Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Charte des valeurs québécoises

La société distincte encore une fois

Chaque fois que le Québec s’engage dans une voie politique différente que celle du consensus commun au Canada anglais, (ce qui inclut une partie des anglophones du Québec), les campagnes malignes de discrédit se déclenchent. Tous les ténors politiques et médiatiques augmentent le volume de leurs hauts parleurs et entonnent un refrain connu depuis des décennies : « Vous attaquez les droits fondamentaux des individus, vous êtes xénophobes et bien trop autocentréES ».

Cette réaction, qui nous vaut en ce moment des comparaisons avec l’esclavage aux États-Unis, revient ces temps ci à la faveur du projet de législation sur la laïcité qui ne dit pas son nom. Elle me semble reposer sur deux bases actives depuis longtemps dans nos rapports communs. Je m’étendrai plus dans ce billet sur celle qui soutient les différences dans les conceptions du rapport de l’État avec les religions.

Deux conceptions

Nous sommes tributaires en ce moment de ces deux conceptions du rapport de l’État avec les religions, et même avec le religieux. En France, dont une bonne partie d’entre sommes proches, l’État est laïc en ce sens qu’une rupture historique a été opérée entre toute forme de manifestation religieuse en son sein lorsque la révolution de 1789 a mis fin à la royauté de droit divin et à l’emprise de l’Église catholique dans ses affaires. Les droits des citoyenNEs d’adhérer et pratiquer une religion leurs sont garantis mais comme droit privé. Les institutions religieuses n’ont aucun rôle public particulier à jouer mais l’État leur assure des fonds pour leur patrimoine. Le dernier qui subsistait, celui de l’enseignement public, leur a été retiré par la loi de 1905. Ce qui nous a valu un afflux de communautés religieuses immigrantes.

L’État français est donc laïc en ce sens qu’aucune religion ne peut intervenir dans les affaires publiques.

Aux États-Unis, ce qui domine c’est l’obligation de l’État à faire respecter le droit des citoyenNes en matière religieuse. C’est avec la religion d’État héritée de l’Angleterre que la nouvelle république a rompu lors de sa déclaration d’indépendance. Une bonne partie des colons installés en Nouvelle-Angleterre avaient choisi cette immigration pour fuir les persécutions religieuses dont ils étaient l’objet. La royauté n’admettait aucune autre religion que la protestante avec son organisation bien propre. Jamais la république américaine n’a rompu avec le religieux au contraire. Encore maintenant, les discours des présidents, quels qu’ils soient se terminent par « God Bless America ! ». Et on trouve toujours sur les billets verts, l’inscription : « In God We Trust ! » On trouve dans ce pays une quantité inimaginable de groupes religieux de toutes obédiences qui ont facilement le statut de religion et les bénéfices pécuniaires qui y sont rattachés en matière d’impôt notamment. Il y a même une industrie du religieux : radios, télévisions, journaux, etc. etc. Une bonne partie des services sociaux et médicaux y sont aux mains des Églises.
Ce qui domine ici c’est le droit individuel à la religion de son choix et les manifestations publiques de ce choix ne font pas débat.

Nous sommes devant un État séculier, neutre en matière de religion, pour qui la protection des droits individuels à la religion est un devoir. Je viens d’apprendre d’ailleurs, qu’il n’y aurait pas de traduction anglaise du mot laïcité. Seul le mot secular (séculier) existerait.

Au Canada…

Dans la plupart des pays développés où règne la démocratie libérale les droits individuels sont consacrés. Au Canada, la nouvelle charte des droits de 1982, à laquelle le Québec n’a jamais souscrit, joue ce rôle. Elle renforce les droits des individus avec toutes leurs caractéristiques particulières dont le droit de religion sans vraies limites aux manifestations publiques qui peuvent en découler. Et le gouvernement Harper, très proche des groupes religieux protestants endosse pleinement cette façon de voir et d’interpréter les droits.

Je pense les QuébécoiEs sont pris entre ces deux conceptions de la laïcité/neutralité étatique.

En plus de subir les vieux préjugés du ROC (reste of Canada), nous ne partageons pas tous et toutes avec lui, la même aspiration au rôle de notre État. Le Canada anglais, (pour faire court en négligeant la diversité des opinions) par la voix des ses commentateurs-trices dominantEs nous accuse justement d’atteinte aux droits individuels avec le projet de charte en discussion.

Dans l’optique que ces droits prévalent sur des orientations politiques et juridiques issues des débats parlementaires et de l’approbation par les élections, c’est sans doute vrai. Mais est-ce la seule position possible ? Les droits des minorités doivent être respectés sans aucun doute y compris leurs droits à la religion. Mais la laïcité exige l’éloignement de toute manifestation religieuse dans le cadre étatique c’est-à-dire les manifestations de n’importe quelle religion. Le sociologue Guy Rocher nous rappelle, dans ses diverses interventions publiques en ce moment, que la conception de la neutralité de l’État a été renversée depuis les années 60. À l’époque, l’enjeu était que l’État devienne neutre dans sa prestation de services envers toutes les clientèles ; qu’il ne fasse aucune discrimination envers qui que ce soit. Elle n’avait pas le nom de laïcité à ce moment-là mais, d’éminents personnages religieux comme Mgr Parent et sa collègue religieuse le proposait. En ce moment, nous dit-il, on revendique le droit des fonctionnaires et autres prestataires de services publics à être respectéEs dans les manifestations de leur adhésion religieuse.

Ce que le PQ propose dans son projet, avec bien des incohérences, c’est cette conception de la neutralité étatique, un pas de plus vers la laïcité. Elle ne semble pas faire recette. Une pétition que quelque 12,000 personnes ont signée et un large groupe d’intellectuelLEs se prononcent contre en très grande partie sur la base de l’atteinte aux droits des individus qui dans bien des cas est jugée équivalente à une exclusion sociale.

La conception plus américaine de la neutralité de l’État, que le Canada anglais partage et qui semble jouer un rôle non négligeable ici, ne voit aucun problème, n’imagine aucune influence possible au fait qu’unE fonctionnaire dispense le service attendu avec des distinctions religieuses bien visibles. L’autorisation accordée aux Sicks membres de la GRC de porter leur turban au lieu du chapeau officiel en est une preuve. Les populations ne semblent pas non plus s’en offusquer. Il y a bien un certain mouvement aux États-Unis pour la protection de la neutralité dans les écoles et de la part des agnostiques et athées qui se disent non respectéEs dans cette multitude religieuse, mais rien de très probant. Serait-ce que cet assentiment politique au fait religieux soit le bienvenu ?

Dans le cadre fédéral

Il y a de multiples aspects politiques dans ce débats et bien des jeux partisans ; je les mets volontairement de côté. Mais il est impossible de faire l’impasse sur le cadre fédéraliste qui est toujours le nôtre. Il y a peu de législation pour lesquelles un gouvernement s’affichant indépendantiste au Québec peu s’attendre à obtenir l’assentiment de l’establishment canadien anglais. En matière économique quand il s’agit de libéraliser à tout crin, peut-être. Mais autrement……… ? Pourtant, un sondage mené à travers le pays il y a une dizaine de jours montrait que 42% de la population canadienne était d’accord avec la proposition péquiste. L’approbation allait en augmentant dans le centre et l’est. On flaire ici une division entre les dirigeantEs et le peuple.

M. Drainville, le responsable de l’adoption de la charte sur les valeurs québécoises demande au Canada anglais de ne pas se mêler de ce débat qui appartient aux QuébécoisEs. C’est sans doute de bon aloi mais la tradition politique dans le pays ne va pas dans ce sens. Ironiquement, nous sommes toujours perçuEs comme « étrangerÈs » incapables d’adopter les analyses et comportement sociaux et politiques donnés comme les seuls acceptables puisqu’adoptés avec enthousiasme par le ROC.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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