Édition du 6 mai 2025

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“Le gouvernement invisible” de Dominic Champagne – En déséquilibre précaire

Dominic Champagne fut un militant inspiré et inspirant au cours des derniers mois. Sur toutes les tribunes pour protéger le bien commun, il faisait un constat fort pertinent de la situation dans laquelle nous ont mené les partis néolibéraux aux gouvernement lors des récentes décennies. Toutefois, la campagne électorale qui bat son plein actuellement révèle une réflexion inachevée qui nous conduit sur le terrain glissant de la volonté d’unir tout le monde et son contraire contre le gouvernement Charest.

Pourtant l’auteur fait un constat avec intelligence : des enjeux écologistes aux mobilisations étudiantes et aux indignéEs, Champagne souligne l’ampleur du mouvement social qui a éclos au cours des derniers mois au Québec. Il s’identifie avec ces luttes et maintient son implication citoyenne et solidaire avec ces mobilisations. Il cherche toutefois à trouver la prochaine étape et c’est à ce moment que la confusion s’installe.

L’auteur tente de concilier l’inconciliable : il voit un camp des “progressistes” là où le PQ tente de cacher son parti-pris pour les politiques néolibérales qu’il entend mettre en application lorsqu’il aura pris le pouvoir. Or, un simple exercice de mémoire aurait permis à Champagne de constater que le PQ tient un discours qui vise à rallier sa clientèle électorale lorsqu’il est dans l’opposition mais une fois au pouvoir, c’est le parti des espoirs déçus. Et nous pouvons d’ores et déjà craindre que ce sera le même cas après le 4 septembre. Pauline Marois ne cesse de parler des deux côtés de la bouche, de répéter une chose et son contraire tout en se démarquant des grandes revendications du printemps érable. C’est ainsi qu’il faut interpréter son intervention du lundi 27 août alors qu’elle déclarait lors d’une rencontre au Cégep de Sorel (le lieu de naissance de M. Champagne, quel hasard…) que la gratuité scolaire, c’est impossible (Cyberpresse 27 août). Elle prépare le terrain pour l’exploitation du pétrole du St-Laurent. Le PQ est d’ailleurs à l’origine de bien des incitatifs et avantages fiscaux reliés à l’exploration actuelle des ressources pétrolière et gazière. De nombreux ex-péquistes sont devenus les porte-paroles de cette industrie. La cheffe du PQ a récemment fait biffer du programme du PQ la proportionnelle que son parti conservait depuis 1970 mais n’a jamais osé mettre en pratique ! Et inutile de répéter que le PQ s’est prêté allègrement à l’atteinte du déficit zéro et au libre-échangisme. Pas le genre de politiques que l’on souhaite pour la protection du bien commun.

Pour mener le combat en faveur d’un Québec progressiste, il faut savoir choisir ses alliéEs. Champagne raconte qu’au cours de conversations avec des proches, il a élaboré un cabinet de rêve ("dream team") pour un Québec progressiste : on y retrouve, en vrac, Jacques Duchesneau, Steven Guilbault, Claude Beland, Pauline Marois, François Legault et même Guy Carbonneau parmi tant d’autres. Même Amir Khadir et Françoise David s’y trouvent. Ça va de la droite dure à la gauche militante. Un large éventail de personnalités qu’à peu près rien ne relie sauf de compter parmi les personnalités les plus notoires. Mais en terme d’orientation politique, quelle macédoine !… Un tel cabinet n’aurait aucune cohérence. Des intérêts irréconciliables...

Dominic Champagne revendique dans son bouquin la réappropriation des ressources du Québec par l’État au nom de toute la société québécoise. Il souhaite un vaste débat public sur l’avenir énergétique du Québec, une transition vers des énergies propres. Il souhaite une participation populaire large et une démocratie véritable. Il veut un système d’éducation accessible à tous et toutes. Il réclame un meilleur partage des richesses. Il veut une culture dynamique et la protection de la langue française au Québec. Sur ça, pas de problème. Mais pour faire aboutir de tels objectifs, il faut un véhicule politique et des personnes pour vaincre les résistances des intérêts qui s’opposeront inévitablement à ces politiques. Et là réside la faiblesse de la réflexion de Champagne.

Tout d’abord, l’auteur place comme première priorité que les libéraux dégagent. Oui mais est-ce suffisant ? Remplacer les libéraux par les caquistes ou les péquiste, c’est bonnet blanc, blanc bonnet. Ces deux partis ne songent qu’à la prise du pouvoir pour mener à leur tour des politiques que rien ne rapproche des objectifs soulignés par Champagne. Le PQ semble tenter le plus Champagne. Pourtant, tout indique que ce parti aura tôt fait de reléguer aux calendes grecques ses engagements destinés à attirer les secteurs mobilisés de la population québécoise à des fins électoralistes. Le retrait de la proportionnelle du programme du PQ, ses déclarations sur l’impossibilité de la gratuité scolaire, ses tergiversations sur les référendums d’initiative populaire, ses craintes de s’associer au mouvement syndical, sa démission face aux fermetures répétées d’usine et son approche provincialiste sur la question de l’indépendance du Québec, tout concourt à rejeter l’étiquette de “progressiste” pour qualifier le PQ. Trop d’espoir ont été trompés par ce parti pour ne pas se munir d’un scepticisme certain. Minimum...

Plus globalement, rien dans les objectifs sociaux que souhaite Champagne ne sont acceptables dans le cadre du système capitaliste actuel. Il veut plus de démocratie, le capitalisme néolibéral globalisé en souhaite le moins possible, quitte à sortir les matraques et les gaz. Le metteur en scène exige une politique énergétique basée sur les énergies propres, les capitalistes planchent sur de nouvelles sources d’approvisionnement fossiles. Un meilleur partage des richesses ? Le capital ne cesse de creuser l’écart entre les plus riches et les plus pauvres. L’éducation accessible à tous ? Pas dans nos sociétés capitalistes avancées qui veulent une éducation instrumentalisée pour les besoins immédiats de l’industrie et surtout pas trop de philo. Une culture authentique et dynamique ? À l’américaine bien sûr.

Dominic Champagne a occupé un rôle important dans les mobilisations printanières. Il doit demeurer l’un des porte-paroles de ce mouvement citoyen qui a réussi à faire reculer les gazières, pour un temps du moins.. La réflexion qu’il débute peut être une étape vers un vaste échange citoyen sur les objectifs que les mouvements issus du printemps érable et des mobilisations étudiantes, des opposantEs aux gaz de schiste et aux pétrolières et du mouvement des IndignéEs ont initié au cours des derniers mois. Toutefois, un tel débat devra notamment porter sur les moyens et les acteurs et actrices d’un tel mouvement dans le contexte où la vaste majorité des partis politiques actuels sont essentiellement des messagers de l’oligarchie et que celle-ci a souvent démontré sa résistance aux changements exigés par le peuple. Pour éviter les lendemains qui déchantent.

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