Édition du 23 avril 2024

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Livres et revues

La crise et la gauche

Les défis posés à la résistance populaire par la crise financière mondiale

L’Éditeur M vient de publier dans sa collection Mobilisations, un recueil de textes intitulé La crise et la gauche, conséquences sociales et politiques de la crise financière mondiale. Ce texte constitue la traduction française d’un recueil coordonné par Leo Panitch, Greg Albo et Vive Chibber. On y a ajouté d’autres contributions. Pierre Beaudet a écrit la préface à l’édition française.

Le livre ratisse large tant d’un point de vue thématique que d’un point de vue géographique : les racines urbaines des crises financières, le développement de la résistance aux politiques d’austérité, les contradictions de la politique climatique néolibérale, la restructuration de l’industrie automobile aux États-Unis, les soulèvements dans le monde arabe, les particularités de la crise en Amérique latine, la place de la crise chinoise dans la crise mondiale et le débat sur la position à prendre sur la sortie ou non de l’Euro. Des articles importants sur une multiplicité d’enjeux apportent des synthèses stimulantes qui renforcent notre compréhension de la crise actuelle, et ouvrent des discussions stratégiques sur les voies de la résistance à l’offensive contre les acquis des classes populaires. Malheureusement, aucune contribution ne fait la lumière sur l’impact de la crise actuelle sur le renforcement de la surexploitation et de l’oppression des femmes.

En s’appuyant sur différentes contributions du livre, particulièrement sur celle de David McNally, nous reviendrons ici particulièrement le contexte général créé par cette crise par sa profondeur et sa multiplicité, et sur les voies de la résistance aux attaques qui confrontent les peuples du monde.

Vers un approfondissement du modèle néolibéral

Après 25 ans (1982-2007), la période néolibérale connaît une rupture profonde amorcée par la grande récession de 2008. Il s’agit d’une crise économique systémique qui constitue un nouveau moment historique, en d’autres mots une période de profonde instabilité dans le processus d’accumulation du capital qui perdurera pendant plusieurs années, nonobstant les oscillations tantôt positives, tantôt négatives de certains indicateurs économiques. Quatre ans après 2008, le taux d’accumulation ne redémarre pas et le taux d’utilisation des capacités productives des entreprises demeurent en deçà du 80 % dans les principaux pays capitalistes avancés, Canada y compris.

La réponse des élites dominantes à cette crise n’a pas débouché sur le rejet, mais sur un approfondissement du modèle néolibéral dans l’ensemble des pays du Nord. La crise économique mondiale ouverte par la crise des subprimes aux États-Unis en 2008, a correspondu à un approfondissement de l’offensive néolibérale et la mise de l’avant de politiques d’austérité qui se sont concrétisés par de fortes réductions dans les dépenses gouvernementales qui débouchent sur des suppressions d’emplois dans le secteur public, sur des privatisations en chaînes dans l’éducation, dans la santé et la fonction publique, par la tarification des services publics, par des atteintes aux retraites et aux droits syndicaux...

L’objectif de ces politiques d’austérité est qu’il y ait moins de salariÉs dans le secteur public, moins d’infirmières, moins d’enseignants, moins d’employéEs d’entretien municipaux, moins de travailleurs sociaux et de travailleuses sociales... C’est ainsi qu’un segment croissant de la population vit avec des emplois à bas salaires, sans avantages sociaux ni protection sociale. Dans les pays capitalistes dominants, toutes les composantes de l’État providence sont en train d’être réduites...

Dans le secteur privé, les travailleuses et travailleurs font également face à une offensive : fermetures d’usines et délocalisations multiples, augmentation du rythme du travail, production « juste-à-temps », demandes patronales de baisses des salaires... Les types d’attaques utilisées par les capitalistes dans les dernières décennies s’intensifient. Les grandes restructurations restent donc devant nous : en plus d’une augmentation de l’exploitation des travailleurs et des travailleuses, de nombreuses fermetures d’usines seront nécessaires avant que le système puisse retrouver une croissance économique prolongée et soutenue.

Le durcissement des politiques d’austérité

Nous assistons à la mise en place d’une politique d’austérité permanente, politique qui fait consensus dans les classes dominantes. En Amérique du Nord, comme en Europe, État après État le message reste le même : l’ère de l’assurance sociale, du secteur public, de la protection contre les effets négatifs du marché et des augmentations régulières de salaires est bel et bien terminée. L’austérité plus qu’un choix de droitiers zélés est l’expression des besoins du capital. Loin d’être un simple programme idéologique, l’austérité exprime plutôt le pouvoir du secteur financier à discipliner les gouvernements par l’intermédiaire des marchés obligataires.

Les partis politiques des classes dirigeantes voient dans la crise une occasion de déployer la doctrine de choc. En manipulant la dislocation sociale causée par la crise, ils tentent d’obtenir le soutien populaire à leurs attaques contre les programmes sociaux, les syndicats et la sécurité d’emploi. Dans ce contexte, les gouvernements s’engagent dans une sorte d’austérité compétitive selon laquelle les coupes massives dans les programmes sociaux et les privatisations sont déployées non seulement pour affaiblir les syndicats et réduire les impôts des entreprises, mais surtout pour attirer les investissements internationaux.

Cette offensive contre les salariéEs ne vient pas seulement des partis conservateurs même si la droite en général approfondit les attaques en question. Lorsqu’ils sont au pouvoir, les partis traditionnels de la social-démocratie adoptent des politiques d’austérité comme seule et unique voie de sortie de la crise... Hier, cela était le cas de Papandréou en Grèce, aujourd’hui, c’est le cas de Hollande en France. Même quand, ils sont dans l’opposition les partis sociaux-démocrates prennent leurs distances face aux mobilisations, ou essaient de les chevaucher tout en ne reprenant pas réellement leurs revendications. Le cas du Parti québécois face au printemps québécois a été exemplaire à cet égard.

Une déresponsabilisation criminelle face à la crise environnementale

Après la crise de 2008, il n’y a pas eu un tournant pro-environnemental. Au contraire, les accords de Kyoto se sont effondrés. Les conférences de Copenhague et de Rio+20 ont débouché sur des échecs retentissants. Les gouvernements occidentaux ont réussi à écarter toute démarche qui les auraient forcer en s’engager à des cibles chiffrées en ce qui a trait à la diminution d’émission de gaz à effet de serre. Les lobbys des énergies fossiles sont plus actifs que jamais. Et leurs initiatives pour exploiter des sources d’énergies fossiles de plus en plus dangereuses (sables bitumineux, gaz et pétrole de schiste, charbon) ne sont par limitées, mais encouragées par les gouvernements. On ne peut, sous peine d’impuissance, feindre d’ignorer que le monde des affaires s’oppose avec succès à toute régulation environnementale drastique, même dans les cas où la nécessité de celle-ci est le moins contestée.

Les géants de l’alimentation sont parvenus à chasser des millions de paysanNEs de leurs terres et à développer une agriculture d’exportation au mépris d’une agriculture de subsistance. Les multinationales de l’énergie transforment des terres arables en terre servant à la production de biocarburants. Si on combine l’ensemble des ces facteurs structurants à la spéculation sur les denrées qui atteignent des sommets sans précédent qui provoquent la hausse des coûts des céréales par exemple, nous avons là les fondements de la multiplication des crises alimentaires qui débouchent sur des situations de famines dans le tiers monde.

Crise économique durable, unanimité des classes dominantes derrière des politiques d’austérité, offensive non seulement pour renforcer l’exploitation des classes dominées, mais également pour restreindre les droits démocratiques des masses, approfondissement de la crise environnementale débouchant sur les conditions de survie de la planète, nous entrons dans une période où les affrontements de classe vont être déterminants de l’avenir de l’humanité et de la planète. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’action politique des partis de gauche.

Développement de larges mobilisations de masse et questions stratégiques

La crise et les politiques d’austérité mises de l’avant par la bourgeoisie ont conduit à l’émergence de larges mobilisations partout dans le monde. Une résistance populaire se dresse contre les politiques d’austérité. La bourgeoisie est prête à utiliser une stratégie de choc et elle est prête à faire face à des grèves générales d’une journée sans broncher et à les affronter avec ses forces de répression. Elle sait qu’elle peut y survivre. De telles mobilisations, en elle-même, ne la feront pas reculer.

Il faut comprendre que durant la phase néolibérale du capitalisme le mouvement syndical a connu d’importants reculs en matière du niveau de syndicalisation, des droits syndicaux et de fortes réductions des activités de grèves. La main-d’oeuvre a connu une importante précarisation, ce qui a affaibli davantage le mouvement syndical. Cette période a favorisé l’éloignement de la bureaucratie syndicale de ses bases. Dans certains pays, au Québec tout particulièrement, la mobilisation d’un capital financier et spéculatif par une fraction importante, sinon majeure de la bureaucratie syndicale a renforcé davantage cet éloignement des bases et un certain rapprochement avec le capital financier. Cette situation constitue un blocage sur une mobilisation d’ensemble contre les politiques d’austérité de la bourgeoisie et rendra quasi impossible une véritable jonction avec les autres mouvements sociaux tant que cet obstacle n’aura pas été surmonté par la gauche syndicale et politique.

Si dans l’ensemble la résistance n’est pas parvenue à bloquer l’offensive bourgeoise, il y a des cas où les luttes ont été victorieuses et les résultats spectaculaires. Il est important d’examiner ces cas, car ils nous indiquent les voies à suivre. Un exemple. En Guadeloupe et Martinique au début 2009, un mouvement social de masse réunissant des syndicats radicaux, des jeunes révoltés de même que des groupes féministes et de chômeurs et chômeuses a pris la forme d’une grève générale qui, en Guadeloupe a duré quarante et un jour, et plus de trente jours pour celle en Martinique. Pour être couronnées de succès, ces luttes ont pris la forme de grèves générales illimitées accompagnées d’actions insurrectionnelles dans les rues, incluant l’érection de barricades, des occupations d’usines, la mise sur pied de comités de quartiers, etc. Pour vaincre, le mouvement social doit être massif (combinant différents mouvements sociaux) et être très déterminé s’il compte faire dérailler le programme d’austérité. Non seulement les mouvements syndicaux doivent être prêts à déclencher des grèves générales illimitées et des confrontations de masse avec l’État, mais ils doivent fonctionner également en tant que tribunes des oppriméEs luttant à partir d’un programme qui place les besoins des couches populaires les plus pauvres au premier plan.

Cela indique l’ampleur de la tâche de rénovation qui est devant la gauche sociale et politique pour pouvoir faire face aux politiques d’austérité de façon victorieuse. Pour que la résistance défensive puisse se muter en victoire, il sera nécessaire que les revendications économiques fusionnent avec la lutte pour la démocratie et débouchent sur un soulèvement populaire reposant sur de robustes réseaux à la base : syndicats indépendants de la bourgeoisie, mouvements sociaux, associations étudiantes combatives et démocratiques.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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