Un bloc bourgeois solidaire du cours actuel du gouvernement de Washington se consolide au Canada
Élu comme le meilleur défenseur de l’autonomie canadienne, le gouvernement Carney a multiplié les alignements sur les desiderata de l’administration Trump. C’est dans la sécurisation des frontières et la mise en place de politiques d’immigration de plus en plus restrictives qu’il s’est le plus nettement plié aux volontés de Washington. Il a commencé par durcir les contrôles frontaliers et renforcer les effectifs policiers à ce niveau. Le gouvernement Carney prévoit de ramener la part des migrants temporaires (étudiants étrangers, travailleurs temporaires) à moins de 5 % de la population canadienne d’ici la fin de 2027. L’objectif se traduit aussi par une réduction progressive des admissions de résidents permanents. Il prétend ainsi alléger la pression sur le logement, les services publics et les infrastructures.
Par nombre de ses grands projets, il ouvre également la voie à un nouvel extractivisme fossile. Il promeut la filière des minéraux critiques utiles aux industries militaires et subventionne les centres de données, grands consommateurs d’énergie. Et s’il faut pour ce faire mépriser les droits des Premières Nations, le gouvernement canadien n’hésite pas à le faire. L’abandon du plafond sur les émissions pétrolières et gazières, les passe-droits environnementaux accordés aux projets fossiles constituent autant de reculs dans la lutte contre les changements climatiques, dénoncés au sommet de Belém où le Canada a remporté le prix « d’État fossile ».
La réponse positive donnée à l’administration Trump concernant les dépenses militaires illustre également l’adaptation du gouvernement Carney aux pressions de Washington. Le dernier budget témoigne de la volonté du premier ministre de porter les dépenses militaires à 5 % du PIB. Il prévoit plus de 70 milliards pour les cinq prochaines années afin d’acheter des F-35, des sous-marins et de construire des frégates. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, le Canada oriente plus du tiers de son budget total vers la défense, au détriment des politiques sociales, climatiques et de sa propre souveraineté.
Le gouvernement Legault, partie prenante du bloc bourgeois canadien
Le gouvernement Legault défend l’ensemble des orientations stratégiques du gouvernement Carney : relance de l’économie par un soutien massif à l’industrie de l’armement, exploitation accélérée des ressources naturelles, reculs dans la lutte contre les changements climatiques, coupures systématiques dans les services publics et adoption d’une série de mesures restrictives en matière d’immigration.
Inspiré par le plan fédéral de réarmement massif, le gouvernement Legault veut que le Québec devienne un acteur majeur de l’industrie militaire. Pour ce faire, il veut intégrer plus étroitement l’économie québécoise aux chaînes d’approvisionnement militaires nord-américaines. Déjà, le gouvernement de la CAQ rêve de la production d’avions militaires par Bombardier et se dit prêt à mobiliser des fonds publics pour concrétiser ce projet. Le projet de doubler la production d’électricité ne vise pas d’abord à répondre aux besoins de la population, mais à offrir aux entreprises multinationales une électricité à faible coût, que ce soit pour l’établissement de vastes centres de données, d’entreprises de batteries électriques ou de production d’hydrogène dit « vert ».
C’est la lutte contre les changements climatiques qui en fait les frais. Le gouvernement reporte de quatre ans la transition énergétique et freine les mesures de décarbonation, affaiblissant l’action à court terme. Il assouplit certaines mesures environnementales afin d’accélérer les autorisations de projets ; il propose de détourner des sommes du Fonds vert vers d’autres usages, limitant ainsi les investissements consacrés à la lutte climatique ; il refuse de financer les municipalités pour leur permettre de faire face aux impacts croissants des changements climatiques. Il ne tient aucun compte des recommandations des experts concernant le relèvement des cibles climatiques.
François Legault multiplie les attaques contre les personnes migrantes et les rend responsables de tous les maux qui affligent la société québécoise : crise du logement, manque d’accès aux soins, développement de l’itinérance… Passant de la parole aux actes, il réduit les seuils d’immigration permanente à 45 000 par année et adopte des mesures qui compliquent l’obtention de la résidence permanente. Il ajoute une couche en prétendant « renforcer la laïcité », alors qu’il retire des droits aux minorités religieuses, en visant particulièrement les femmes musulmanes. Il est soutenu dans ces politiques xénophobes par le Parti québécois de PSPP qui adopte une rhétorique similaire.
Les élites nationalistes du Québec font donc bloc avec la bourgeoisie canadienne. Elles ferment les yeux sur son militarisme croissant, son alliance inconditionnelle avec Washington et sa responsabilité dans la destruction écologique de la planète.
L’indépendance du PQ ou l’acceptation d’une indépendance de pacotille fondée sur une stratégie irresponsable
L’indépendance proposée par PSPP n’est pas une véritable indépendance : le Québec demeurerait assujetti aux politiques de l’empire américain. Ce serait une indépendance croupion. « Un Québec indépendant devra aligner ses politiques économiques et militaires sur celles des États-Unis, malgré la guerre tarifaire menée par Donald Trump », affirme Paul St-Pierre Plamondon. « Il y a un contexte géopolitique et nos intérêts, au Québec, sont alignés sur ceux des États-Unis », a-t-il déclaré en dévoilant les premiers éléments de son Livre bleu sur un Québec souverain (Patrick Bellerose, Journal de Québec, 6 novembre 2025).
Cette vision de l’indépendance implique le refus de remettre en question la société néolibérale, la politique militariste que Washington veut imposer et le déni de la réalité des changements climatiques par cette administration. Si le projet d’indépendance accepte l’alignement des politiques économiques et militaires d’un Québec souverain sur celles des États-Unis (adhésion à l’OTAN et au NORAD), il s’agit d’une indépendance néocoloniale où la souveraineté du peuple est sacrifiée sur l’autel de l’impérialisme américain. Le PQ de PSPP propose ni plus ni moins un Québec néocolonial. C’est pourquoi une gauche écosocialiste ne saurait être du même camp que celui du PQ. L’indépendance du Québec devra être anti-impérialiste, ou elle ne sera pas — particulièrement dans le contexte géopolitique actuel.
La stratégie péquiste se limite à l’annonce d’un référendum sur l’indépendance. Pourtant, la tâche de l’heure est de gagner la majorité populaire en faveur de l’indépendance du Québec. Or, une majorité de la population ne la soutient pas aujourd’hui. Une vaste majorité ne souhaite pas la tenue d’un référendum. La question de l’heure n’est donc pas d’enclencher une campagne référendaire indépendamment de ses chances de succès, mais de construire patiemment cette majorité. Une telle majorité ne peut se cristalliser sur un double discours qui prétend, d’une part, rallier la droite et la gauche indépendantistes indépendamment de tout projet de société, et qui affirme, d’autre part, qu’un Québec indépendant demeurerait soumis aux rapports de force géopolitiques nord-américains. Une indépendance sans contenu n’existera jamais. Soit elle s’inscrit dans une démarche d’affirmation anti-impérialiste, soit elle ne sera qu’une néocolonie. C’est pourquoi la stratégie péquiste est irresponsable, vouée à l’inefficacité et susceptible de mener à des revirements brusques rappelant l’histoire du PQ, qui a tantôt tenté « le beau risque » d’un renouvellement du fédéralisme, tantôt repoussé indéfiniment la tenue d’un référendum et la rupture avec l’État canadien.
La construction de la majorité indépendantiste passe par un front des luttes populaires
Les syndicats défendent le pouvoir d’achat et résistent à l’arbitraire patronal. Les groupes écologistes mobilisent contre la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité et pour la protection de l’environnement. Les groupes féministes luttent contre la paupérisation des femmes et les violences qu’elles subissent. Les groupes autochtones défendent leurs territoires et leurs droits ancestraux. Les groupes communautaires s’opposent à la crise du logement et à la montée de l’itinérance. Les mouvements pour la paix refusent la transformation du Québec en base arrière de l’industrie militaire et soutiennent les peuples en lutte pour leur liberté. Les mouvements étudiants affrontent la précarité et l’endettement. Les mouvements antiracistes et les organisations de travailleurs et travailleuses migrantes combattent la stratégie de division qui transforme les personnes racisées en boucs émissaires des maux sociaux, à travers des politiques d’immigration restrictives et une laïcité identitaire et répressive.
Le moment arrive où il devient évident que les dépenses militaires, la préparation à la guerre et les politiques écocidaires des gouvernements des États-Unis, du Canada et du Québec se font au détriment des intérêts de la majorité populaire du Québec, et que l’indépendance s’impose comme seule solution.
Mais ce moment ne pourra advenir que si les organisations syndicales, féministes, écologistes, antiracistes, autochtones et populaires parviennent à construire un front uni contre les politiques des gouvernements Carney et Legault. Seul un tel front pourra permettre de passer de luttes défensives et fragmentées à une lutte offensive capable de présenter un projet alternatif fondé sur la justice sociale et climatique, la décolonisation réelle des Premières Nations et des gains concrets contre la militarisation de l’économie (comme la conversion des entreprises militaires en entreprises productrices de biens utiles à la transition écologique), de même que la reprise en main citoyenne des biens communs — énergie, forêts, eau, mines — afin de répondre aux besoins de la population. Cette offensive pourra ouvrir la voie à la question du pouvoir politique de la majorité populaire dans un Québec souverain.
Mais ce front uni ne se heurtera pas qu’au gouvernement du Québec, allié du bloc bourgeois, mais aussi au gouvernement fédéral et à sa défense de l’État impérialiste canadien, promoteur du militarisme et du capital fossile. C’est pourquoi un tel front devra être capable de remettre en cause l’intégrité même de cet État. Il ne pourra advenir que sous la pression d’un vaste mouvement populaire capable de se déployer à l’échelle de tout l’État canadien, particulièrement dans un contexte marqué par la montée de l’extrême droite au sud de la frontière. Le mouvement ouvrier et populaire du reste du Canada n’a aucun intérêt objectif à défendre l’impérialisme canadien ni son État, qui mène aujourd’hui une offensive contre ses acquis sociaux et contre les droits des Premières Nations.
Il est donc impératif, pour le peuple québécois comme pour la classe ouvrière du reste du Canada, de construire des alliances durables et des solidarités actives avec les forces progressistes et les nations autochtones. C’est de cette unité des luttes que pourra émerger une alternative commune à l’ordre impérialiste et colonial : un projet de libération fondé sur la souveraineté des peuples, la justice sociale, la décolonisation et la transition écologique.
L’indépendance, un levier pour remettre en question le bloc bourgeois qui organise la domination fédéraliste et l’exploitation de la majorité laborieuse
Face à ce carcan que constitue l’État canadien pour la majorité populaire, il n’existe pas de demi-mesures. L’indépendance n’est pas une question identitaire ou culturelle : elle est la condition matérielle d’une rupture réelle avec un système qui sacrifie le territoire, l’environnement, les services publics, les droits démocratiques et les conditions de vie des classes populaires. Sans indépendance, le Québec restera prisonnier d’un régime qui protège les profits des pétrolières, impose des politiques anti-immigration racistes, intensifie la surveillance militarisée et bloque toute transition écologique digne de ce nom.
Il faut donc redonner à l’indépendance son sens véritable : celui d’un outil de libération. Un peuple qui n’a pas de pouvoir constituant, pas de souveraineté financière et pas de contrôle sur ses ressources ne peut ni rompre avec le capitalisme extractiviste, ni planifier démocratiquement son économie, ni organiser une transition écologique juste, ni garantir des droits sociaux élargis.
L’indépendance est la clé qui ouvre la possibilité d’en finir avec la domination économique et politique d’Ottawa et du capital canadien.
Mais pour que cette indépendance soit porteuse d’émancipation, elle doit être arrimée aux luttes concrètes : luttes syndicales, féministes, écologistes, antiracistes, étudiantes, autochtones, communautaires. Une stratégie qui esquive la question de la souveraineté s’enferme dans un réformisme défensif face à un État canadien qui impose ses priorités, dépossède le Québec de ses richesses et appuie l’impérialisme américain. À l’inverse, un indépendantisme qui se range derrière l’OTAN, qui refuse de dénoncer le trumpisme comme néofasciste, qui reprend les discours anti-immigration ou qui accepte la géostratégie nord-américaine trahit les aspirations populaires et renforce les dominations qu’il prétend combattre.



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