Édition du 16 avril 2024

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La longue marche du peuple bolivien vers la démocratie

Le 25 janvier 2009, un référendum populaire a approuvé à environ 60% l’introduction d’une nouvelle constitution en Bolivie. C’est une victoire spectaculaire, obtenue de haute lutte et qui change fondamentalement les rapports sociaux et politiques entre les composantes de ce pays. L’existence des Amérindiens (appelés originaires en Bolivie) y est ensachée avec tous les droits politiques, sociaux et économiques qui s’y rattachent. Comme l’a déclaré Evo Morales président du pays, c’est vraiment la fin de l’État colonial.

En 2005, Evo Morales est élu président sous la bannière du parti du mouvement pour le socialisme (MAS). C’était un événement de nature révolutionnaire dans ce pays où les créoles ont toujours dominé la vie politique et économique. Morales est Amérindien. Trois ans plus tard, la lutte acharnée entre la droite blanche et la gauche amérindienne est à son sommet.

La Bolivie n’est pas encore sortie des rapports coloniaux qui ont caractérisé les pays d’Amérique latine jusqu’à il y a peu. Comme tous les autres, elle a connu les dictatures militaires avant de passer à des gouvernements de droite élus, mais dont les politiques ont toujours ignoré la majorité de la population. La Bolivie est le seul pays des Amériques à compter une majorité d’indigènes, soit 62% de sa population. Mais cette majorité est pauvre et exploitée depuis l’invasion espagnole. Elle n’a jamais accepté d’être soumise et a toujours manifesté son aspiration à la liberté. L’histoire de ce pays est marquée par de grands soulèvements, 1789, 1874, 1899 et de bien d’autres au cours du vingtième siècle. Il y a, en fait, une guerre continue entre les indigènes, les envahisseurs et maintenant leurs descendants. (Ramino Lizondo Diaz, sur le site : Michel Collon.com, sept. 2008).

Ces batailles rangées contre les patrons dans l’agriculture, dans le secteur minier, contre la privatisation de l’eau à Cochabamba, et contre les gouvernements antérieurs se sont poursuivies ces dernières années. Celle pour la nationalisation du gaz et du pétrole est encore fraîche à notre mémoire. À chaque fois, il y a eu des morts dans des affrontements avec les forces de l’ordre, des assassinats ciblés perpétrés contre les protestataires, des disparitions de militants syndicaux et populaires.

Mais une victoire est venue avec l’élection d’Evo Morales à la présidence à hauteur de 53,74% des suffrages. Du jamais vu dans ce pays où « habituellement, un chef d’État arrive au pouvoir avec 35% des voies » (Maurice Lemoyne, Le Monde diplomatique sept.2008, p.16).

Outre qu’il soit amérindien (Aymara), Morales est élu avec un programme de gauche qui inclut une réforme constitutionnelle et son parti est composé de diverses organisations politiques et populaires, « dont un courant marxiste et néomarxiste d’origine guerillera… » (Ricardo Calla, ancien ministre des droits indigènes de 2003 à 2005. in Le Monde diplomatique op.cit.). Tout ce qu’il faut pour que la droite se soulève d’une manière ou d’une autre. Cette nouvelle situation lui est intolérable.

Géographiquement, la population indigène est concentrée sur l’Altiplano alors que les descendants des colonisateurs occupent la plaine alluviale de l’est du pays, la partie la plus riche. Administrativement et politiquement, ce sont les 4 départements de cette région qui réclament une plus large autonomie et menacent de se séparer.

En fait, depuis l’élection de Morales et le début de la révision constitutionnelle, les leaders de droite sont entrés en révolte contre le gouvernement central. Leur action s’est d’abord limitée au jeu politicien traditionnel : ils ont eu des exigences quant à la démarche de l’assemblée constituante chargée de voir à cette révision. Cette assemblée était composée des représentants de toutes les couches de la population, des divers partis politiques et autres organisations civiles et politiques. Son travail devait mener à la rédaction de la nouvelle constitution pour qu’elle soit ensuite soumise au parlement. La droite a demandé et obtenu que les décisions de la constituante soient adoptées à une majorité des deux tiers. Cela a été accepté. C’était leur donner une marge de manœuvre qui leur a permis de bloquer les travaux. Les échéances étant fixées préalablement, le gouvernement a dû réagir pour ne pas que le projet constitutionnel tombe à l’eau. Il a décidé unilatéralement de modifier les dates d’échéance et la droite a vite utilisé cette occasion pour crier à l’absence de démocratie, au gouvernement autoritaire et a renforcé son opposition.

La bataille constitutionnelle implique des modifications majeures, révolutionnaires. En font parti, le partage des revenus de la vente du pétrole. Le gouvernement Morales a nationalisé les compagnies pétrolières et gazières étrangères il y a maintenant environ deux ans. La Bolivie est le deuxième producteur sud-américain de pétrole et de gaz. La nouvelle constitution maintient le partage, entre le gouvernement central et les départements, d’une taxe sur les ventes de pétrole et du gaz à un niveau plus élevé qu’il ne l’était précédemment. Mais cela ne satisfait pas l’opposition.

La nouvelle constitution accorde aussi une ample autonomie aux départements (équivalent de nos provinces) régions et municipalités. L’opposition en réclame encore plus.

En septembre dernier des combats armés ont opposés les militants du MAS et les opposants principalement à Santa Cruz, centre névralgique de l’opposition, et ailleurs dans le pays. Des médiations, assumées notamment par l’Argentine et le Chili, ont aboutit à une entente sur les mécanismes devant mener au référendum. Les diplomates argentins ont alors fait appel à la communauté internationale pour soutenir le gouvernement légitime de Bolivie en condamnant les manœuvres américaines dans la situation. Le gouvernement Morales a de son côté expulsé l’ambassadeur américain qui s’était réfugié à Santa Cruz.

Les représentants argentins ont souligné que le dialogue avec l’opposition était, à l’époque, pour ainsi dire impossible ‘…tant ces gens font preuve d’un sectarisme et d’un racisme inouï.(…) ils nous expliquent tout naturellement et sans la moindre gêne qu’ils ne peuvent pas recevoir d’ordres d’un Indien [1]

L’opposition invoque aussi qu’enchâsser les droits et valeurs amérindiennes dans la constitution c’est nier que c’est le capitalisme libéral qui a créé la richesse chez eux [2].

La nouvelle constitution implante aussi la séparation entre l’Église et l’État. Elle reconnaît toutes les religions et le droit de pratiquer mais met un terme à l’immixtion de l’Église catholique dans les affaires de l’État. On imagine facilement la levée de bouclier que cet article soulève chez une des composantes de l’opposition dans ce pays où l’Église a toujours participé au pouvoir.

Il est donc remarquable que la nouvelle constitution ait pu être soumise au vote populaire dans un tel contexte, et que tout ce soit passé dans le calme et la discipline. C’est une preuve de la grande maturité politique de cette population qui a su conquérir son autonomie et ses droits contre toutes les embûches.

Mais le pays reste divisé : 5 départements sur 9 ont voté non. Leurs dirigeants crient victoire. La population blanche et Métis a, en majorité voté non. Et géographiquement, comme il est dit plus haut, cette majorité d’opposants vit dans l’est du pays alors que la majorité qui a voté oui réside sur l’Altiplano et autour. C’est aussi la victoire des plus pauvres contre les plus riches.

L’avenir n’est pas pavé de roses, mais un pas immense est fait en faveur de la justice et de la démocratie.


Image : Jose Mercader


[1Mario Wainfeld, Deber, dans Courrier international, 12-09-08.

[2International Herald Tribune, 26-01-09 (ma traduction).

Mots-clés : Bolivie International
Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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