et en s’organisant. Quels droits précisément ? À quelle échelle ? En s’organisant avec qui et contre qui ? Comment ? Quand ? Le document ne le précise pas ce qui peut désorienter quelque peu les membres.

- Les résolutions adoptées

Quand on regarde ensuite les résolutions finalement adoptées lors du congrès – toutes à l’unanimité et sans jamais aucun débat notable - le CCMM apparait à première vue comme un think tank syndical, invité à beaucoup réfléchir, à poursuivre sa réflexion et à créer des comités et des évènements à cette fin.

Plus précisément, après cinq jour de congrès et pour les trois prochaines années, les membres « mandatent » le CCMM pour qu’il organise « des journées de la transition juste », des « activités d’éducation populaires… afin de contrecarrer les discours de droite et d’extrême droite », « un évènement de réflexion … pour combattre le capitalisme ». Il est également invité à travailler à contrecarrer la réforme du droit de grève, à appuyer la campagne sur « l’information un bien public », à « amorcer une réflexion sur les GAFAM », à mettre « en place un comité ad hoc » pour lutter contre le capacitisme, à « poursuive sa collaboration » avec le comité syndicalisation de la CSN » et avec les groupes alliés pour exiger l’abolition du permis de travail fermé », à « se mobiliser pour la régularisation et la justice migrante » et enfin à s’engager « à lutter contre le colonialisme et le néo-colonialisme ».

Deux résolutions à incidence financières ont également été adoptées. La première est la création « d’un poste budgétaire » pour financer « des initiatives ponctuelles visant entre autres à faire avancer ses positions politiques auprès des syndicats affiliés et dans la société́ en générale, notamment en libérant des militantes et militants pour y contribuée ». La seconde est le remboursement des « frais d’utilisation de véhicules en autopartage ».

Enfin, deux décisions se distinguent un peu par leur caractère potentiellement un peu plus « politiques ». La première, proposée par le syndicat des enseignant·es du Cegep d’Ahuntsic, a été d’exiger du CCMM-CSN qu’il « se dote d’un comité… de formations politiques et militantes » pour fournir des « outils politiques pour s’organiser sur et hors » des milieux de travail.

La seconde résolution, adoptée à l’initiative de l’exécutif cette fois-ci, mandate le comité de solidarité internationale du CCMM afin qu’il renforce ses liens « avec les alliés locaux et internationaux » pour lutter contre l’extrême droite à l’échelle internationale. C’est potentiellement une bonne nouvelle sachant que pour le moment l’activité du comité reste principalement centrée sur la dénonciation du néofascisme aux États-Unis, sur la solidarité avec la Palestine (voir la résolution adoptée) et l’Amérique du Sud. Le CCMM-CSN, comme la CSN dans son ensemble, restent en revanche, malgré plusieurs demandes, étrangement silencieux sur le néofascisme russe et sur les appels à l’aide des camarades d’Ukraine en particulier.

C’est à peu près tout ce qui était proposé et qui a été adopté [2].

- Lutte politique et démocratie syndicale

Au final, après lecture des documents et des comptes-rendus publiés, après avoir participé à la majorité des panels du congrès, nous nous permettons de partager quelques réflexions et impressions, celles d’un délégué, nouveau participant au Congrès.

Tout d’abord, l’absence de bilan écrit sur la situation politique et syndicale au Québec, au Canada, comme à l’échelle internationale peut surprendre [3]. Les Bilans et le Texte d’orientation ne proposent aucune analyse de fond sur les politiques du Gouvernement Legault depuis son arrivée au pouvoir en 2018 et leurs effets dramatiques sur la classe ouvrière, l’environnement, le logement, la santé, l’éducation etc. De même, les propositions alternatives des différents partis politiques d’opposition sur le plan syndical et social ne sont pas questionnées (toutes aussi insignifiantes soient-elles). L’arrivée de Trump au pouvoir et ses conséquences potentielles sur la classe ouvrière québécoise et canadienne ne sont pas questionnées, au-delà de formule très générale sur la montée du fascisme. La défaite surprise des conservateurs et l’élection de M. Carney n’a pas été abordée, comme si cela n’avait aucun impact sur les travailleurs et les travailleuses au Québec. La débandade du NPD, historiquement le parti politique canadien considéré comme le plus proche de la classe ouvrière, n’est pas analysée. Certes, un panel s’intitulait bien « politiser pour lutter » mais il ne fut pas question de questionner les programmes et les politiques des différents partis politiques au pouvoir ou qui aspirent à l’être. Comme si la question du pouvoir de l’État n’était pas un enjeu. Or comment passer « À l’offensive » pour les droits des travailleurs et des travailleuses, sans faire un bilan de la situation politique au Québec, comme au Canada ? Sans faire un bilan des victoires mais aussi des défaites du mouvement ouvrier dans son ensemble ? Sans faire un bilan du rapport de force avec la bourgeoisie ?

On pouvait parfois avoir l’impression qu’au-delà des discours sur l’unité et sur le deuxième front, la tribune souhaitait éviter de « politiser » le Congrès, éviter de parler des choses qui fâchent et qui pourraient potentiellement diviser les membres. Comme s’il valait mieux taire les divergences politiques que de les identifier. Comme si la lutte syndicale pouvait se suffire à elle-même. Par exemple, l’une des premières interventions du Secrétaire général a été d’informer la salle qu’il était interdit de laisser des tracts de partis politiques : « Pas la peine d’essayer. Ça n’arrivera pas » lance-t-il, sans plus d’explication aux 500 délégué·es qui n’auront pourtant de cesse d’expliquer à la tribune, comme dans la salle, qu’ils et elles sont « crinqués contre le gouvernement Legault ». On a certes bien lu que, selon ses statuts, le CCMM est un organisme syndical « indépendant de tous les partis politiques ». Mais, toujours selon ces mêmes statuts, le conseil « peut prendre parti pour ou contre des mesures, des doctrines et des lois intéressant les travailleuses et travailleurs » et « peut exercer toute autre forme d’action politique ». Bref, quoiqu’on en pense, l’indépendance politique du CCMM ne signifie pas qu’il est interdit de documenter, de débattre et de se positionner à l’égard du pouvoir politique et donc des partis politiques.

Pour donner un exemple le plus concret possible, l’absence de débouchés politiques suite à l’une des plus grandes mobilisations ouvrières de l’histoire du Québec et plus largement, en Amérique du Nord, en faveur des services publics à l’automne 2023, n’a pas été abordée. Et cela, alors même que le Bilan de mobilisation du CCMM souligne à juste titre que « 100 % des syndicats » avaient alors adopté un mandat de grève et qu’effectivement, « On peut dire que les membres étaient prêts à exercer la grève !  ». Le silence complice des partis politiques d’opposition pendant toute la durée du conflit, comme les pratiques très questionnables des différentes centrales syndicales (par exemple le choix des jours de grève, le secret absolu des négociations, la confidentialité des ententes conclues etc.) et les résultats décevants de la négociation ne sont pas questionnés. Or comment comprendre les reculs des droits des travailleurs et des travailleuses et les succès des attaques patronales sans faire un bilan des pratiques syndicales et politiques ? Quelle mobilisation plus manifeste de la classe ouvrière faut-il pour que les centrales et les organisations syndicales considèrent qu’il est temps de passer « À l’offensive » ?

Dans le même registre, certain·es pourraient également regretter que l’exécutif n’ai proposé aucun plan d’action ou de calendrier de luttes pour passer « À l’offensive ». Certes, la chose n’est pas aisée. Mais, par exemple, à la tribune comme dans la salle, les participant·es n’ont eu de cesse de dénoncer le Projet de loi 89 contre le droit de grève, comme « la plus grande attaque contre le droit du travail des 30 ou 40 dernières années ». Et malgré ce constat unanime, la simple idée de prévoir une manifestation intersyndicale, avec les autres centrales, n’a pas même été évoquée.

Et plus largement, alors que la salle et la tribune insistaient sur la nécessité d’unir nos forces et de faire front commun contre le gouvernement, contre la montée du fascisme ou bien plus modestement pour obtenir une convention collective décente - comme l’a souligné au micro une travailleuse de CPE qui dénonçait les effets catastrophiques de la concurrence entre les syndicats - la question de l’unité intersyndicale n’a quasiment pas été abordée ou appuyée. Au contraire, lors d’une présentation PPT sur la syndicalisation on apprenait que « nos trois ennemis naturels » étaient les employeurs, nous-mêmes et … en premier sur la diapositive, les « syndicats adverses ». Bref en matière de solidarité intersyndicale, il fut essentiellement mention des États généraux du syndicalisme dont les travaux s’étaleront sur plus d’une année… L’urgence d’agir et d’unir nos forces apparait alors en pratique toute relative.

Enfin, dernier point, pour quelqu’un qui participait pour la première fois à un Congrès du CCMM, certaines pratiques pouvaient paraître un peu surprenantes. À titre d’exemple, il était troublant de voir les multiples résolutions être adoptées les unes après les autres, sans aucun débat, à l’unanimité, par acclamation. Comment l’expliquer ? Les membres étaient-ils tous et toutes d’accord avec leur contenu ? Certain·es membres n’ont pas osé exprimer d’éventuels désaccords ? Étaient-elles dépourvues d’enjeu ? Dans le même sens, le mode d’élection de l’exécutif, sans programme, sans présentation orale et par acclamations, pouvait obliger le nouveau venu à s’interroger sur le déroulement des élections. Le simple fait qu’il ait fallu que des jeunes membres aillent au micro pour exiger, et finalement obtenir après un vote majoritaire…, une période d’échanges avant les mises en candidatures de la direction est révélateur d’un questionnement plus profond sur la démocratie syndicale. Quoiqu’il en soit, en l’absence d’autres candidat·es, sans surprise, sans programme, sans discours, la majeure partie de l’exécutif précédent a été reconduit, à l’unanimité, par acclamation.

Encore une fois, il s’agit là de réflexions et d’impressions d’un nouveau venu et écrites à l’issue d’un 39e Congrès dont nous retenons surtout la participation record, l’indignation, la colère, la combativité et la détermination affichées des membres pour passer « À l’offensive » contre le Gouvernement Legault, le patronat et le fascisme. C’est encourageant, tant d’un point de vue syndical que politique.

Martin Gallié
Délégué du SPUQ
13 mai 2025


[1La plupart sont« libéré·es » par leur syndicat ou aidé·es financièrement par le CCMM

[2À l’initiative de syndicats membres, d’autres questions ont été abordées sous forme de résolutions ou de « questions de privilèges », sur le fonctionnement de la présidence du CCMM-CSN, sur les formations en santé mentale, sur les horaires des formations, en faveur du « désinvestissement de la CPDQ auprès des entreprises associées à des violations des droits humains en Palestine »

[3Le discours d’ouverture de la présidente de la CSN, Caroline Senneville, fut à cet égard une exception.

Martin Gallié

Martin Gallié, Montréal, militant internationaliste, professeur à l’UQAM.

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