10 juin 2025 |Tiré de la lettre de Regards.fr
06:10 (il y a 3 heures)
Finito la dédiabolisation, la cheffe de l’extrême droite française se « trumpise » avec ses semblables européens autour d’un adversaire commun : l’UE.
Un an après les élections européennes de juin 2024, Marine Le Pen s’est offert, en plein Loiret, un jubilé de victoire (relative) des extrêmes droites du continent. Dans une mise en scène soigneusement orchestrée, entre drapeaux nationaux et accents martiaux, elle a célébré le premier anniversaire de la création de son groupe au Parlement européen en compagnie de ses alliés : le premier ministre hongrois Viktor Orbán, le néo-franquiste espagnol Santiago Abascal (Vox), le nazillon autrichien Herbert Kickl (FPÖ), le fasciste italien Mateo Salvini (Ligue du Nord) et Jordan Bardella, désormais président de groupe et dauphin désigné. Une Europe des nations, contre Bruxelles. Une Internationale des nationalistes, contre la gauche, les juges, les immigrés et les minorités. Une scène. Et derrière, un virage stratégique majeur.
Marine Le Pen, depuis 2017, s’était appliquée à lisser sa rhétorique sur l’Europe. Finie la sortie de l’euro, oubliée la tentation du Frexit, elle s’était faite gestionnaire de la souveraineté. Mais à Mormant-sur-Vernisson, elle est redevenue ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : une adversaire frontale de l’Union européenne. Elle l’a qualifiée de « tombeau de promesses politiques non tenues », de machine « woke et ultra-libérale », jugeant que l’heure n’était plus à la réforme de l’intérieur mais à la reconquête : « Nous ne voulons pas quitter la table. Nous voulons terminer la partie et gagner. »
La formule résume une stratégie : renverser Bruxelles de l’intérieur. Affaiblir la Commission. Asphyxier le Parlement. Coaliser les forces identitaires, climatosceptiques, autoritaires. Et redonner à chaque capitale le droit de s’opposer à la solidarité européenne. L’Union n’est plus un cadre de négociation : c’est un ennemi. Et elle entend le diriger depuis Strasbourg.
Cette offensive est menée avec Viktor Orbán, dont Marine Le Pen se rapproche plus que jamais. Le chef du gouvernement hongrois, mis au ban par Bruxelles pour atteinte à l’État de droit, trônait à ses côtés. Plus qu’un allié, un frère d’armes. Avec lui, Le Pen ne partage pas seulement une alliance stratégique : elle épouse une vision du pouvoir. Répression des ONG, contrôle des médias, priorité nationale à l’économie, rejet de l’immigration et mise au pas des contre-pouvoirs. Ce n’est plus l’extrême droite marginale : c’est un projet d’alternative civilisationnelle.
Ce tournant s’était déjà amorcé le 1er mai 2025 : pour la première fois, Marine Le Pen avait publiquement adopté le lexique anti-« wokisme », jusqu’ici manié avec prudence. Loin de sa rhétorique souverainiste classique, elle a accusé la gauche, les féministes, les antiracistes d’« imposer leur vision du monde », reprenant les codes sémantiques forgés par la droite américaine. L’héritière du FN, longtemps méfiante à l’égard des guerres culturelles, est désormais pleinement engagée dans la bataille culturelle — et idéologique.
Et puis il y a Trump. Longtemps, Marine Le Pen avait tenu à distance le président américain. Trop instable, trop provocateur, trop dangereux. Elle s’en distinguait pour mieux rassurer les électeurs français. Mais voilà qu’aujourd’hui, elle en mime sa posture et adopte son récit de persécution. Après sa récente condamnation judiciaire pour détournement de fonds, elle enfile le costume de la martyre politique, persécutée par l’establishment. Une stratégie directement calquée sur celle du milliardaire américain, devenu modèle plus qu’inspiration. Et si elle y fait référence, ce n’est pas un hasard. C’est qu’elle pense que cela peut marcher. Trump n’est plus, pour son électorat, un épouvantail à moineaux. Il est une force. Il est la revanche des humiliés, des « vrais gens » contre les élites mondialisées. En s’alignant sur lui, Le Pen entend galvaniser sa base : elle veut faire croire que l’Histoire est de son côté. Qu’elle aussi, bientôt, passera de l’opposition au pouvoir. Comme Trump en 2016. Comme Orbán depuis 2010.
Ce repositionnement dur n’est pas qu’européen. Il vise aussi à affirmer son hégémonie sur la droite française. En ligne de mire : Bruno Retailleau. Le président des LR tente, du haut de son magistère de Beauvau, de se positionner comme tête de proue d’une droite ultraconservatrice et autoritaire. Mais il demeure symbole d’un vieux monde politique, asséché, solitaire. En s’affichant avec des chefs d’État et de parti d’envergure continentale, Marine Le Pen se pose en figure d’autorité : elle organise des sommets avec des puissants et prépare l’OPA mondiale des extrêmes droites.
Ce tournant idéologique, stratégique et symbolique n’est pas un simple glissement. C’est une offensive. Marine Le Pen a digéré sa dédiabolisation. Elle veut incarner le pouvoir, la victoire, la force. La gauche ne peut plus se contenter de la renvoyer à son passé familial ou à son programme économique vide. Elle doit comprendre ce que ce discours produit : un sentiment d’ordre, de virilité politique, d’unité culturelle. Si Le Pen se met à parler comme Trump, ce n’est pas une erreur de communication. C’est un calcul : pour le RN, la France aussi est mûre pour l’extrême droite populiste. Pour gouverner avec Orbán. Avec Trump. Et sûrement aussi avec Poutine.
Pablo Pillaud-Vivien
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