Entendre au loin la plainte du geai bleu, au moment où l’écureuil furtif attire tout de même l’attention parce qu’il agite les feuilles en se sauvant au sommet d’un tilleul dont il dévore les graines que la bractée ne suffit pas à protéger.
Marcher débonnairement en saluant les passants en direction du café, s’y asseoir et siroter ce carburant au milieu des spectateurs d’un match de foot.
Admirer les paysagements d’une rue résidentielle dans une expédition sans destination, solitaire ou binomiale.
Respirer les effluves du foin tondu sans penser à rien d’autre qu’au foin coupé ; garder pour plus tard les considérations sur l’avancement de la saison.
Cesser de voir les affiches bleues et les affiches rouges tellement elles se ressemblent en s’opposant. Élever les yeux quelques instants pour accueillir le vent dans les branches des frênes du terre-plein, puis découvrir le pépiement de quelque roitelet égaré.
Être ébloui par le poitrail gonflé du cardinal bien posté. Siffler avec le merle haut perché.
Manger un yogourt salé et sentir sa texture qui caresse la langue, en être satisfait.
Être émerveillé par une tomate toute rougissante sur la galerie, apercevoir à sa surface le soleil qui coulera en nous accompagné d’une huile d’olive dorée.
Lire les nouvelles, avoir envie d’en commenter certaines, d’en oublier d’autres, mettre quelques notes ici et là, peut-être surtout là, où on ne les retrouve pas toujours.
Faire la vaisselle en écoutant des chansons populaires qui pourraient exaspérer un intellectuel.
Expliquer à cette passante comment se rendre à la petite quincaillerie du quartier ; lui conseiller d’arrêter à la boulangerie en revenant.
Sourire aux vitrines, les laisser passer, consommer parcimonieusement, car les achats attachent au lieu de libérer.
Se laisser assourdir par le chant des cigales dans leur dernier sprint pour la reproduction et compter les corps des vainqueurs sur le trottoir, car celles qui meurent sont celles qui ont réussi à s’accoupler.
Avoir de la compassion pour les yeux effarés des oreilles qui ont entendu cette profession publique de farniente.
Savourer la joie suprême d’être improductif.
Ne rien faire n’est pas laisser faire s’il est possible de témoigner, pétitionner, encourager, appuyer, diffuser.
L’observateur est un passeur de récits ; les récits organisent du sens dans un univers qui en est dépourvu.
Toujours se rappeler que ne plus avoir besoin de travailler est un droit arraché à la société par des travailleurs·travailleuses, qui ont lutté pour l’obtenir, l’hégémonie capitaliste n’ayant rien de plus pressé que de transformer la *jouissance du temps* en un *temps de la jouissance* programmé, formaté, étiqueté et encadré de sorte qu’il se résume à l’acte de consommation.
Embaumer de louanges la mémoire de Lafargue pour son *Droit à la paresse.*
LAGACÉ, Francis
http://www.francislagace.org
francis.lagace@gmail.com
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