Édition du 10 décembre 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Lettre ouverte : « Il est temps de forger un nouveau mouvement émancipateur ! »

Caracas, 31 juillet 2017

Elles ouvrent, de cette façon, la voie à une période cruelle de rapine impériale et du capital financier et mafieux, quels que soient les « étendards nationaux ». Alors, la violence et la répression croissantes deviendront la loi ; les difficultés et les souffrances des plus humbles, des opprimé·e·s et des exclu·es atteindront des sommets inconnus dans l’histoire moderne du Venezuela.

(Texte publié le 1er août 2017 sur le site aporrea.org ; traduction A l’Encontre)

Deux directions politiques irresponsables et criminelles ont creusé les tranchées à partir desquelles elles se lancent à l’attaque pour le pillage, le contrôle et pour tenir une position à partir de laquelle négocier avec le grand capital nos ressources naturelles ainsi que des conditions de vie de notre peuple. Cela, alors même que cela implique créer une sarabande sanglante.

La fausse polarisation qu’ont cherchée des directions – et qu’elles ont, d’une certaine manière, trouvé – a pour objectif d’entraîner d’amples secteurs de la population dans la défense d’intérêts illégitimes poursuivie par chacune d’elle. Elles sont disposées à cette fin, ainsi que cela a été démontré aujourd’hui, au prix de la vie de milliers de personnes, de l’intégrité de centaines de milliers de personnes et de la misère de millions.

Il est important de comprendre, en premier lieu, que la lueur ténue des espérances, pour le retour à une normalité relative, qui aurait pu exister jusqu’au jour antérieur aux fausses élections constituantes, s’est complètement éteinte. Le madurisme et les sommets du PSUV ont franchi le seuil qui séparait leur vocation autoritaire sous un masque de « démocratie » et de « pacifisme », pour arriver sur le terrain d’une tentative de contre-révolution ouverte, au moyen de méthodes de guerre civile sélective, déjà utilisée. Ensuite, l’incapacité, la superbe et l’élitisme manifeste des sommets de la MUD et leur pari effronté pour un foquismo [action de guerilla urbaine sélective] violent ainsi que pour l’ingérence gringa, soit des Etats-Unis et de l’administration Trump le laisse sans possibilité de gagner une bataille démocratique, voie sur laquelle sincèrement – mais de manière erronée – certains ont voulu le suivre, risquant leurs vies (voire au prix de victimes), croyant aboutir ainsi à un changement progressif.

Au-delà de la guerre des chiffres et des images qui, aujourd’hui et dans les jours à venir, servira à la légitimation [pour Maduro, à l’interne] d’élections prétendument constituantes, le fait est que ce 30 juillet 2017 sera rappelé comme le jour où nous sommes entrés de plain-pied dans une période obscure, en des temps troublés, toujours plus violents et difficiles qui nécessitent des réactions individuelles et collectives fortes.

Les prochains mois, voire semaines, détermineront le paysage politique, social, culturel et économique, de même que l’intégrité territoriale du pays pour les prochaines années ou décennies. Face à cela, personne ne peut rester indifférent ou s’imaginer échapper aux conséquences que cette nouvelle période apportera à la nation et au peuple.

Il s’agit également d’une période de ruptures, de faillite des vieilles hégémonies, d’effondrement de croyances illusoires ainsi que de la fin des fausses loyautés ; il s’agit, surtout, d’une période de gestation et d’enfantement de nouvelles espérances.

On trouve aujourd’hui, d’un côté, ceux qui face aux menaces utilisées par l’impérialisme nord-américain et le sommet de la MUD pour exercer un chantage sur sommet du gouvernement/du PSUV et sur pays – ou sous la pression, la contrainte et la maltraitance de l’appareil de contrôle de l’Etat – subordonnent ou affichent une solidarité automatique, honteuse et acritique avec le madurisme. De l’autre, il y a ceux qui rejettent l’autoritarisme, la répression éhontée, la vente [du pays], la misère à laquelle nous a conduits le PSUV/gouvernement et qui, par erreur, ont cru, en raison de l’absence d’alternatives, que le sommet de la MUD serait utile pour récupérer la Constitution de 1999, la démocratie et pour mettre un terme à la violence.

Il y a toutefois un troisième secteur, qui a pris de l’ampleur au cours des derniers mois, qui a forgé son identité et commence à apparaître comme un nouveau référent politique, en dehors des deux camps précédents. Il s’est, de fait, transformé en phénomène politique, appelé par la presse locale et internationale le premier « chavisme critique » et qu’ils tentent désormais d’étiqueter sous le nom de « chavisme non maduriste ». Ce secteur comprend des militants et des groupes de gauche ou démocratiques qui, ne trouvant pas leur origine dans le chavisme ou pour s’en être séparé il y a longtemps, ont été invisibilisés par les médias.

Nous nous dirigeons à une partie substantielle de ce secteur, y compris à sa fraction de gauche critique et autonome qui maintient les rêves émancipateurs qui ont labouré la première décennie du XXIe siècle dans notre pays et en Amérique Latine. Et qui est à même d’affronter, sans crainte, le bilan nécessaire du processus bolivarien ainsi que de Chávez.

Nous nous adressons à ceux qui ont commencé à s’organiser contre la bureaucratisation brutale au point que le sommet du PSUV et ses « alliés » du GPP [Gran Polo Patriótico Simón Bolívar, coalition réunissant divers partis et organisations satellites du chavisme] ont placé un signe d’égalité entre parti et Etat. A ceux qui franchirent le pas de l’affrontement contre le décret del Arco Minero del Orinoco] et qui ont décidé de lutter contre la remise [au capital étranger] telle que prévue par les Zonas Económicas Especiales ainsi que l’élargissement de la frontière extractiviste, l’approfondissement du pays comme exportateur de biens primaires. A ceux qui rejettent la progression de l’autoritarisme, l’asservissement des droits humains, économiques et sociaux et qui cherchent à rétablir la Constitution de 1999 qui, aujourd’hui, dans le pays, est la seule façon de défendre une démocratie à l’agonie.

A ceux qui refusent que l’on continue de rembourser la dette extérieure illégitime au détriment de l’accès à la nourriture et de la santé du peuple. A ceux qui sont fatigués par l’impunité des directions politiques et par le détournement [des richesses] de la nation. A ceux qui rejettent l’ingérence étrangère, car ils maintiennent vivant les rêves bolivariens de lutte pour une nouvelle indépendance. A ceux qui se placent sur le terrain d’une nouvelle gauche, critique de son propre héritage, qui signale et cherche des propositions à même de dépasser la gravité de la crise de civilisation dans laquelle nous a plongés le système du capital. A ceux qui luttent contre l’oppression de genre, la ségrégation raciale, l’oppression culturelle et matérielle des peuples indigènes. A ceux qui s’opposent à la destruction de la nature et de la vie et qui proposent et cherchent des alternatives soutenables au modèle extractiviste et prédateur. A ceux qui luttent contre l’exploitation du travail ; aux syndicats et aux conseils de travailleurs honnêtes qui s’affrontent au patronat, qu’il soit privé ou d’Etat. Aux jeunes et aux étudiants qui, avec courage, défendent leur avenir dans les rues, dans les universités publiques et privées, y compris dans celles du gouvernement, malgré la répression et les intimidations.

Nous sommes nombreux, mais nous avons été longtemps séparés. Ils ont tenté, bien des fois, avec succès, à nous inculquer de la méfiance pour nous maintenir divisés. Nous avons été à tour de rôle réprimés, poursuivis et accusés d’être des traîtres et des agents de la CIA ou de faire le jeu de la droite – nous continuons à l’être. Mais tout à une limite et chacun de nous l’a trouvée. Nous devons vaincre la méfiance, débattre des nuances produites issues de nos origines idéologiques diverses et construire, reconnaissant et respectant la diversité vitale que nous exprimons, un espace commun de réflexion, d’élaboration et d’action.

Au cours des derniers mois, nous avons partagé des espaces et des plateformes de lutte autour de points communs. Des espaces qui ont été utiles, en outre, pour que nous nous connaissions mieux et que nous apprenions à discuter, avec des trébuchements, un certain nombre de points de vue différents, cela dans la recherche des synthèses qui contribueront à cette lutte. Des espaces qu’il est nécessaire de conserver et d’élargir car la lutte qui les a fait naître et lui donne son sens est aujourd’hui plus nécessaire que jamais.

Cependant, nous appelons aujourd’hui à la mise sur pied d’une autre initiative. Une initiative dont la portée est plus englobante et stratégique, qui contribue à dépasser l’absence d’orientation et de leadership d’ensemble, état dans lequel est resté notre peuple en raison de la défaite du sein même d’un projet qu’il rêvait libérateur ainsi qu’en raison de la défection ou de la trahison de ceux qu’il considérait comme ses dirigeants.

Il s’agit, à partir d’une révision critique et autocritique des erreurs du processus bolivarien, de reconstruire, depuis les fondations, un projet national et d’intégration continentale [dont la version récente était appelée : Nuestro americano]. Il s’agit de construire un mouvement de gauche, démocratique, pluriel, englobant les courants de pensée et d’action émancipateurs. En ce qui concerne les identités particulières et avec la volonté d’avancer à partir de l’articulation dans la lutte vers la construction d’une nouvelle synthèse d’élaboration et d’action politique.

Ce que nous proposons est une tâche ardue et complexe. Mais l’heure présente est ardue et complexe. C’est un moment de définition et qui nécessite d’assumer les défis, de conquérir l’autonome et de nous affranchir de toutes les tutelles. C’est l’heure de mettre la main à la tâche, de forger un nouveau mouvement émancipateur.

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