Édition du 22 avril 2025

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Europe

Italie : Pour Meloni, l’urgence, c’est la répression

Meloni championne du contournement du Parlement, et le « paquet Sécurité » devient un décret. Comment les mouvements sociaux vont-ils réagir ?

8 avril 2025 | tiré du site Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74446

Ils l’ont appelé « Dispositions urgentes en matière de sécurité publique, de protection du personnel en service ainsi que des victimes de l’usure, et d’organisation pénitentiaire ».

Jusqu’à présent, il était appelé « paquet Sécurité » ou « projet de loi 1660 ». Nous l’avions qualifié de manifeste politique et idéologique dans lequel le gouvernement Meloni combine répression politique, contrôle social, populisme pénal, prohibitionnisme, culture patriarcale, racisme de classe et xénophobie.

23 nouvelles infractions qui viennent s’ajouter aux 47 autres créées à l’époque où Salvini était au ministère de l’Intérieur et qui risquent de marquer un point de non-retour dans une phase politique marquée par les tentations autoritaires de gouvernements de toutes sortes dans le contexte inquiétant qui caractérise la post-démocratie et l’atmosphère de guerre.

La nouveauté majeure est qu’il ne s’agit plus d’un projet de loi mais d’un décret-loi, car ainsi, le gouvernement de droite saute à pieds joints par-dessus la discussion parlementaire, même s’il n’y avait pas d’autre obstacle que la « corvée » d’une troisième lecture en séance plénière, avec le risque d’assurer une certaine publicité à la discussion. De plus, quelques heures plus tard, l’un des partenaires minoritaires de la coalition aurait pu, lors du congrès de son parti, la Ligue, se vanter du résultat obtenu.

C’est ainsi que, le vendredi 4 avril, le Conseil des ministres, « sur proposition de la présidente Giorgia Meloni, du ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi, du ministre de la Justice Carlo Nordio et du ministre de la Défense Guido Crosetto », a approuvé ce décret-loi alors que non loin du Palazzo Chigi, un imposant déploiement de forces empêchait (y compris à coups de matraque) qu’un petit cortège (3 à 400 personnes), rassemblé en toute hâte dès que l’on a appris le passage du ddl au décret, n’approche de ce bâtiment, Montecitorio ou Palazzo Madama.

Un abus inquiétant du décret-loi

On nous a appris dès notre plus jeune âge que l’utilisation abusive du décret-loi viole la séparation des pouvoirs, élément indispensable d’une démocratie constitutionnelle. Il faut dire qu’aucune des gouvernements qui se sont succédé ces dernières années n’a renoncé à la tentation de légiférer par décret. Une tendance que l’on retrouve également dans d’autres « démocraties ». Il suffit de penser aux abus de Macron et, avant lui, de Hollande pour imposer, respectivement, la réforme des retraites et la loi travail.

Selon le décompte d’Openpolis, « dès 2023, l’exécutif actuel était numéro un en termes de nombre moyen de décrets-lois publiés par mois (3,6). Il est suivi par les gouvernements Draghi (3,2) et Conte II (3,18). 55,8 % des lois approuvées au cours de la législature actuelle sont des décrets convertis. C’est le chiffre le plus élevé de ces dernières années. Sur les 39 décrets promulgués, 11 sont des textes omnibus. C’est-à-dire qu’ils traitent simultanément de sujets différents, même très éloignés les uns des autres."

La tendance est de plus en plus inquiétante et rappelle désormais de manière frappante les paroles de Mussolini qui, à l’époque du débat sur la loi Acerbo, expliquait que le gouvernement intervient « au sens le plus élevé mais aussi le plus concret comme une instance capable de résoudre de la manière la plus rapide, ferme et univoque toutes les questions multiples qui se présentent dans l’action quotidienne, sans être gêné par des compromis préalables, entravé par des interdictions insurmontables, étouffé par des dissensions, non affecté à l’origine par des divergences intrinsèques de points de vue et d’orientations ».

Un maquillage pour satisfaire le Quirinal

Les révisions du Quirinal, sur lesquelles reposaient les espoirs de beaucoup, se sont traduites par quelques arrondissements des angles, comme dans le cas des mères détenues ou de la demande de document pour la vente de cartes SIM aux étrangers (l’autorisation n’est pas nécessaire mais il y a obligation de présenter une pièce d’identité). Ou bien ils ont fait l’objet d’opérations de maquillage, comme lorsqu’il est précisé, à propos de la résistance passive en prison, que les ordres dont le non-respect est puni concernent le maintien de l’ordre et de la sécurité, ce qui veut dire tout et son contraire. Ainsi, en ce qui concerne la disposition relative à l’aggravation des sanctions poure les auteurs d’actions contre les « grands travaux », la référence aux travaux publics ou aux infrastructures stratégiques est remplacée par « les infrastructures destinées à la fourniture d’énergie, de services de transport, de télécommunications ou d’autres services publics ». Par contre, on peut se réjouir de la suppression de l’obligation faite aux administrations publiques et aux universités de collaborer avec les services secrets, en dérogation au droit à la confidentialité.

En bref, dans ce que Nordio (vous vous souvenez du temps où il était considéré comme un garant du respect des procédures ?) appelle les « 34 articles substantiels du texte », il y a pratiquement tout, les nouvelles infractions et les aggravations de l’ancien projet de loi 1660 : le délit de blocage routier, la peine abusive pour occupation de bâtiments, l’extension du dispositif de surveillance des personnes dans les lieux publics, etc. Toutes les critiques du « paquet sécurité » énumérées par l’Union des chambres pénales italiennes « concernant l’introduction inutile de nouvelles catégories de délits, les multiples augmentations disproportionnées et injustifiées des peines, l’introduction de circonstances aggravantes dénuées de toute justification rationnelle, la criminalisation de la marginalité et de la dissidence, et l’introduction de nouveaux obstacles à l’application de mesures alternatives à la détention ».

Que faire ?

Et maintenant ? Les espoirs que quelque part dans le cheminement parlementaire, le parcours de ce catalogue de mesures répressives se retrouve bloqué se sont désormais évanouis, tout comme l’illusion concernant de prétendues divisions - sur le sujet particulier de ces dispositions - entre les trois partis de la majorité. Il ne reste que les ambiguïtés des oppositions, en particulier du Parti démocrate, sur l’hypothèse même de la légitimité du conflit social : Si les antécédents de Minniti au ministère de l’Intérieur (de 2016 à 2018 ndt) ne suffisaient pas, car il est celui qui a inventé les mesures d’éloignement (Daspo) pour les militants syndicaux, il suffit de penser à la façon dont le mouvement « Yes Tav »( ligne à grande vitesse Lyon-Turin ndt).par la voix de l’ancien sénateur Esposito, a réclamé l’assimilation de l’infraction de blocage routier au délit très grave d’enlèvement de personne.

Il persiste une timidité du monde politique, qui a pourtant su organiser la manifestation nationale du 14 décembre dernier, à organiser une convergence efficace entre les mouvements, qui seront probablement submergés ou anéantis par l’entrée en vigueur du décret. Car il est bon de rappeler que la précarité, l’extractivisme, le réarmement, les grands travaux, le prohibitionnisme et la répression sont les piliers du néolibéralisme. Pour bloquer les mécanismes de la répression, il faut une énorme dose de créativité collective, d’autant plus que l’un des effets du décret de sécurité est qu’il affecte immédiatement le répertoire des formes de lutte déjà menacées de devenir une série de rites à l’usage et pour la consommation des moyens de communication de masse. Repenser les formes de lutte, dans une optique de convergence des mouvements sociaux d’en bas, signifierait ouvrir ces espaces militants (ou bien les rouvrir) qui ont trop souvent été caricaturés ou sacrifiés au nom de la recherche de l’hégémonie de telle ou telle composante, ou bien dans un « sauve qui peut » de la part de secteurs de la classe politique à l’heure du naufrage des corps intermédiaires. Et tout cela va à contre-courant de la pensée commune, intoxiquée par des décennies d’alertes sécuritaires et mise à mal par un cocktail mortel de coupes dans le système de protection sociale et de représentation, d’intrigues électorales et de lois sur la précarité. C’est une porte étroite par laquelle nous devrons passer ensemble.

Le détail du décret

Le texte prévoit, en particulier, des nouveautés significatives en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, d’administration des biens saisis et confisqués, de sécurité urbaine, de protection du personnel des secteurs de la sécurité, de la défense et des secours publics, ainsi que de traitement des personnes détenues et des activités de travail à l’intérieur et à l’extérieur des établissements pénitentiaires.

En particulier, sous la rubrique « Sécurité urbaine », une nouvelle infraction est introduite afin de lutter contre le phénomène de l’occupation illégale de biens immobiliers. La procédure est engagée d’office si l’infraction est commise sur des biens publics ou à usage public. La peine sera de deux à sept ans d’emprisonnement. Les peines pour les infractions commises en milieu urbain sont alourdies. Une nouvelle circonstance aggravante est prévue pour les délits commis sans intention de nuire à la vie et à l’intégrité physique et morale des personnes, à la liberté individuelle et au patrimoine, ou qui portent atteinte au patrimoine, s’ils sont commis à l’intérieur ou à proximité immédiate des gares ferroviaires et des métros ou à l’intérieur des trains de passagers. La peine est également alourdie pour le délit de dégradation à l’occasion de manifestations publiques. Le dispositif DASPO urbain est étendu aux personnes qui ont été dénoncées ou condamnées, même par un jugement non définitif, au cours des cinq années précédentes, pour des délits contre la personne ou contre les biens commis à l’intérieur et aux abords des installations ferroviaires, aéroportuaires, maritimes et des équipements de transport public local, urbain et extra-urbain. L’arrestation en flagrant délit différé est étendue au délit de blessures graves ou très graves infligées à un agent public en service de maintien de l’ordre, commises à l’occasion de manifestations dans un lieu public ou ouvert au public. L’infraction administrative de blocage routier est érigée en délit, passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un mois et d’une amende pouvant aller jusqu’à 300 euros. En cas d’infraction commise par plusieurs personnes, la peine d’emprisonnement va de six mois à deux ans.

En matière d’exécution de la peine, l’obligation de report de la peine est supprimée pour les femmes enceintes et avec enfants et le report facultatif est exclu si cela entraîne une situation dangereuse, d’une importance exceptionnelle, de commission d’autres délits. Il est prévu de différencier les modalités d’exécution de la peine entre la mère d’enfants âgés de moins d’un an et les mères d’enfants âgés de 1 à 3 ans. Des mesures de lutte contre la délinquance urbaine sont instaurées, avec l’augmentation de la peine pour incitation à la mendicité en cas d’emploi de mineurs de moins de 16 ans et d’une circonstance aggravante si l’infraction est commise avec violence ou menace. Les dispositions relatives à la culture et à la filière agro-industrielle du chanvre sont modifiées, avec la spécification, entre autres que la réglementation en vigueur ne s’applique pas aux produits constitués de inflorescences de chanvre, même sous forme semi-finie, séchée ou broyée, ou contenant de telles inflorescences , y compris les extraits, les résines et les huiles qui en sont dérivés. En outre, la production de chanvre destiné à l’horticulture ornementale est limitée à l’horticulture ornementale professionnelle. L’interdiction expresse d’importer, de céder, de traiter, de distribuer, de commercialiser, de transporter, d’envoyer, d’expédier et de livrer des inflorescences est également réaffirmée, car ces activités sont soumises aux dispositions pénales et administratives prévues au titre VIII du décret présidentiel 309/1990. Enfin, dans le périmètre de la légalité de la culture, il a été prévu la production agricole de semences destinées aux usages autorisés par la loi dans les limites de contamination établies par le décret du Ministre de la Santé.

Protection des forces de police, des forces armées et du corps national des pompiers et des organismes du Système d’information pour la sécurité de la République : une circonstance aggravante est introduite pour le crime de violence ou de menace et de résistance à un agent de la fonction publique si l’acte est commis à l’encontre d’un officier ou d’un agent de police judiciaire ou de sécurité publique, avec une augmentation de la peine pouvant aller jusqu’à la moitié, et une circonstance aggravante supplémentaire en cas d’actes de violence commis dans le but d’entraver la réalisation d’ouvrages d’infrastructure. Il est prévu de doter les forces de police de dispositifs de vidéosurveillance portables (bodycam), permettant d’enregistrer les activités opérationnelles des unités de maintien de l’ordre public, de contrôle du territoire, de surveillance des sites sensibles et dans le domaine ferroviaire et à bord des trains, ainsi que d’utiliser des dispositifs de vidéosurveillance, y compris portables, dans les lieux et les environnements où sont détenues des personnes soumises à une restriction de liberté individuelle. En matière de protection juridique des membres des forces de police, du corps national des pompiers et des forces armées pour des faits liés à leurs activités de service, le montant maximal pouvant être versé pour chaque phase de la procédure est porté à 10 000 euros. La protection des biens mobiliers et immobiliers affectés à l’exercice de fonctions publiques est renforcée par la mise en place, en cas de dégradation et de salissure de ces biens, d’une peine d’emprisonnement de six mois à un an et demi et d’une amende de 1 000 à 3 000 euros, avec une augmentation de la peine d’emprisonnement maximale (trois ans) et de l’amende (jusqu’à 12 000 euros) en cas de récidive ; les sanctions sont renforcées en cas de violation des prescriptions et des obligations imposées par les agents des forces de l’ordre en service de police routière, prévoyant également la sanction accessoire de la suspension du permis de conduire de 15 à 30 jours, en cas de récidive pour les infractions prévues. Le nouveau délit de « révolte au sein d’un établissement pénitentiaire » est ajouté, qui punit l’incitation, l’organisation ou encore la direction et la participation à une révolte perpétrée au sein d’un établissement pénitentiaire par trois personnes ou plus réunies, par des actes de violence ou de menace, des tentatives d’évasion ou des actes de résistance

La peine est alourdie pour quiconque incite au non-respect des lois si l’acte est commis à l’intérieur d’un établissement pénitentiaire ou par le biais de lettres ou de communications adressées à des personnes détenues. Un type de délit équivalent à la révolte dans un établissement pénitentiaire est également instauré pour les faits commis à l’intérieur des centres de rétention pour migrant.e.s en situation irrégulière. La compétence déjà conférée aux organismes d’information et de sécurité de demander la collaboration des administrations publiques et des entités qui fournissent, sous régime d’autorisation, de concession ou de convention, des services d’utilité publique est définie de manière plus stricte. Il est également stipulé que les modalités de cette collaboration doivent être définies par des conventions qui peuvent également prévoir la transmission d’informations, par dérogation aux obligations de confidentialité prévues par la réglementation propre au secteur.

En outre, des mesures sont prises pour protéger le personnel lui-même dans le cadre de la lutte contre les comportements liés aux menaces terroristes et subversives. Par ailleurs, une sanction administrative complémentaire est introduite, à savoir la fermeture de l’entreprise ou de l’activité pendant 5 à 30 jours dans les cas où les établissements autorisés à vendre des cartes SIM de téléphonie mobile ne respectent pas les obligations d’identification des clients, par l’exigence de la copie du titre de séjour, s’il s’agit d’un ressortissant non européen. L’interdiction de passer des contrats avec les opérateurs pendant une période comprise entre six mois et deux ans est également ajoutée en tant que peine accessoire pour les personnes condamnées pour le délit de substitution de personne commis dans le but de pouvoir souscrire un contrat de téléphonie mobile.

Checchino Antonini
P.-S.

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.

Source - Anticapitalista (Gauche anticapitaliste), 8 avril 2025 :
https://anticapitalista.org/2025/04/08/repressione-lurgenza-di-meloni/

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