Dans le texte qui suit[1], il sera rapidement question des principes fondamentaux de la
liberté d’association syndicale tels qu’ils sont reconnus en droit international.
La liberté d’association en droit international
C’est dans la foulée du Traité de Versailles que l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a été créée en 1919 pour établir des normes internationales relatives aux conditions de travail. En 1944, les délégués qui participent à la vingt-sixième Conférence Générale de l’OIT adoptent la Déclaration de Philadelphie . Cette déclaration met de l’avant certains principes fondamentaux qui orientent les travaux de l’organisation. Cette déclaration affirme à l’article 1 que : « a) le travail n’est pas une marchandise ; b) la liberté d’expression et d’association est une condition indispensable d’un progrès soutenu ». Elle affirme aussi à l’article 2 que « a) tous les êtres humains [...] ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ».
En 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme énonce à l’article 20 que « 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques » et à l’article 23.4 il est précisé que « (t)oute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ».
La Convention (C87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (Convention no 87) a pour effet de préciser le contenu du droit d’association. Elle stipule à l’article 2 que : « Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières » et qu’ils ont également « [...] le droit d’élaborer leurs statuts et règlements [...] et de formuler leur programme d’action » (article 3.1) à l’abri de toute intervention des autorités publiques (article 3.2). Elle prévoit également que les organisations de travailleurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations ainsi que celui de s’y affilier (article 5).
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (le « PIRDESC ») et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le « PIRDCP ») ont pour effet de reconnaître le droit de toute personne de former avec d’autres des syndicats et de s’y affilier en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux.
Les dispositions du PIRDESC prévoient aussi « que le droit de constituer des organisations syndicales et de s’y affilier ne peut pas faire l’objet de limitations autres que celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui » .
À ce sujet l’article 8 1. stipule que :
« Article 8 1. Les États parties au présent Pacte s’engagent à assurer :
a) Le droit qu’a toute personne de former avec d’autres des syndicats et de s’affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l’organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d’autrui.
b) Le droit qu’ont les syndicats de former des fédérations ou des confédérations nationales et le droit qu’ont celles-ci de former des organisations syndicales internationales ou de s’y affilier.
c) Le droit qu’ont les syndicats d’exercer librement leur activité, sans limitations autres que celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d’autrui.
d) Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays. »
Le « PIRDCP » affirme à l’article 22 1. que :
« Article 22 1. Toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts. 2. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux États parties à la Convention de 1948 de l’Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte — ou d’appliquer la loi de façon à porter atteinte — aux garanties prévues dans ladite convention. »
Les organismes de l’OIT chargés d’interpréter la Convention no 87 ont affirmé que le droit des travailleurs de constituer des organisations de leur choix s’étend aux salariés du secteur privé, aux fonctionnaires et aux agents de services publics en général .
1.2 La négociation collective en droit international
Depuis 1998, du seul fait de son appartenance à l’OIT, le Canada est tenu de donner suite à la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi . Les instances étatiques fédérale et provinciales ont maintenant l’obligation de respecter, de promouvoir et de réaliser les principes concernant les droits fondamentaux associés à la liberté d’association et à la reconnaissance effective du droit de négociation collective.
Les organes de contrôle de l’OIT considèrent également que le droit de négociation collective est un droit fondamental que les États ont le devoir de respecter et de promouvoir dans les secteurs privé et public. Le CLS donne la définition suivante de ce que signifie « négocier librement » :
« Le comité souligne tout d’abord l’importance fondamentale qu’il attache au droit de négociation collective. Le comité rappelle, de manière générale, que le droit de négocier librement avec les employeurs au sujet des conditions de travail constitue un élément essentiel de la liberté syndicale, et les syndicats devraient avoir le droit, par le moyen de négociations collectives ou par tout autre moyen légal, de chercher à améliorer les conditions de vie et de travail de ceux qu’ils représentent, et les autorités publiques devraient s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l’exercice légal. »
Les interventions des Parlements ou des assemblées législatives qui ont pour effet d’annuler ou de modifier unilatéralement le contenu des conventions collectives librement conclues, « contreviennent au principe de la négociation collective volontaire ». Les limitations imposées par les autorités politiques au sujet de la rémunération sont tolérées en autant qu’elles résultent de véritables consultations avec les représentants des organisations des salariés. Ces mesures doivent s’appliquer à titre exceptionnel, pour une durée limitée. Elles doivent aussi comporter des garanties de protection du niveau de vie des salariés .
1.3 Le droit de grève en droit international
Le droit de grève ne fait l’objet d’aucune convention ou recommandation provenant de l’OIT . Seul le PIRDESC comporte une disposition reconnaissant explicitement « le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays ». C’est à partir des dispositions de l’article 3 de la Convention no 87 que la CE et le CLS ont élaboré une jurisprudence qui affirme le caractère fondamental du droit de grève et qui présente les principes qui régissent son exercice.
Pour la CE et le CLS, la grève est un des moyens légitimes et essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour défendre leurs intérêts économiques et sociaux . Il s’agit donc d’un droit fondamental et de rien de moins que d’un corollaire du droit de liberté syndicale . Pour l’essentiel, l’interdiction générale du droit de grève est jugée incompatible avec les principes de liberté syndicale . Mais, les organes de contrôle de l’OIT reconnaissent que son exercice peut faire l’objet de restriction, ou d’interdiction totale, pour certaines catégories de personnel (les membres des forces armées, de la police ainsi que les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État) . Pour éviter une limitation déraisonnable à l’exercice du droit de grève, le CLS insiste sur le caractère forcément limité des personnes salariées susceptibles de se voir restreindre ou retirer complètement l’exercice de ce droit . Le droit de grève peut être interdit aux salariés à l’emploi d’entreprises qui fournissent des services jugés essentiels à la population[2] . Dans tous les cas, les salariés privés du droit de grève devraient bénéficier de garanties compensatoires de manière à pallier aux restrictions qui sont imposées à leur liberté d’action syndicale.
Le CLS résumait comme suit l’état du droit international sur cette question :
« S’agissant du processus de règlement des différends et des moyens de pression reconnus aux travailleurs, le comité rappelle que le droit de grève peut être restreint, voire interdit, dans les services essentiels, à savoir ceux dont l’interruption mettrait en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans tout ou partie de la population, et que le secteur hospitalier et le secteur de la santé sont des services essentiels. Même dans les services essentiels cependant, certaines catégories d’employés ne devraient pas être privées de ce droit lorsque, précisément, l’interruption éventuelle de leurs fonctions est sans incidence sur la vie, la sécurité ou la santé de la personne. Parallèlement, le comité a considéré que les travailleurs privés du droit de faire la grève devraient bénéficier d’une protection adéquate de manière à compenser les restrictions ainsi imposées à leur liberté d’action dans les différends survenant dans lesdits services ; ces restrictions devraient ainsi s’accompagner de procédures de conciliation et d’arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer et dans lesquelles les sentences rendues devraient être appliquées entièrement et rapidement. »
Conclusion
Voici rapidement présenté un certain nombre de préalables dont il faut tenir compte quand vient le temps de réclamer l’ajout de certains services publics dans la rubrique des « services essentiels » en période de conflit de travail.
Yvan Perrier
18 décembre 2023
10h30
yvan_perrier@hotmail.com
[1] Le présent texte est en grande partie un extrait de l’article suivant : Perrier, Yvan. 2009. « Lutte syndicale et contestation juridique à l’ère de la Charte canadienne des droits et libertés : du conflit ouvert à la plaidoirie feutrée… ». Lex electronica, vol. 14 no 2 (Automne / Fall 2009). https://www.lex-electronica.org/files/sites/103/14-2_perrier.pdf. Consulté le 18 décembre 2023.
[2] Au fil des ans, le CLS a précisé ce qu’il entend par « services essentiels ». « Peuvent être ainsi considérés comme services essentiels : la police, les forces armées, les services de lutte contre l’incendie, les services pénitentiaires, le secteur hospitalier, les services d’électricité, les services d’approvisionnement en eau, les services téléphoniques, le contrôle du trafic aérien et la fourniture d’aliments pour les élèves en âge scolaire [...]. Toutefois, dans les services essentiels, certaines catégories d’employés, par exemple les ouvriers et les jardiniers des hôpitaux, ne devraient pas être privés du droit de grève (...) En revanche, le comité considère au contraire, de façon générale, que ne sont pas des services essentiels au sens strict : la radiotélévision, les installations pétrolières, les banques, les ports (docks), les transports en général, les pilotes de ligne, le transport et la distribution de combustibles, le service de ramassage des ordures ménagères, l’Office de la monnaie, les services des imprimeries de l’État, les monopoles d’État des alcools, du sel et du tabac, l’enseignement et les services postaux. Le service de ramassage des ordures ménagères est un cas limite et peut devenir essentiel si la grève qui l’affecte dépasse une certaine durée ou prend une certaine ampleur » dans Bernard GERNIGON, « Relations de travail dans le secteur public : Document de travail no2 », (2007), Genève, Bureau international du travail, 22-23.
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