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Europe

Merkeldämmerung : les droites des deux côtés de l’Atlantique ont la chancelière allemande dans leur mire

L’administration Trump, semble se percevoir comme le quartier général de la droite xénophobe internationale. Elle est un allié puissant des opposants.es d’extrême droite à Mme Merkel.

Paul Hockenosi, The Nation, 22 juin 2018
Traduction, Alexandra Cyr

Jusqu’à ce que l’administration Trump n’intervienne audacieusement en son nom, l’extrême droite européenne réussissait plutôt bien par ses propres moyens.

En Italie, en Autriche, en Pologne et en Hongrie, les nationalistes populistes sont maintenant au pouvoir et comptent pour un quart des députés du Parlement européen. Une poignée de leurs semblables en Slovaquie, en République tchèque, en Slovénie et en Croatie s’accrochent aux hommes forts de l’Europe centrale singeant leurs politiques même si c’est avec moins de bravade.

Et maintenant, tous les pays européens ont leur propre extrême droite qui pousse le débat à droite sur des enjeux allant de l’avortement aux énergies renouvelables et agite la possibilité de démanteler l’Union européenne. L’extrême droite allemande, l’Alternative pour l’Allemagne (AFD) qui s’oppose aux immigrants.es, recueille 16% de faveur dans les sondages actuels. En 2017, elle a gagné 12,6% des voix lors des élections. Résultat spectaculaire, le plus important concevable que n’importe qui d’entre nous aurait pu imaginer à ce moment-là, il n’y a que 9 mois.

Mais, maintenant, ces partis de droite ont la nation de loin la plus puissante du monde de leur côté : l’allié transatlantique, les États-Unis. L’histoire du partenariat atlantique n’est absolument pas morte. Mais elle a été redéfinie par la Maison blanche où il semble bien qu’on se prenne pour le quartier général de la droite xénophobe internationale. Avec le Président Trump qui lance des flèches contre Paris et Berlin, les nationalistes populistes ont maintenant la Chancelière allemande, Mme Merkel dans leur mire. Une prise bien plus précieuse que n’importe laquelle à ce jour et de loin. L’extrême droite ne remplacera pas Mme Merkel immédiatement mais elle pourrait bien affaiblir dangereusement son gouvernement plongeant ainsi l’Union européenne dans une plus grande confusion. Elle pourrait aussi la rendre incapable de d’agir directement pour résoudre la grave crise politique européenne.

Le mépris de l’administration Trump pour l’Union européenne et ses dirigeants.es libéraux les a été soulignés à gros traits quand le Président s’est retiré de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, a déclenché une crise commerciale et s’est retiré promptement du récent G7 au Québec. Jusqu’à maintenant, les européens.nes ont naïvement pensé qu’il serait possible d’avoir un minimum d’influence auprès de Washington grâce à la retenue volontaire même obséquieuse et des prétentions amicales. Le calcul étant que même si le Président Trump ne les aimait pas, il serait bien pire d’en être ignorés.es.

Aux cours des semaines passées, ces illusions se sont dissipées : l’alliance transatlantique est suspendue dans la version que nous connaissons. L’administration Trump considère les centristes européens, c’est-à-dire Mme Merkel et le Président français E. Macron comme des opposants.es à qui il veut faire mal. Le nouvel ambassadeur américain en Allemagne, M. Richard Grenell, l’a annoncé en exprimant son intention de renforcer l’extrême droite en Europe. D. Trump a suivi en faisant de fausses remarques abusives, à propos des politiques allemandes en matière d’immigration. Leur objectif, tout comme celui du Président Poutine, est de déstabiliser la politique centriste en Europe et de démanteler l’Union européenne.

R. Grenell qui a fait partie de l’administration Bush, n’était pas en poste depuis un mois qu’il a fait savoir que la diplomatie n’était pas sa priorité à Berlin. Sur Breirbart London, il a écrit : « Je veux absolument renforcer d’autres conservateurs.trices à travers l’Europe….Je pense qu’il y a une lame de fonds de politiques conservatrices qui s’installe à cause des échecs de la gauche ».

Comme les conservateurs.trices autour de Mme Merkel ne vivent pas ce genre de lame de fonds, M. Grenell référait évidemment à l’extrême droite, celle de l’AFD (en Allemagne), au Front national (en France) à Geert Wilders’s Freedom Party (aux Pays-Bas) et aux autocrates d’Europe centrale. L’AFD représente le type de parti qui ne fait pas que s’opposer à Mme Merkel, il la méprise, la traite de tous les noms dont « putain ». Son chef a récemment parlé de l’époque nazie comme une « simple chiure de mouche » dans toute « l’histoire allemande (par ailleurs) réussie depuis un millénaire ». Et la liste s’allonge avec des insultes grossières que tout diplomate américain aurait condamnées dans le passé. M. Grenell pour sa part, dit qu’il est en Allemagne pour donner un coup de main à l’extrême droite et l’AFD a vite répondu qu’elle était heureuse d’accepter.

Il y a quelques jours, D. Trump se joint au chœur avec un tweet : « Les Allemands.es se détournent de leurs dirigeants.es à cause de l’immigration qui fragilise la coalition à Berlin. Les crimes augmentent en Allemagne. C’est une énorme faute partout en Europe que de permettre l’installation de millions de personnes qui changent profondément et violemment leur culture ! » Le lendemain il accuse l’Allemagne de mentir sur le nombre de crimes en disant : « En Allemagne, les crimes ont augmenté de 10% (mais les représentants.es du gouvernement ne veulent pas le dévoiler) depuis que les immigrants.es ont été acceptés.es ».

Toute la classe politique allemande, les médias dont le très conservateur Frankfuter Allgemeine Zeitung, ont condamné le mélange que font M. Grenell et le Président Trump et ont souligné que ces chiffres étaient faux. La criminalité a stagné en Allemagne entre 2016 et 2017. Plusieurs réclament la tête de M. Grenell mais Mme Merkel refuse cette option. En des temps moins tendus, les paroles de M. Grenell et du Président Trump auraient soulevé l’indignation et produit des conséquences diplomatiques. Mais, malheureusement, ces interventions biaisées dans la politique allemande arrivent au moment où Mme Merkel se bat désespérément pour son propre avenir politique.

La Bavière d’abord

Depuis la formation de sa coalition en mars dernier, la chancelière est enfermée dans un bras de fer, une chicane publique, avec ses partenaires de la CSU (Christian Social Union) dirigée par M. Horst Seehofer, ministre de l’intérieur dans son gouvernement.

La CSU est la sœur bavaroise de la CDU (Christian Democratic Union) de Mme Merkel. Elle est plus à droite que la CDU mais jusqu’ici elle a toujours été loyale dans les moments chauds. Cette année, elle fait face à des élections dans son land à la mi-octobre elle se trouve dans une situation tout-à-fait nouvelle pour elle et plutôt inconfortable. L’AFD se présente comme une alternative viable à sa droite, alors qu’elle est le cœur du conservatisme allemand. Lors des élections générales de l’an dernier, l’AFD a fait un score de 10% en Bavière et la CSU a perdu 10 points. Les sondages montrent que la CSU serait encore plus affectée aujourd’hui. Mais elle tourne quand même autour de 41%, bien plus qu’il n’en faut pour gouverner mais en coalition avec un parti junior. En ce moment elle est seule au pouvoir

À contrario de toutes les preuves, (c.f. les cas de l’Autriche, de l’Italie et de la France), la stratégie de la CSU pour s’assurer des votes en sa faveur, est de s’emparer des positions de l’extrême droite en particulier sur les enjeux de l’immigration et du refuge. Sous l’impulsion de leur chef, les Bavarois.es ont attaqué Mme Merkel à propos de l’immigration, avec des différences importantes entre eux, mais qui en fait sont plutôt minimes et peu pertinentes. La dernière étant une proposition pour que des frontières entourent la Bavière pour pouvoir refuser l’entrée à tout.e immigrant.e sans papiers ou déjà enregistré.e dans un autre pays de l’UE. L’Italie et l’Autriche sont déjà sur cette position, celle du nouvel « axe des volontaires » comme la nomme le Chancelier de droite autrichien, M. Sebastian Kurz. Autrement dit, les réfugiés.es sont exclus.es de l’Europe dès la frontière parce que les barons bavarois locaux ne veulent pas avoir d’entente avec une coalition partenaire dans les Alpes.

Mme Merkel soutient depuis longtemps une position différente. Elle veut une politique de coordination des demandes de refuge avec les partenaires européens de l’Allemagne. Il est évident, que de son côté, les buts de M. Seehofer pour ce qui concerne les contrôles aux frontières, sont d’arrêter l’arrivée de gens à la peau foncée et aux musulmans, dans une opération de profilage racial et religieux. Ce schéma, au-delà de la bigoterie et de la violation des statuts européens sur le refuge, n’a aucun sens pour de nombreuses de raisons.

Mais, pour tout ce beau monde, les faits ne comptent pour rien. Seuls les symboles sont utiles. L’administration Trump a ainsi donné foi aux mensonges, aux exagérations de la droite extrême tout comme le font sans arrêt, les antennes et sites Russes, Russia Today (RT), Sputnik et d’autres agences de nouvelles.

La CSU et l’AFD ont la chancelière épinglée sur leur tableau de chasse. Si on ne se fie qu’à l’intensité du fracas (public) on pourrait croire que l’immigration est largement hors de contrôle et que les frontières allemandes sont assaillies par des hordes de musulmans.es criminels.es qui ont l’intention de miner l’état providence (en réclamant ses bénéfices) et de dominer le pays. C’est une vision paranoïaque encore exacerbée par le viol, ce mois-ci d’une adolescente juive de 14 ans dans le sud de l’Allemagne, par un réfugié irakien. Cette vision est répandue par l’ADF même si c’est la CSU qui s’en sert et fait dévier la discussion fermement sur son territoire.

Dans les faits, seulement 186,000 réfugiés.es sont entrés.es en Allemagne l’an dernier. Ce n’est que le cinquième du nombre record de 2015. Cette année, seulement 50,000 ont réclamé le droit d’asile ; un bien petit nombre. Mme Merkel a fait tout ce qu’elle a pu pour en restreindre le nombre, allant jusqu’à transgresser les normes en matière de droits humains. De son côté, l’économie allemande florissante réclame de la main d’œuvre de toutes sortes. En ce moment, on compte 1,6 millions de postes à temps plein non pourvus et 50,000 postes d’apprentis.es qui ne sont toujours pas réclamés. On prépare des réfugiés.es pour les occuper. Et il se peut que l’Allemagne accepte un nombre bien plus élevé de demandeurs d’asile que n’importe lequel autre pays européen, mais ce n’est rien en comparaison du nombre de ceux et celles qui vivent en Turquie, au Pakistan, en Ouganda, en Jordanie et au Liban. Le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.es souligne que la crise des réfugiés.es (68,5 millions dans le monde) n’est pas celle des pays développés mais que des millions de personnes sont forcées de quitter leurs pays et de chercher refuge dans un autre pays.

Mais cela semble n’avoir aucune importance en cette année électorale en Bavière.

Au-delà de l’enjeu des réfugiés.es, les divergences entre la CDU et la CSU sont si grandes qu’il se pourrait bien que la CSU se retire de la coalition ce qui voudrait surement dire la fin de la chancellerie pour Mme Merkel. La CSU à donné deux semaines à Mme Merkel pour trouver une solution européenne à cette crise qui aille dans le sens des Bavarois.es. D’ici là, comme ce fut le cas tout au long de l’année, le gouvernement ne pourra pas s’occuper des sujets brûlants et existentiels comme l’euro zone, la réforme de l’Union européenne et le climat.

Le Président Macron est venu à la rescousse de la chancelière avec un communiqué commun sur la réforme de l’Union européenne. Mais ça n’avait pas grand-chose à voir avec les « nouveaux fondements » qu’il avait envisagés. C’est un cache misère en regard des réformes majeures qui sont nécessaires mais que Mme Merkel est incapable de mettre en exercice en ce moment. Les pays du sud de l’Europe réclament de l’aide pour accueillir les réfugiés.es qui débarquent sur leurs côtes et pour les montagnes de dettes qu’ils ont et qui ne vont pas disparaitre maintenant, même 10 ans après la crise de l’euro zone. L’extrême droite a gagné en Italie exactement sur cet enjeu mais il semble que seul M. Macron le reconnaisse.

L’AFP et ses alliés.es d’extrême droite en Europe ont reçu un scénario écrit visant leurs objectifs et que l’administration Trump endosse explicitement maintenant. Et en adoptant l’agitation de l’AFD autour de la cause contre les immigrants.es, la CSU verrouille probablement son destin. Il n’y a aucune preuve que ceux et celles qui sollicitent à nouveau un mandat peuvent gagner face à un.e adversaire populiste nouvellement arrivé.e en s’alignant sur ses positions politiques. Devant un tel choix, les électeurs.trices portés.es à voter pour le racisme et les théories du complot voteront pour l’authentique. N’est-ce pas ainsi que l’AFD est entrée dans le jeu politique finalement ?

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