Édition du 30 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Pourquoi la droite gagne les élections ?

Un peu partout dans le monde, les élections sont remportées par la droite ces derniers temps. Une chance qu’il y a quelques exceptions, mais la tendance est inquiétante. Cette semaine en Ontario, on verra ce qui va arriver. Les Conservateurs sont dirigés par un extrémiste du nom de Tim Hudak qui promet le massacre à la scie mécanique de la fonction publique et des services sociaux. Il est tellement à droite qu’il se peut que les Libéraux et le NPD résistent à la vague. En tout cas, on le souhaite.

En fait, pour être plus précis, ce n’est pas tellement la droite qui gagne, c’est plutôt le centre et la gauche qui perdent, surtout à cause de la désaffection de l’électorat. Lors des élections européennes il y a quelques temps, la droite s’est maintenue sans progresser. L’extrême droite a avancé. Le centre s’est effondré. La gauche, à part en Grèce et en Espagne, a stagné. Il y a quelques jours en Inde, la droite et l’ultra-droite rassemblées au sein du BJP, ont remporté une victoire éclatante. Le centre et le centre-gauche ont mangé toute une dégelée. Dans les prochains mois, il se pourrait que cette tendance se confirme ailleurs.

Un journaliste américain, Thomas Franck, a écrit un excellent essai sur ce phénomène (« Pourquoi les pauvres votent à droite ? »), dans lequel il explique les conditions qui favorisent le phénomène. La base populaire de droite est composée de couches ouvrières et moyennes « déclassées », qui vivotent dans le précariat et qui s’inquiètent de l’avenir de leurs enfants. Pour eux, les services publics délabrés ne sont plus un acquis à défendre. Ils pensent que les travailleurs syndiqués et les professionnels sont des privilégiés. Ils sont sous l’influence de réseaux religieux de droite (comme les évangélistes aux États-Unis et au Canada), qui utilisent les malaises pour diffuser un discours de haine où sont visés, pêle-mêle, les « bobos » des centre-villes, les étudiant-es, les immigrant-es et réfugié-es, les LBGT, les sans-abri, les féministes, qu’on accuse d’avoir « désarmé » la société contre la décadence morale. C’est une véritable guerre culturelle qui est menée 24 heures par jour par de puissants appareils, relayés par les mercenaires des médias-poubelles.

Il est certain que cette avancée découle, en partie au moins, d’un désengagement. Sous l’influence pernicieuse d’intellectuels défroqués d’un certain marxisme, on a prôné l’idée que la question sociale était dépassée, que la pauvreté n’intéressait plus personne, que les conditions de travail et de vie n’étaient plus un enjeu de société, sinon que pour atténuer la misère. On a "flushé" une analyse et un discours de classe comme si cela était irrémédiablement associé à une approche dogmatique. Certains mouvements sociaux, pensons aux syndicats notamment, n’ont pas été à la hauteur face à la montée du précariat. Les discours lors des congrès syndicaux se sont rarement accompagné d’efforts systématiques, à part ce qu’a fait la CSN en réussissant le tour de force de syndiquer des précaires chez Couche-Tard, ou encore ce qu’a accompli l’Alliance de la fonction publique avec la syndicalisation des assistants à la recherche et à l’enseignement dans les universités. Parallèlement, les partis de centre-gauche ont délaissé les couches populaires, ce qui a laissé toute la place à la droite et à l’extrême-droite.

Le défi est donc très grand. La lutte pour la justice sociale, cela reste fondamentalement la bataille des couches populaires pour l’égalité et le respect. Il n’y pas de solution « alternative » pour ceux qui se réclament d’un projet progressiste. Certes, le coût à payer est élevé. Il est difficile de confronter le discours de droite, qui pénètre dans les couches populaires, même les plus pauvres, et qui dénonce la lutte pour la justice comme une manipulation de la bureaucratie. Pour répondre à cela, il faut être en mesure de proposer des mesures concrètes et efficaces pour lutter contre la bureaucratie, la dilapidation des biens publics, les « petits » privilèges » d’une certaine « caste » étatique, etc.

Autrement, la gauche doit être intraitable face aux privilèges, passe-droits et autres comportements inacceptables. Les élu-es dans les organisations doivent accepter des salaires et conditions qui se rapprochent ceux de leurs membres. Ils et elles doivent rester imputables et révocables, et avoir la décence de laisser la place à d’autres après un certain temps, tout en travaillant fort à préparer et à appuyer la relève. Peut-être que certains diront que c’est du moralisme, mais je ne le pense pas. Quelle crédibilité a un responsable syndical qui passe ses vacances sur un yacht de millionnaires ? Faut-il nécessairement aligner les frais de déplacement et de séjour des ONG sur ceux du gouvernement fédéral ? Il faut avoir la décence de vivre simplement et de tenir compte du fait qu’une grande partie de la population vit en-dessous ou à peine au-dessus du seuil de la pauvreté. Travaillons davantage sur la dimension éthique si on veut rester crédibles pour défendre la noble cause de la justice sociale.

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