Édition du 23 avril 2024

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Altermondialisme

L’alter-mondialisme en Afrique : le devoir d’insoumission

S’inspirant des pratiques sociales d’innovation, de résistance et de propositions mises en avant par le FSM, le Forum social africain va naître d’une volonté de fédérer au niveau continental des mouvements épars et de construire un discours commun. Il va également être la concrétisation de l’élargissement important du mouvement : élargissement géographique (forums continentaux, polycentriques, nationaux et locaux…), social (mouvements paysans, de Sans-terre, syndicats, migrant-e-s, femmes…) et thématique.

C’est sur les ravages de la mondialisation néolibérale et du capitalisme mais aussi sur le terreau de l’anticolonialisme et des conquêtes démocratiques passés que l’altermondialisme africain voit le jour dans les années 1990. Échaudée par les dégâts causés par les plans d’ajustement structurel (PAS), la dette et autres politiques du FMI et de la Banque Mondiale, la société civile africaine va commencer à se (re)mobiliser (grèves, boycotts, luttes contre la privatisation et pour la défense des services publics, émeutes anti-FMI...) autour du principe de l’accès aux droits pour tou-te-s et en refusant la subordination au marché.

Loin d’êtres passifs face à l’exigence de rentabilité maximale et à la dynamique d’accumulation de l’Occidentprédateur, c’est aussi au phénomène de « corsetage » de l’action associative en Afrique pour la mise en place des politiques néolibérales de l’Union européenne (accords de Cotonou, APE) que les partis politiques, les associations et les réseaux militants africains vont réagir, dénoncer et s’attaquer.

Ce mouvement, qui contient en germes les éléments d’une nouvelle réflexion sur le « socialisme » (socialisation des biens communs, des richesses et des moyens de production), associé au souci de rendre inaliénables les biens communs de l’humanité (eau, air, terre, connaissances) s’oppose à un rapport Nord/Sud où les effets les plus désastreux du libre-échange se produisent principalement dans le Sud et encore plus cruellement en Afrique. « Une autre Afrique est possible », inspiré par « un autre monde est possible », se construit donc comme lui autour d’axes clairs : résistance, refus de la fatalité et mise en avant d’alternatives.

A partir de la révolte de Seattle en 1999 et avec le premier Forum social mondial (FSM) à Porto Alegre en 2001, un début de convergence des résistances sociales va se produire et les mobilisations vont voir se réunir des militant-e-s de tous les pays. Cette nouvelle culture politique contestant le monopole de l’expertise dominante et de la pensée unique au profit de l’expertise citoyenne va dynamiser le mouvement altermondialiste en Afrique en développant d’autres sujets que la dette et l’ajustement structurel comme l’étranglement de l’agriculture paysanne africaine par les subventions aux agriculteurs occidentaux, l’imposition de semences génétiquement modifiées ou l’accès aux services sociaux de base (santé, éducation, eau, électricité).

S’inspirant des pratiques sociales d’innovation, de résistance et de propositions mises en avant par le FSM, le Forum social africain va naître d’une volonté de fédérer au niveau continental des mouvements épars et de construire un discours commun. Il va également être la concrétisation de l’élargissement important du mouvement : élargissement géographique (forums continentaux, polycentriques, nationaux et locaux…), social (mouvements paysans, de Sans-terre, syndicats, migrant-e-s, femmes…) et thématique. En 2002 a ainsi lieu le premier Forum Social Africain à Bamako (Mali) qui va enrichir et renforcer le mouvement social sur le continent. Préparé par plusieurs milliers d’organisations africaines à travers des forums nationaux, sousrégionaux ou thématiques, cette rencontre a permis de faire vivre de véritables espaces de dialogue entre paysans, politiques, ONG du Nord et du Sud ; et d’unifier les diverses mobilisations sur le continent.

Confronté à la problématique du « sous-développement » qui fragilise l’action, les différentes luttes locales peuvent ainsi s’unifier et tisser des liens entre pays, reconstituant les formes d’un nouveau panafricanisme, condition essentielle pour créer un mouvement de masse capable de proposer des alternatives concrètes au système actuel.

Le continent est aujourd’hui le théâtre de créations de lieux, forums, marches, contre-sommets, rencontres ou manifestations où les populations civiles, les associations et diverses organisations prennent la parole, confrontent leurs analyses et expériences afin de développer des méthodes ou théories « alternactives » capables de changer les rapports de forces politiques et de construire un développement pensé et exécuté par les Africains et pour les Africains. Forum social africain, forum des Peuples (contre-point africain au G8), forum africain des alternactives, forum du Tiers Monde, réseau Jubilé Sud, CADTM (annulation de la dette) ou mouvements citoyens,… : la liste des mobilisations traverse tout le continent. Abordant des sujets aussi variés que la condition des paysans, la souveraineté alimentaire, les libertés politiques, le rôle des nouvelles technologies dans le développement des luttes ou le poids de la guerre, les militant-es passent de la conscience à l’action, s’auto-organisent et cherchent à valoriser les dynamiques endogènes des différents tissus sociaux locaux.

Dans ces rencontres, les participant-e-s viennent par tous les moyens (à pied, covoiturage, taxis collectifs…) ; l’hébergement est militant et Internet et la téléphonie mobile sont particulièrement utilisés pour diffuser rapidement les informations. Des bulletins d’information électroniques sont également mis sur pied tel Flamme d’Afrique (quotidien évènementiel) ou Syfia (réseau de journalistes). En janvier 2007, l’organisation du FSM à Nairobi (Kenya) symbolisait ainsi la solidarité du mouvement altermondialiste avec le continent considéré comme le symbole des dégâts causés par le libéralisme économique.
L’événement, qui a réuni plus de 30000 participant-e-s venues du monde entier, et également de nombreuses-x militat-e-s africain-e-s, a été un succès, mais a aussi révélé les fragilités du processus. Celles-ci étaient déjà perceptibles en 2006 quand le FSM avait été « décentralisé » en trois lieux dont Bamako au Mali. Une participation moindre, des droits d’inscription trop élevés, l’absence des Africain-e-s « non-francophones » et un public plus européen qu’africain avaient causé des problèmes pouvant avoir des conséquences sur la qualité et le devenir même du mouvement. A Nairobi, beaucoup de délégué-e-s africain-e-s dépendaient encore, pour leur participation, d’un financement d’ONG du Nord, ce qui a posé la question de la dépendance et de la sélection dans le choix des participant-e-s.

Un fort désir de clarification du processus et le besoin de radicalité traversent aujourd’hui le mouvement altermondialiste africain. Opposé au néolibéralisme du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) dont le seul but est d’intégrer l’Afrique au sein des actions mondiales, le mouvement tente de s’attaquer à la racine du mal en dépassant la simple critique du néolibéralisme pour contribuer à la construction d’alternatives concrètes.
Plusieurs courants existent dans le mouvement, certains défendant l’idée d’une collaboration avec l’Union Africaine malgré son ancrage néolibéral, tandis que d’autres sont confrontés aux schémas pervers de domination qui se reproduisent même lors des grandes rencontres. Ainsi, le Forum social africain d’Addis-Abeba en 2003 n’aurait pas pu se tenir sans le soutien de la coopération française... La question des moyens est donc ici cruciale, doublée de celle des rapports avec les institutions internationales et les ONG occidentales. L’autre grand défi est de relayer les voix d’une population plutôt en lutte pour sa survie quotidienne que pour la transformation des structures. Notre énergie à nous, de ce côté de la planète, doit être tournée vers l’appui et le soutien à ces mouvements, sans substitutisme. Le travail nous attend jusqu’au prochain Forum social mondial en 2011 à Dakar. Notre utopie est peut-être la réalité de demain.

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