Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Lettre ouverte à Monsieur Jean-Marc Fournier

Monsieur Fournier,

Il paraît que vous êtes ministre de la Justice, mais à l’aune des discours que vous et les vôtres tenez depuis quelques mois, je n’en suis plus très sûr.

J’aimerais d’abord que vous réfléchissiez avec moi à partir de cet exemple :

Quand, dans une classe, un professeur est contesté à cause de ses exigences, il a beau prétendre que dans toutes les autres classes ça va bien et qu’il ne changera pas ses méthodes pour satisfaire une minorité, s’il ne fait rien pour améliorer la situation, sa classe restera chaotique.

Dans l’histoire de la pédagogie, cette situation n’est pas si rare et, chaque fois, ceux qui connaissent des professeurs et ceux qui connaissent la pédagogie savent que la solution consiste à s’asseoir avec les membres de sa classe et à discuter avec eux de ce qui ne va pas pour déterminer ensemble les nouvelles règles de fonctionnement. Non seulement cette solution fonctionne, mais elle renforce la respectabilité du professeur et restaure entièrement son autorité sans entacher en rien sa dignité. En effet, l’autorité abusive se détruit d’elle-même, alors que l’autorité compréhensive se solidifie, car elle est mutuellement consentie.

Mais, pour cela, il faut accepter de faire passer son sens des responsabilités avant son petit orgueil personnel, ce qui demande la maturité intellectuelle et psychologique essentielle à l’exercice de l’autorité.

L’autorité pour être respectée se doit d’être respectable, et cela va au-delà des règles mécaniques du droit et des rapports hiérarchiques. Il y a par ailleurs un problème majeur à avaliser des injonctions qui ne sont pas respectables au sens propre du terme, c’est-à-dire qu’il est impossible de les respecter, comme l’expliquait clairement un professeur du collège Montmorency, monsieur Olivier Ménard, dans une lettre parue dans le Devoir des samedi et dimanche 12 et 13 mai 2012 en page B4. Ces injonctions ne tiennent pas compte de la réalité pédagogique et de l’impossibilité matérielle de faire le suivi de la matière pour des personnes qui apparaissent dans le cours alors que d’autres y étaient la fois précédente, où peut-on commencer ou recommencer ? comment peut-on finir ?

Mais il y a autre chose, j’aimerais que vous m’expliquiez votre concept de démocratie à géométrie variable. Je ne comprends pas comment les principes démocratiques s’appliquent selon qu’ils vous plaisent ou non. Par exemple, les étudiantes et étudiants ont tenu des assemblées dûment convoquées et ont pris des décisions dûment proposées et discutées avant de les adopter dans des votes pris à la majorité absolue : 50% plus un. Ces votes engagent leur corps constitué et la seule option démocratique est de les respecter.

Quels arguments pouvez-vous opposer à cela ? Il est absurde de chercher dans le droit du travail l’encadrement réglementaire de la grève des étudiantes et étudiants. Tout le monde sait que ce n’est pas un conflit de travail, c’est un conflit étudiant. Le cadre réglementaire du droit du travail n’y est pas approprié pas plus que le droit commercial n’est approprié à la régulation des rapports au sein d’une famille. Soumettre au calcul juridique strict des questions sociales, c’est rapetisser la société à un ensemble d’échanges économiques et comme le disait Michel David dans la même édition citée plus haut du Devoir en page B3 « se décharger de ses responsabilités sur les tribunaux ». C’est surtout mépriser profondément l’exercice démocratique auxquels se sont livré les associations étudiantes.

Pourquoi la démocratie étudiante serait-elle invalide et la démocratie électorale du Québec valide ? Expliquez-moi ça, Monsieur Fournier !

Si on applique votre propre raisonnement à votre gouvernement et qu’on réduit l’exercice électoral à des relations de satisfaction individuelle, rien ne justifie plus que votre gouvernement soit le seul à prendre des décisions politiques. Je rappelle que, dans le corps qui les représente, les décisions étudiantes ont été prises à la majorité absolue : 50% plus un.

Vous me répondrez que ceux qui ont voté contre la grève ont des droits. Alors que faites-vous des droits de ceux qui ont voté contre votre parti au Québec ? Comment se fait-il que toutes les personnes qui ont voté contre le Parti libéral n’aient pas voix au chapitre dans l’administration du Québec ? Savez-vous bien que plus de gens ont voté pour d’autres partis que pour le Parti libéral ? En suivant votre propre raisonnement, nous devrions nous liguer pour réclamer une injonction afin de faire dégommer votre gouvernement.

Vous me direz que tous les membres des associations étudiantes n’étaient pas présents lors des assemblées générales. D’abord vous présumez que les absents auraient voté contre et, encore une fois, vous appliquez une logique de démocratie à géométrie variable, car savez-vous bien qu’il y a plus de gens qui se sont abstenu lors des dernières élections que d’électrices et électeurs qui ont voté pour votre propre parti.

Vous me direz que la gestion d’une province est autre chose que la gestion étudiante dans les cégeps et universités. On est bien d’accord, les décisions étudiantes concernent les étudiantes et étudiants et c’est donc à eux de les prendre. Et puisque la gestion d’une province est plus grande, les règles démocratiques qui s’y appliquent devraient être encore plus sévères, pas moins. Comment se fait-il que vous puissiez gouverner ainsi ?

Non, Monsieur Fournier, j’ai beau retourner vos arguments dans tous les sens, ils m’amènent à conclure que vous n’avez ni l’autorité ni la légitimité pour gouverner. J’aimerais que vous m’expliquiez avec des arguments raisonnables pourquoi les citoyennes et citoyens du Québec devraient vous écouter et vous croire.

Parce que vous avez été élu ? D’après votre propre gouvernement, ceux qui n’ont pas voté pour vous ne sont pas concernés. Parce que vous avez le pouvoir de commander la police ? Cela s’appelle l’argument du plus fort, c’est ce qui justifie les juntes, qui tôt ou tard finissent comme l’on sait.

Peut-être devriez-vous m’arrêter de manière préventive pour avoir tenu ces propos, et ainsi créer le délit d’opinion ; c’est le seul élément qui manque à votre appareil répressif. Mais peut-être devriez-vous vous arrêter vous-même, car ce sont vos propres arguments qui m’ont conduit à parler comme je le fais.

J’aimerais en tout cas que vous me répondiez, car en l’état actuel des choses, je ne vois guère que la matraque pour soutenir votre gouvernement ; pourtant la justice, c’est autre chose que les tribunaux et la police.

Francis Lagacé

LAGACÉ Francis
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