Édition du 29 octobre 2024

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Solidarité avec la Grèce

Europe, une voie étroite pour briser le carcan et éviter le repli

Les évènements se précipitent en Grèce, après le « coup d’état financier » de la zone euro contre la claire majorité issue du référendum, puis du revirement d’Alexis Tsipras. En attendant, il est peut-être temps, déjà, pour quelques réflexions stratégiques à partir du cas de la Grèce.

1. Euro ou pas euro ?

Il faut élargir la question à l’ensemble de la structure dont l’euro est un rouage. Celle de la zone euro dans sa globalité (traités, institutions, monnaie, rapports de force historiques, ou conjoncturels)[1]. Certes les politiques libérales et pro capitalistes peuvent être (et sont) conduites hors de cette structure, même en Europe. Mais si, par hypothèse, un gouvernement anticapitaliste, voyait le jour en Grande Bretagne, il y aurait toute une plage de mesures possibles antilibérales avant de se heurter aux traités signés à l’échelle de l’UE ou de l’OMC. La réponse à la question « euro ou pas » est alors indirecte. Il faut faire sauter le carcan de la zone euro dans sa globalité, c’est la condition pour des politiques alternatives. Techniquement rien ne dit que ce ne soit pas formellement possible en maintenant l’euro comme monnaie. De même, et tout aussi théoriquement, il y a une distinction entre faire sauter le carcan de la zone euro et la mise en cause plus générale de l’UE. Mais un pays qui se dressera contre la politique néolibérale connaîtra inévitablement une grave crise bancaire. Or aucune économie moderne ne peut vivre sans un tel appareil. Il n’y a qu’un seul moyen d’éviter une telle catastrophe si elle se développait : disposer de l’aide de sa propre banque centrale, qui fournira toutes les liquidités nécessaires. Ce qui ne veut pas dire que la sortie de l’euro aura nécessairement lieu lors de l’épreuve de force qui accompagnerait la mise en place d’une politique alternative. Mais ce qui veut dire qu’il faut absolument y être prêt, techniquement et surtout politiquement, et la mettre en œuvre si nécessaire.

2. Est-il vrai que ce qui s’est passé à propos de la Grèce serait différent si un pays plus puissant, comme la France, s’engageait dans la rupture ?

Oui. Sans la France (par exemple) il n’y a plus d’euro, et probablement plus d’Union Européenne. Alors, s’il y avait un engagement résolu d’un gouvernement de rupture, ce serait une autre affaire que de la menacer d’une expulsion. Mais si les rapports de force seraient évidemment différents, posant d’une manière singulièrement autre la marche (dans ce cas plus que résistible) à la sortie de l’euro, l’objectif principal serait le même : faire sauter le carcan de la zone euro.

3. Peut-on imaginer une mobilisation européenne pour en finir avec le carcan de la zone Euro ?

La réponse est malheureusement négative pour la période à venir. La déconnexion des rapports de force et des opinions publiques est une donnée constitutive de celle-ci. En particulier par le poids acquis par l’Allemagne ordolibérale, ceci avec l’aval, pour l’essentiel, des autres puissances majeures, dont la France. Il en découle que la rupture ne peut s’engager qu’à l’échelle d’un pays d’abord (peut-être d’un groupe de pays). Il en découle aussi que la confrontation avec les institutions de la Zone Euro ne peut que prendre la forme d’une combinaison de conflits de classe d’un côté, et de l’autre des affrontements entre gouvernements et entre Etats.

4. La sortie isolée de la zone euro sa paierait elle si cher ?

Personne ne peut répondre à cette question, tant elle dépend de données liées aux conditions précises où elle se passerait. Mais la responsabilité qui est la nôtre est d’envisager non un chemin de roses, mais un chemin de croix. Il faudrait détruire un système économique constitué, et ceci dans un environnement hostile, sans aucune garantie que la période d’adaptation ne soit pas cruelle. Toute rupture de ce genre doit s’accompagner de mesures radicales. Prendre le contrôle du système financier pour empêcher son effondrement, imposer une réforme fiscale majeure, contrôler les secteurs principaux de l’économie. Et si, en plus, on est conduit à faire défaut sur la dette (en partie ou en totalité), la guerre, si elle était à bas bruit deviendrait ouverte.immédiatement. La rupture avec le carcan de la zone euro se paierait de gros risques. Mais la refuser par principe revient à s’empêcher toute contestation des politiques austéritaires.

5. Peut-on considérer que la mise en crise de la zone euro ne soit que conditionnelle ?

Ici il faut distinguer les aspects tactiques et stratégiques. Nous avons à prendre les moyens de faire respecter un programme pour le peuple, moyens qui peuvent comporter les institutions comme cible. Mais c’est le programme (le contenu) qui compte d’abord. Il serait donc contre productif de prendre la sortie du carcan de la zone euro comme drapeau principal. Mais sur le plan stratégique, oui, nous savons qu’il faudra en passer par là. Alors peut-on procéder par étape ? Engager des réformes radicales, et attendre, en s’appuyant sur leur défense, que la réaction oblige à aller plus loin ? Autrement dit laisser à l’adversaire le soin de hausser les enjeux ? Ce serait le mieux. Mais peut-on supposer que cette réaction accepte d’entrer tranquillement dans un tel schéma ? Surtout si cela concerne un seul pays ? Dès que de telles mesures s’annonceraient, la réaction serait à l’offensive.. Si bien que le plus probable est que la destruction du carcan de la zone euro serait une cible rapprochée, au point sans doute que les délais de sa mise à l’ordre du jour n’existeront pratiquement pas. Mais la distinction entre les deux n’est pas de l’ordre du timing mais de celui de la démarche politique et il faut la maintenir.

6. Sur quelles bases faut-il gagner une majorité ?

La réponse est : sur les mesures d’urgence plus les moyens institutionnels d’y parvenir. A partir du moment où la rupture à envisager est d’abord d’ordre national, que cette rupture serait difficile, elle suppose un très important niveau de soutien populaire, qu’il faut gagner aussi sur .les ruptures institutionnelles possibles ou probables. Evidemment cela hausse considérablement le niveau de conviction qu’il faut être capable de mettre en œuvre, et suppose que le degré de colère dépasse (largement) la peur de l’inconnu,. Mais n’en est-il pas de même pour toute rupture fondamentale ?

7. Existe-t-il un risque nationaliste en conséquence de la mise en cause du carcan de la zone euro ?

Oui, incontestablement. A partir du moment où la rupture s’envisage dans un pays seulement dans un premier temps, inévitablement la souveraineté populaire s’incarne dans un espace national, et donc prend aussi la forme de la souveraineté nationale. Que ce soit avec la zone euro ou sans elle, la guerre de classe existerait. Mais, du fait de la déconnexion des évolutions dans les divers pays, à cette lutte se superposerait une guerre entre Etats. Or revenir aux espaces nationaux donne, par essence, un terreau de choix aux issues d’extrême droite. Par exemple on voit bien avec quelle facilité une telle évolution pourrait se combiner avec une fermeture supplémentaire des frontières face aux immigrants.

8. Peut-on éviter les glissements chauvins et comment ?

On ne peut pas prendre la rupture et laisser ce risque de repli national. Or ce risque est mortel si on ne prend pas les moyens de le contrer. Il y a deux manières principales de s’y opposer. La première est de faire prédominer, même dans un cadre national, la lutte de classes sur leur collaboration. Faire saisir que la possibilité même de réussir la rupture réside dans la profondeur assumée des mesures antilibérales à dynamique anticapitaliste. La deuxième est de maintenir à chaque étape la volonté, concrétisée dans des propositions précises et adaptées, de construire une autre Europe. D’élaborer et de faire soutenir par les mobilisations les plus larges possibles des propositions communes dans l’intérêt de tous les peuples européens (dessinant autant que faire se peut une Europe sociale). Et enfin de tester sérieusement la possibilité que la rupture se généralise à un groupe de pays d’une manière simultanée. 

[1] Une version plus développée de ce texte est disponible à http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article35657 

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