Il y avait dans l’air une densité presque physique, une tension sourde, une fraternité spontanée. Comme si, malgré la minceur du résultat, malgré la stupeur, malgré la fatigue du combat, ce soir là refusait obstinément de s’incliner devant la défaite. On aurait dit que la musique de Dédé rallumait, ne serait ce qu’un instant, les braises d’un pays qui n’avait peut être pas encore dit son dernier mot
Trente ans déjà que le Québec a retenu son souffle, ce soir de 1995, lorsque les chiffres, venaient heurter ou ranimer l’espoir d’un pays à naître. Le 30 octobre demeure une date à la fois lumineuse et ombrageuse, une balafre dans la mémoire collective, mais aussi un rappel que l’histoire, parfois, passe si près de bifurquer que le simple souffle des citoyens semble peser plus lourd que les institutions elles-mêmes. Ce soir-là, rappelons-le sobrement, près de 93,5 pour cent des électeurs inscrits se sont rendus aux urnes, un taux de participation exceptionnel, presque unique dans les démocraties occidentales. Le Oui, avec ses 49,42 pour cent, n’a échoué que d’un demi-point. Une marge si mince qu’elle continue d’alimenter, trois décennies plus tard, autant les regrets que l’entêtement à croire qu’un troisième rendez-vous finira par renverser la logique.
Tôt ou tard, un autre référendum sur la souveraineté aura lieu. Les nations en devenir, comme les courants profonds, obéissent à des mouvements plus vastes que les contingences partisanes. Un troisième référendum, oui, et comme l’écrivait Miron « Ça ne peut pas ne pas toujours arriver ». On peut s’attarder aux sondages, aux cycles politiques, aux lassitudes de l’électorat, tout semble parfois indiquer qu’un troisième échec serait programmé, presque mécanique, pourtant l’histoire n’est jamais un calcul linéaire. Les référendums de 1980 et de 1995 en témoignent, le premier s’étant soldé par un clair refus, 59,56 pour cent pour le Non, le second ayant frôlé l’inverse quinze ans plus tard. Entre ces deux moments, le pays projeté de René Lévesque avait gagné en chair, en voix, en légitimité. Les sociétés changent, les populations se renouvellent, les aspirations se recomposent, et rien ne permet d’affirmer que la trajectoire est immobile.
Les souverainistes pur et durs aiment dire, parfois mi-rieurs, que jamais deux sans trois, mais plus encore, jamais deux échecs sans une troisième victoire. Cette formule, qui pourrait n’être qu’un slogan, traduit pourtant une conviction intime, presque géologique, que la souveraineté demeure l’horizon naturel du Québec. Elle révèle aussi une lucidité, car entre la petite et la grande victoire, la nuance est immense. Une victoire à 50 pour cent plus 1 serait juridiquement valable, bien sûr, mais politiquement fragile, exposée à toutes les contestations, vulnérable à tous les vents contraires. Ce serait une victoire essentiellement arithmétique, une porte ouverte, mais non un passage assumé.
La grande victoire, celle que plusieurs espèrent, exige une amplitude morale autant que numérique. Entre 55 et 60 pour cent, ce serait une adhésion claire, une parole collective forte, un signal que la société québécoise, dans sa diversité contemporaine, se reconnaît dans le projet d’un pays à elle. Et si une telle majorité advenait, elle signifierait inévitablement que les Québécois issus de l’immigration, aujourd’hui environ 15 pour cent de la population, auraient joué un rôle déterminant. Cela voudrait dire que le Québec a su convaincre, rassurer, inclure, que la souveraineté cesse d’être perçue comme le patrimoine exclusif des identitaires, souvent associés à la droite, pour devenir un dessein partagé, porté aussi par les progressistes, par les mouvements de gauche, par ceux qui refusent de laisser le projet national être rétréci, détourné, annexé par une seule sensibilité politique.
Ce serait alors une victoire du Québec pour tous les Québécois, un projet qui ne divise plus entre anciens et nouveaux arrivants, entre identitaires et universalistes, entre mémoire et avenir. Ce serait une victoire capable de réconcilier les héritages, d’élargir l’idée même de nation, sans renier ses racines ni son histoire. Une victoire qui, au lieu de fermer, ouvrirait, qui, au lieu de réduire, amplifierait.
En tant que souverainiste, j’espère évidemment cette victoire, que dis-je, cette grande victoire, celle qui ne laisse pas derrière elle un pays fracturé, mais un pays rassemblé, confiant, décidé. Une victoire qui ne se contente pas de l’arithmétique, mais qui affirme le sens, la direction, la maturité d’un peuple qui, depuis la Conquête de 1760, depuis l’Acte de Québec de 1774, depuis les insurrections de 1837 et 1838, depuis la Révolution tranquille, poursuit obstinément son propre chemin.
Oui à l’indépendance du Québec, oui, mais à condition qu’elle soit un geste de cohésion, un pacte renouvelé, un territoire politique où chacun, peu importe son origine, puisse se reconnaître. Oui à un Québec ouvert, pluriel, confiant. Oui à un Québec pour tous les Québécois.
Je rappelle que je suis né au Maroc, un pays qui a retrouvé son indépendance en 1956 sans passer par l’épreuve d’un référendum. À l’époque, l’aspiration à l’émancipation était si largement partagée que l’on parlait, sans exagération, de 99,9 pour cent de Marocains unis derrière ce désir de souveraineté. Le mot d’ordre des résistants, simple et puissant, résonnait partout, un Maroc pour tous les Marocains.
Mohamed Lotfi
30 Octobre 2025
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