C’est encore une fois la notion de laïcité qui est mobilisée pour justifier le fait que l’État puisse s’insérer jusque dans la garde-robe de jeunes Françaises. Cette notion est effectivement de plus en plus utilisée par certains États contemporains (notamment français et québécois) pour justifier l’ostracisation d’une frange de la population, la plupart du temps musulmane.
Rappelons quelques faits : la laïcité est élaborée en France durant la IIIe République, alors que des gouvernements monarchiques rôdaient encore à Versailles. La laïcité a alors été instituée comme l’établissement constitutionnel d’un rapport de pouvoir entre deux institutions, à savoir la religion et l’État. Rapport de pouvoir entre deux institutions, donc, et non pas une vertu que doit incarner chaque citoyenne à travers son habillement1.
Cette loi et ses semblables sont présentées comme des textes visant à combattre le « communautarisme ». Or ces lois racistes ont l’effet inverse : elles créent un « autre » qui n’appartient pas à la communauté politique du pays. Cet autre, on l’aura deviné, est aujourd’hui en France le musulman, qui ne peut alors que difficilement développer un sentiment d’appartenance commune envers une « république » et ses représentants qui méprisent son identité. D’un autre côté, ces lois participent activement au développement d’un sentiment d’insécurité chez une partie de la population non musulmane, ce qui sert le pouvoir d’État.
Le sentiment d’insécurité dans une société participe effectivement à justifier l’extension toujours plus importante de l’État et de son pouvoir policier. Cette logistique gouvernementale ne date pas d’hier : un bref survol de l’histoire suffit pour voir apparaitre de nombreux exemples où les gouvernants ont su mobiliser les masses autour d’eux en incitant chez elles ce sentiment d’insécurité. « Atteinte à la République », « attaque politique » : la rhétorique belliqueuse de l’Élysée pour décrire le port d’une robe traditionnelle est d’ordre militaire ; elle évoque une menace et incite donc à la peur.
Ce type de rhétorique de la peur est aussi très présent ces dernières années dans l’espace public québécois. Le premier ministre François Legault affirmait en septembre dernier que l’accueil de plus d’immigrants serait « suicidaire » pour la nation québécoise. On doit entendre ici que les gens venus « d’ailleurs » menacent l’existence même de la culture et l’identité même du « peuple » québécois. Durant cette même période électorale, alors que les différents prétendants au pouvoir étatique redoublaient d’efforts pour s’attirer les faveurs de l’électorat, Jean Boulet, alors ministre de l’Immigration du Québec (et toujours en fonction en tant que Ministre du Travail et Ministre responsable de la région de la Mauricie et de la région du Nord-du-Québec, rappelons-le), affirmait le mensonge selon lequel « 80% des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ». Bien entendu, il s’agit, en France comme au Québec, de problèmes irréels et phobiques, mais là n’est pas la question : le fait de les évoquer sur la place publique nourrit le sentiment de menace chez un « vrai » peuple, qui accepte alors aisément d’avoir un État plus « fort », c’est-à-dire un État qui accapare toujours plus de pouvoir sur la société et sur les individus qui la composent.
Laurent Desjardins
Note
1. Comme l’illustre bien Jacques Rancière, dans « Les trente inglorieuses : scènes politiques : 1991-2021 », publié chez La Fabrique, 2022.
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