Édition du 23 avril 2024

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Europe

Europe : désobéir pour mettre en œuvre une alternative favorable aux peuples

Eric Toussaint aborde des thèmes centraux pour trouver une orientation alternative à celle qui prévaut en Europe. Il revient sur les causes de l’échec en Grèce en 2015, il pointe des éléments importants de l’évolution récente en Italie, en Espagne, au Portugal et en France. Il met en avant ce qu’un gouvernement de gauche devrait faire en France pour mettre en œuvre une alternative.

L’auteur a retravaillé une interview qu’il a donnée début novembre 2018 au média Le Vent se Lève (http://www.cadtm.org/Rompre-le-tabou-sur-les-dettes-odieuses-et-leur-repudiation) afin de tenir compte de ce qui s’est passé en décembre en Italie et en France. En conséquence, cette partie de l’interview a été fortement augmentée et actualisée.

tiré de : [CADTM-INFO] Venezuela, Nicaragua, Forum des peuples, Grèce, FMI...

Le Vent se Lève (LVSL) – Si l’on regarde le cas de la Grèce en 2015, on retrouve un changement de régime avec l’arrivée au pouvoir de Syriza et Alexis Tsipras, et un appui social important. Pourtant au final, celui-ci a déconsidéré et ignoré le travail de la Commission sur la vérité de la dette publique grecque pour laquelle vous avez œuvré. Quels sont les paramètres politiques qui ont empêché ce mouvement propice vers une possible répudiation d’une partie de la dette grecque ?

E.T : Oui, c’est extrêmement important évidemment d’analyser ce cas. Il s’agit tout simplement là de l’incapacité de Tsipras à adopter une stratégie adaptée au contexte réel dans lequel la Grèce se trouvait. Si l’on regarde le programme de Thessalonique présenté en Septembre 2014, sur lequel il a été élu (voir les extraits du programme dans mon article), il y avait toute une série d’engagements très importants qui impliquaient notamment une réduction radicale de la dette. Il y avait des mesures qui devaient provoquer des changements radicaux par rapport à l’austérité la plus brutale qui avait été menée, par rapport aux privatisations, et par rapport à la manière dont les banques grecques avaient été sauvées. Tsipras a suivi une démarche qui n’était pas du tout cohérente avec le programme et les engagements qu’il avait pris.

Ce qui est extraordinaire quand même et ce sur quoi il faut absolument insister dans le cas de Tsipras, c’est que quelques jours après son élection le 25 janvier 2015 et la constitution de son gouvernement, le 27 janvier, alors qu’il n’avait encore pris aucune mesure, le 4 Février, la BCE a coupé les liquidités normales aux banques. C’était une déclaration de guerre, ou plutôt un acte de guerre de la BCE contre un gouvernement démocratiquement élu.

« Tsipras n’a pas osé utiliser les armes d’autodéfense qui étaient à sa disposition : suspension du paiement de la dette, prendre le contrôle des banques, instauration d’un contrôle sur les mouvements de capitaux [...] tout cela l’a conduit à l’échec »

Face à cette attaque, Tsipras n’a pas osé utiliser les armes d’autodéfense qui étaient à sa disposition : il n’a pas suspendu le paiement de la dette, il n’a pas pris le contrôle des banques, il n’a pas instauré un contrôle sur les mouvements de capitaux et il a laissé les capitalistes organiser la fuite de ceux-ci (une trentaine de milliards d’euros sont sortis du pays entre janvier et juillet 2015) et tout cela l’a conduit à l’échec.

Sa stratégie fut celle d’une concession très rapide à la Troïka, composée de la BCE, du FMI et de la Commission européenne représentée par l’Eurogroupe, ce dernier étant d’ailleurs une instance qui n’a pas de statut juridique, qui n’existe pas dans les traités. Mais c’est bien dans ce dernier que le gouvernement Tsipras a accepté d’être enfermé. Varoufakis allait négocier et signer des accords avec l’Eurogroupe, présidé alors par le travailliste hollandais, Jeroen Dijsselbloem. Selon moi, c’est cette stratégie qui a mené à une première capitulation le 20 Février 2015, quasiment d’entrée. Le fait d’accepter de prolonger le mémorandum de quatre mois, de respecter le calendrier de paiements, et de s’engager à soumettre des propositions d’approfondissement des réformes à l’Eurogroupe, c’est poursuivre dans la servitude (voir http://www.cadtm.org/La-premiere-capitulation-de). Beaucoup ont interprété cela comme l’adoption d’une attitude intelligente, tactique de la part de Tsipras. En réalité les termes de l’accord du 20 février 2015 constituaient un renoncement (voir aussi : http://www.cadtm.org/Critique-de-la-critique-critique-du-livre-Conversations-entre-Adultes-de-Yanis). Cela l’a définitivement emmuré. Or il aurait dû revenir en arrière en admettant devant son peuple et devant l’opinion internationale qu’il avait été naïf en acceptant les termes du 20 Février. Face au refus de la Troïka de respecter les vœux émis par le peuple grec, il aurait dû déclarer qu’en faisant des concessions, il avait cru à tort que l’Eurogroupe allait également en faire. Dès lors, il aurait pu conclure sur la nécessité de changer d’approche. Mais il ne l’a pas fait alors qu’il avait la légitimité pour le faire et nous l’avons ensuite vu lors du référendum qu’il a gagné le 5 juillet 2015. Rappelons que lors de ce référendum 61,5% des Grecs ont rejeté les propositions des créanciers.

Après celui-ci, Tsipras n’a pas appliqué la volonté populaire alors qu’il s’était engagé à la respecter quelle qu’elle soit ! C’est donc Tsipras lui-même qui a empêché que l’on aille, entre autres, vers une répudiation de la dette (voir le film réalisé par le CADTM et Zin TV : [Film] L’audit - Enquête sur la dette grecque http://www.cadtm.org/Film-L-audit-Enquete-sur-la-dette-grecque).

LVSL – Peut-il aujourd’hui advenir une situation similaire avec l’Italie ?

E.T : Alors, avec l’Italie, nous sommes à un stade où on a eu l’impression que le gouvernement Salvini, pour lequel je n’ai aucune sympathie évidemment, est un peu plus ferme que le gouvernement de Tsipras face aux diktats des dirigeants de Bruxelles. C’est néanmoins à relativiser car, pendant la campagne, Salvini demandait un mandat au peuple italien pour une sortie de l’euro (ce que n’avaient pas demandé Syriza et Tsipras en 2015 dans la campagne électorale) et dès qu’il a participé à la conception du gouvernement avec Di Maio, il a accepté le cadre et le carcan de l’euro. Là où le gouvernement italien avait l’air de rester ferme, c’était sur le refus de la stricte discipline budgétaire. Néanmoins à la fin de décembre 2018, on a assisté à la capitulation du gouvernement Salvini-Di Maio. Leur gouvernement a accepté la discipline budgétaire stricte avec un déficit limité à 2,04 % du PIB comme le demandait l’Eurogroupe.

Plusieurs gouvernements de droite désobéissent à la Commission européenne non pas sur la question du refus de l’austérité mais sur d’autres thématiques, de préférence anti-immigrés et racistes. Par exemple, ils refusent de respecter l’accord européen sur “l’accueil” des réfugiés. Ainsi, le gouvernement Salvini-Di Maio est d’autant plus virulent contre la politique européenne soi-disant permissive à l’égard des flux migratoires qu’il a reculé totalement face à la Commission en matière de déficit fiscal. Il hausse le ton sur un sujet qui cherche à dévier dans le sens du racisme et du rejet des étrangers la frustration de secteurs de la population qui en ont marre de l’Europe néolibérale. Victor Orban en Hongrie fait de même tout en essayant d’imposer une réforme du travail hyper néolibérale qui impose aux salariés d’accepter de travailler jusqu’à 400 heures supplémentaires par an. Ce qui heureusement a provoqué d’importantes mobilisations de rue en janvier-février 2019. Donc ces gouvernements de droite sont dans la ligne de la Commission européenne sur le thème des attaques contre les salariés, les retraités, les services publics, en faveur de plus de dérèglementation et plus de privatisation. Leur désobéissance se limite à la question des migrants et des réfugiés en appliquant une politique encore plus droitière et plus inhumaine que celle mise au point par les institutions européennes.

De ce point de vue, les choses sont claires : aucun gouvernement n’a véritablement désobéi aux directives européennes en matière de poursuite de l’austérité budgétaire.

« Le mouvement des Gilets jaunes et ses revendications (rejet de taxes impopulaires, augmentation du pouvoir d’achat, réduction de l’injustice fiscale et des inégalités) a rencontré un écho réel auprès d’autres peuples d’Europe »

Il est même intéressant de souligner que le gouvernement de Macron est le seul gouvernement européen qui va relâcher un tout petit peu la discipline budgétaire et annonce un déficit budgétaire équivalent à 3 % du PIB pour l’année 2019. Il le fait, comme chacun le sait, parce qu’il a été mis sous la pression d’un large mouvement social qui l’a profondément déstabilisé et fragilisé. C’est pour retrouver un peu de légitimité que Macron est prêt à faire cette entorse à l’austérité. C’est également intéressant de souligner que ce dépassement du déficit est toléré par la Commission européenne qui se rend bien compte qu’elle perdrait elle-même encore plus en crédibilité et en légitimité si elle s’opposait directement au gouvernement français parce qu’il fait des concessions aux Gilets jaunes. En effet, le mouvement des Gilets jaunes et ses revendications concernant le rejet de taxes impopulaires, l’augmentation du pouvoir d’achat, la réduction de l’injustice fiscale et des inégalités a rencontré un écho réel auprès d’autres peuples d’Europe. Et enfin, il est compliqué pour la Commission européenne d’entrer en conflit avec le président de droite de la deuxième puissance en Europe.

LVSL : N’y a-t-il pas une volonté de la part des institutions européennes d’être beaucoup plus fermes avec des gouvernements de gauche, progressistes, plutôt qu’avec d’autres ?

Oui, c’est évident dans le cas du gouvernement de Syriza au premier semestre 2015 : les institutions européennes ont été beaucoup plus exigeantes avec le gouvernement grec qu’avec les autres gouvernements. Elles voulaient démontrer aux peuples européens qu’il était inutile de voter en faveur de forces politiques qui prétendent rompre radicalement avec l’austérité. L’incapacité de Tsipras d’affronter le défi et sa capitulation définitive en juillet 2015 ont constitué un grave coup pour tous ceux et celles qui comptaient sur un succès de la Grèce pour étendre à d’autres pays d’Europe le refus de l’austérité et la mise en pratique de changements sociaux en faveur du peuple.

La Commission européenne est moins ferme avec les gouvernements issus de la gauche dans l’État espagnol et au Portugal… parce que ces derniers se conforment aux contraintes imposées par les traités européens et parce qu’à leur tête se trouve des partis socialistes qui ont voté en faveur de tous ces traités. Le gouvernement espagnol du socialiste Pedro Sanchez respecte la discipline budgétaire. De même que le gouvernement du parti socialiste au Portugal. Pour rappel, lors des élections législatives du 4 octobre 2015, les forces de gauche ont obtenu la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale : le PS venait en deuxième position, avec 32,4 % ; le Bloco de Esquerda (Bloc de gauche), est arrivé en troisième position avec 10,3 %, et 19 députés, en doublant le nombre de ses parlementaires (il en avait 8 en 2011) ; le PCP a gagné un siège et dispose de 15 députés ; le parti vert, PEV reste inchangé avec 2 sièges. Un accord de gouvernement a été conclu en novembre 2015 : le PS gouverne seul et les deux autres partis plus radicaux (Bloc de gauche et PCP), tout en refusant d’entrer au gouvernement, soutiennent au Parlement ses décisions quand elles leur conviennent. Le gouvernement minoritaire du parti socialiste a pris certaines mesures qui ont amélioré les conditions de vie d’une partie des secteurs populaires : augmentation du salaire minimum légal qui est porté à 600 euros brut, rétablissement des jours de congé légaux qui avaient été supprimés par le gouvernement antérieur, ce qui le rend assez populaire. Néanmoins il a maintenu une politique de compression des dépenses publiques afin de respecter la discipline budgétaire austéritaire imposée par la Commission européenne et il a réalisé des sauvetages bancaires favorables au grand capital. La dette du Portugal représente 125 % du PIB. Son remboursement régulier empêche le gouvernement d’augmenter comme il le devrait les dépenses publiques et, malgré l’amélioration des conditions de vie d’une partie des secteurs populaires, les besoins sociaux non satisfaits sont tout à fait considérables. C’est pourquoi il est fondamental de remettre en cause le paiement de la dette (http://www.cadtm.org/La-dette-reclamee-au-Portugal-est-insoutenable-largement-illegitime-et-en ).

LVSL – Justement, mettons-nous en situation à la manière de l’article de Renaud Lambert et Sylvain Leder dans le Monde diplomatique « Face aux marchés, le scénario d’un bras de fer » (https://www.monde-diplomatique.fr/2018/10/LAMBERT/59131). Prenons le cas d’un pays comme la France qui voit l’élection d’un gouvernement de gauche progressiste et résolument déterminé à rompre avec le néolibéralisme. Le gouvernement annonce rapidement un moratoire sur la dette pour envisager la répudiation de sa partie illégitime. Comment dès lors éviter la panique financière et les dommages collatéraux économiques et sociaux qui s’en suivraient ?

« Le Quantitative easing n’est pas suffisamment analysé par les économistes en général, y compris les hétérodoxes de gauche, qui ne voient pas cette arme qui est mise aux mains des États à partir du moment où ceux-ci décident de désobéir »

E.T : Je ne dirais pas qu’il s’agirait d’éviter la panique bancaire mais plutôt comment affronter les tentatives de déstabilisation qui seront menée par le pouvoir de l’argent, et notamment par les grandes banques privées. Il faut s’y préparer. Un authentique gouvernement populaire devrait socialiser les banques ainsi que les assurances tout en décrétant un contrôle sur les mouvements de capitaux. Cela permettrait de mettre les banques et les assurances au service de la population (voir Patrick Saurin and Éric Toussaint, Comment socialiser le secteur bancaire, http://www.cadtm.org/Comment-socialiser-le-secteur-bancaire). En plus, pour faire face au chantage ou aux représailles que pourrait exercer la Banque centrale européenne contre un gouvernement de gauche, je propose une mesure qui n’est pas évoquée dans l’article du monde diplomatique. La Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre du Quantitative easing (QE) - voir encadré - a acheté pour un peu plus de 420 milliards de titres français à des banques privées. Elle a cela dans son bilan (Site officiel de la BCE, Breakdown of debt securities under the PSPP, https://www.ecb.europa.eu/mopo/implement/omt/html/index.en.html , consulté le 5 janvier 2019). Elle les a achetés aux banques privées, mais c’est le trésor français qui paie les intérêts à la BCE, et le capital à l’échéance des titres. Or, si la BCE fait mine à l’égard d’un gouvernement de gauche en France d’adopter une mesure comme elle l’a prise par rapport au gouvernement Tsipras, le gouvernement français peut décider de ne pas rembourser, face à la volonté de la BCE de l’empêcher d’accomplir son mandat démocratique. C’est un argument d’une puissance considérable qui inverse le rapport de force que la BCE pensait dominer. Je suis étonné qu’aucun des économistes consultés par Le Monde diplomatique n’y ait pensé. Le Quantitative easing n’est pas suffisamment analysé par les économistes en général, y compris les hétérodoxes de gauche, qui ne voient pas cette arme qui est mise aux mains des États à partir du moment où ceux-ci décident de désobéir. La Troïka serait dans une situation terrible.

Quantitative Easing ou politique d’assouplissement monétaire

Il s’agit de la politique appliquée par la BCE à partir de 2015 dans la foulée de celle menée par la Réserve fédérale des États-Unis entre 2008 et 2014. La BCE rachète massivement des titres de la dette privée et publique aux banques de la zone euro ainsi qu’à de grandes entreprises. En faisant cela, elle vient en aide aux banques et aux autres grandes entreprises privées en les gavant de liquidités que celles-ci utilisent pour spéculer en agrandissant les risques de nouvelles crises. La relance économique n’est pas au rendez-vous. La BCE a mis fin à ce programme de rachat à partir de la fin 2018 mais en réalité elle a décidé de maintenir constant le stock d’environ 2 200 milliards d’euros de titres souverains qu’elle a acheté aux banques privées entre 2015 et fin 2018. Cela signifie que quand des titres souverains arriveront à échéance elle rachètera des titres pour un montant équivalent et elle continuera à injecter des liquidités aux banques auxquelles elle rachètera les titres souverains. De plus, elle se servira du QE pour faire du chantage à l’égard des gouvernements qui ne mèneraient pas une politique d’austérité et de réformes néolibérales suffisamment dure.

La BCE pourrait faire du tort au gouvernement concerné en décidant de remplacer les titres venus à échéance par des titres émis par un gouvernement néolibéral pur et dur. Cela aurait comme conséquence de faire augmenter le coût du financement de la dette du pays indiscipliné. C’est notamment pour cela qu’un gouvernement légitime voulant rompre avec les politiques néolibérales ne devrait pas hésiter, afin d’appliquer une politique d’autodéfense, à suspendre le remboursement des titres détenus par la BCE tout en se lançant dans une politique légitime d’emprunts publics combinée à un audit à participation citoyenne des anciennes dettes léguées par l’ « Ancien Régime » afin de répudier la partie illégitime, odieuse, illégale ou/et insoutenable.

Par ailleurs, je partage avec les auteurs de ce très intéressant article du Diplo la stratégie qui consiste également à vouloir diviser les créanciers. Par exemple, pour revenir encore sur le cas grec, Tsipras aurait pu dans un premier temps se concentrer sur le FMI. En effet, les six milliards qu’il fallait rembourser avant le 30 Juin 2015 concernaient seulement le FMI. Le gouvernement grec aurait dû cibler frontalement le FMI.

Aussi, lorsqu’on parle de panique sur les marchés et de menace de dégradation de la note de la France, si celle-ci affirme vouloir se financer autre part que sur les marchés, qu’importe alors la note que les agences lui attribueront. Il faut mettre en œuvre une politique alternative de financement en réalisant un emprunt légitime. Le gouvernement devrait imposer aux entreprises les plus importantes d’acquérir un montant donné de titres de la dette française à un taux d’intérêt fixé par les autorités publiques et pas par les « marchés ». Cela renvoie à ce que l’on appelait le circuit du trésor qui a fonctionné entre la deuxième guerre mondiale et les années 1970. Pour cela, il faut vraiment lire la thèse, éditée en livre, de Benjamin Lemoine et intitulée L’ordre de la dette https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-L_ordre_de_la_dette-9782707185501.html. Cet ouvrage dit tout sur ce circuit du trésor qui a été éliminé de la mémoire collective par le discours dominant.

Le Circuit du Trésor représente le mécanisme mis en place par le gouvernement de la France après la Libération afin de se financer. Il faut rappeler que la Banque de France et 4 grandes banques de dépôts, sous la pression du mouvement populaire, avaient été nationalisées en 1945-1946 [1]. Le Circuit du Trésor permettait au gouvernement français d’emprunter sans passer par les marchés financiers. Les banques étaient obligées d’acheter une quantité de titres souverains français au prix et au taux d’intérêt fixés d’avance par les pouvoirs publics. Selon Benjamin Lemoine, cela a très bien fonctionné durant plus de trente ans et le montant de la dette publique a été bien inférieur à ce qu’il est devenu par la suite. Ce n’est que dans les années 1980, que ce mécanisme a été totalement abandonné dans le cadre de l’offensive néolibérale. A partir des années 1980, la France s’est endettée sur les marchés auprès des banques et d’autres sociétés financières privées. Il s’agit donc d’instaurer un nouveau mécanisme légitime et efficace de financement public.

La dette publique pourrait constituer un instrument de financement d’un vaste programme de transition écologique, au lieu de servir à imposer des politiques anti-sociales, extractivistes, productivistes, favorisant la compétition entre les peuples. L’endettement public n’est pas mauvais en soi. Les pouvoirs publics peuvent recourir à l’emprunt pour :

• financer la fermeture complète des centrales nucléaires ou thermiques ;

• remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables respectueuses de l’environnement ;

• financer une reconversion de l’agriculture actuelle qui contribue de manière importante au changement climatique et qui est une grosse consommatrice d’intrants chimiques responsables de la baisse de biodiversité. Il s’agit de redonner aux activités agricoles une orientation compatible avec la lutte contre le changement climatique en favorisant notamment les circuits courts et en produisant de la nourriture bio ;

• réduire radicalement le transport routier et aérien au profit de transports collectifs par voies ferrées ;

• financer un vaste programme de développement d’un habitat de meilleure qualité et consommant beaucoup moins d’énergie.

L’emprunt public est légitime s’il est au service de projets eux-mêmes légitimes et si ceux et celles qui contribuent à l’emprunt le font également de manière légitime.

« La dette publique pourrait constituer un instrument de financement d’un vaste programme de transition écologique, au lieu de servir à imposer des politiques anti-sociales, extractivistes, productivistes, favorisant la compétition entre les peuples »

Un gouvernement populaire n’hésitera pas à obliger les grandes entreprises (nationales ou étrangères) et les ménages les plus riches à contribuer à l’emprunt sans que ceux-ci en retirent avantage, c’est-à-dire à taux zéro et sans compensation pour l’inflation.

Simultanément, une grande partie des ménages des classes populaires qui ont une épargne pourront être convaincus d’accepter de confier volontairement celle-ci aux pouvoirs publics afin de financer les projets légitimes mentionnés plus haut. Ce financement sur base volontaire par les couches populaires serait rémunéré à un taux réel positif, par exemple de 4 %. Cela signifie que si l’inflation annuelle atteignait 3 %, les pouvoirs publics assureraient le paiement d’un intérêt nominal de 7 % afin de garantir un taux réel de 4 %.

Ce mécanisme serait hautement légitime car il financerait des projets utiles pour la société et parce qu’il permettrait de réduire la richesse des plus riches tout en augmentant les revenus des couches populaires et en sécurisant leur épargne.

Évidemment, un authentique gouvernement populaire doit pouvoir s’appuyer sur et encourager l’auto activité de la population. Il est vital de promouvoir l’auto-organisation et les luttes. Parmi les luttes qui sont tout à fait encourageantes et qu’il faut soutenir, citons l’actuel mouvement des gilets jaunes ; les grèves lycéennes pour exiger que des mesures soient prises pour lutter contre le changement climatique ; la nouvelle vague de luttes féministes qui s’attaque au patriarcat et pousse à l’égalité des droits ; les mouvements d’accueil et d’aide aux migrants ; les mouvements écologiques basés sur l’occupation de territoires et sur l’action directe (« ZAD », « Ende Gelände », etc.), inventant de nouvelles formes de gestion des communs ; les grèves visant à améliorer les conditions de travail et défiant de fait le pouvoir des patrons ; les occupations et récupérations d’usines avec introduction de modèles autogestionnaires ; les « municipalités rebelles » qui désobéissent aux directives austéritaires et anti-migrants et se constituent en réseaux ; les initiatives par le bas d’audit des dettes publiques et de remise en question des dettes illégitimes. Je pense qu’il est aussi fondamental d’entamer un véritable processus constituant. Il ne s’agit pas de changements constitutionnels dans le cadre des institutions parlementaires actuelles. Il s’agit de dissoudre le parlement et de convoquer l’élection au suffrage direct d’une Assemblée constituante en articulant ce processus avec des luttes existantes à différents niveaux locaux, qui jettent les bases de ce à quoi pourrait ressembler une société écosocialiste.

En faisant ces propositions, il ne s’agit pas de chercher une issue nationaliste à la crise et à la protestation sociale. Tout autant que par le passé, il est nécessaire d’adopter une stratégie internationaliste et de prôner une fédération européenne des peuples opposée à la poursuite de la forme actuelle d’intégration qui est totalement dominée par les intérêts du grand capital. Il s’agit également de chercher constamment à développer des campagnes et des actions coordonnées au niveau continental (et au-delà) dans les domaines de la dette, du droit au logement, de l’accueil des migrants et des réfugiés, de la santé publique, de l’éducation publique, du droit au travail, dans la lutte pour la fermeture des centrales nucléaires, dans la réduction radicale du recours aux énergies fossiles, dans la lutte contre le dumping fiscal et les paradis fiscaux, dans le combat pour la socialisation des banques, des assurances et du secteur de l’énergie, dans l’action contre l’évolution de plus en plus autoritaire du mode de gouvernance, dans la lutte pour la défense et l’extension des droits des femmes et des LGBTI, dans la promotion des biens publics, dans le lancement de processus constituants.

Notes

[1] Voir Patrick Saurin, « Pourquoi la socialisation du secteur bancaire est-elle préférable au système bancaire privé actuel ? », http://www.cadtm.org/Pourquoi-la-socialisation-du

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