Qui est fait pour gouverner ? Quelles qualités doit avoir une personne aspirant à diriger ? Ce genre de questionnement, tout à fait légitime, sous-entend son contraire. Parce qu’il serait tout autant nécessaire de se demander : qui n’est pas fait pour gouverner ? Et quels défauts ou limites viendraient miner les aspirations d’une personne à vouloir diriger ? Nous le savons, les dirigeantEs politiques ont parfois un « ego » surdimensionné, comme si ce trait distinctif était utile, quoique l’idéal demeure, selon un point de vue largement partagé, de subordonner cet ego de façon à veiller au mieux-être collectif. Évidemment, l’exercice présent exposera notre choix intéressé à la seconde série de questionnements. Car feindre des qualités est devenu soudainement aisé, en manipulant les discours et l’image de manière à mieux plaire, voire à mieux flatter l’opinion publique qui détient le pouvoir de faire élire des représentantEs. Mais au-delà de cacher l’« ego surdimensionné », du moins pour le temps nécessaire à atteindre le pouvoir, ou encore de l’afficher ouvertement comme étant une qualité recherchée chez la personne méritant de gouverner, s’ajoutent d’autres types entrant dans les troubles de la personnalité, tels que la « personnalité histrionique » et la « personnalité narcissique ». Derrière ces notions se trouve une unité sémantique d’apparition récente, pour laquelle l’Office québécois de la langue française a reconnu la pertinence. Nous y reviendrons d’ailleurs à la fin. Mais d’abord quelques lignes au sujet des personnalités « histrionique » et « narcissique ».
Du côté du DSM-5-TR
Dans l’édition de 2013 du volumineux DSM-5-TR[1], il est précisé que la « personnalité histrionique » affecte une personne qui a manifestement besoin de beaucoup d’attention (« quête d’attention ») et doit présenter alors « au moins cinq des manifestations suivantes » :
1. Le sujet est mal à l’aise dans les situations où il n’est pas au centre de l’attention d’autrui.
2. L’interaction avec autrui est souvent caractérisée par un comportement de séduction sexuelle inadaptée ou une attitude provocante.
3. Expression émotionnelle superficielle et rapidement changeante (ce qui donne l’impression d’une personnalité superficielle).
4. Utilise régulièrement son aspect physique pour attirer l’attention sur soi.
5. Manière de parler trop subjective mais pauvre en détails (p. ex. la personne est extrêmement vague et manque trop souvent de détails dans ses accusations à l’emporte-pièce).
6. Dramatisation, théâtralisme et exagération de l’expression émotionnelle.
7. Suggestibilité, est facilement influencé par autrui ou par les circonstances.
8. Considère que ses relations sont plus intimes qu’elles ne le sont en réalité (pp. 956-957).
Pour ce qui est maintenant de la personne qui souffre d’un trouble de la personnalité apparenté à la « personnalité narcissique », les symptômes correspondants sont minimalement les suivants : un schéma persistant de grandiosité, un grand besoin d’admiration et un manque prononcé d’empathie. Ce modèle implique la présence de cinq ou plus des éléments suivants :
1. Le sujet a un sens grandiose de sa propre importance (p. ex. surestime ses réalisations et ses capacités, s’attend à être reconnu comme supérieur sans avoir accompli quelque chose en rapport — voir à ce sujet : mégalomanie).
2. Est absorbé par des fantaisies de succès illimité, de pouvoir, de splendeur, de beauté ou d’amour idéal.
3. Pense être « spécial » et unique et ne pouvoir être admis ou compris que par des institutions ou des gens spéciaux et de haut niveau.
4. Besoin excessif d’être admiré.
5. Pense que tout lui est dû : s’attend sans raison à bénéficier d’un traitement particulier favorable et à ce que ses désirs soient automatiquement satisfaits.
6. Exploite l’autre dans les relations interpersonnelles : utilise autrui pour parvenir à ses propres fins.
7. Manque d’empathie : n’est pas disposé à reconnaître ou à partager les sentiments et les besoins d’autrui.
8. Envie souvent les autres, et croit que les autres l’envie.
9. Fait preuve d’attitudes et de comportements arrogants et hautains (p. 960).
Chose certaine, ces troubles de la personnalité marquent une distinction importante avec l’idéal recherché chez la personne qui souhaite diriger une nation — pour ne nommer que quelques qualités espérées, tels que l’abnégation, la tempérance, la prudence, la bienveillance, la franchise, l’attitude proactive, etc. La difficulté perçue ici avec les personnalités histrionique et narcissique revient au fait que les personnes les incarnant cherchent à se mettre au-dessus des aspirations collectives, voire même à faire des leurs une réclame absolue, universelle. Par ailleurs, l’obtention du pouvoir et de l’autorité contribue à amplifier ces troubles, alors que les mécanismes de contrainte à la citoyenne ou au citoyen ordinaire semblent disparaître aux yeux de celles-ci. Autrement dit, tout devient possible pour ces personnes et toute entrave doit être écartée de leur chemin. Dès lors s’élèvent des étiquettes bien connues, telles que despote, dictateur, tyran, absolutiste et ainsi de suite. Mais est-ce dire que tous les personnages qualifiés de la sorte porteraient se même trait, voire ces mêmes troubles ? Sans tomber dans la généralisation hâtive, le réflexe revient effectivement à leur trouver des ressemblances : la primauté de leur personne sur celle des autres, l’aptitude à devenir cruel, l’ambition souvent exagérée, le besoin de faire l’histoire… Mais s’agit-il nécessaire d’une quête d’attention ? de volte-face inexplicables ? de pertes de contrôle émotionnelles ? Même si la tendance aux typologies peut être utile à classer des troubles de la personnalité ou toute autre déviance du genre, il reste que chaque cas reste unique. De là se comprennent les listes servant à condenser une certaine exhaustivité, dans le but de rapporter divers cas au type décrit. Malgré tout, un bémol demeure sur cette façon de faire, dans la mesure où il est impossible de tout décrire. Sur le plan politique et de la société dans son ensemble, les actions posées sont celles qui donnent le plus de couleur au type de personne qui dirige. Et à partir de cette couleur, il devient alors possible de porter un jugement sur les bienfaits ou les torts affectant le bien-être général. Cela revient non seulement aux attributs recherchés chez la personne souhaitant diriger, mais surtout à ses actes envers la population qui l’a choisie. Autrement dit, on revient au droit des citoyenNEs de destituer une personne d’État pour ses décisions aux effets néfastes pour la société, comme le disaient les Locke, Montesquieu et Rousseau de ce monde. La difficulté revient toutefois à clarifier ce qui est bon et bien pour celle-ci, en raison des diverses formes d’aspirations prêchées par une pluralité de groupes. Le despote parlera au nom de la liberté, en créant un climat de peur et d’instabilité, comme Robespierre, tombé dans la paranoïa, qui a fait guillotiner des gens soi-disant opposantEs à la République de la Révolution ; pour lui, la démocratie était terreur et vertu. Ainsi, à ce qui a été souligné précédemment au sujet des troubles de la personnalité, mérite d’être jointe une conception du bien et du mal ; rappelons d’ailleurs en plus des propos de Hannah Arendt (2009) sur la transformation de la morale allemande chez les nazis, prétendant à faire d’un mal un bien. Cette base devient essentielle pour statuer sur la capacité d’une personne à diriger.
« Ultracrépidarien[2] »
Nous avons cru remarquer, tout au long de notre existence consciente, qu’il y a de nombreuses et de nombreux politicienNEs qui donnent leur avis sur de nombreux sujets. Or, selon l’Office québécois de la langue française (2025, s.p.), une « [p]ersonne qui agit comme si elle était spécialiste d’un domaine, ou d’un sujet, qu’elle ne maîtrise pas » correspond à une « ultracrépidarienne » ou un « ultracrépidarien ». Évidemment, une dirigeante ou un dirigeant d’État ne possède pas toutes les connaissances pour s’immiscer dans une discussion qui porte sur des thèmes « spécialistes », soit en médecine, soit en ingénierie, soit en science en général. De là, l’importance de savoir s’entourer et d’écouter l’expertise des autres. L’humilité devient alors une qualité nécessaire, car il n’y a aucun mal à reconnaître notre incapacité à traiter d’un sujet précis ; bref, la force de l’humilité revient à savoir s’unir. On revient ici à la discussion de Socrate avec Alcibiade (Platon, 2000), dans laquelle le dernier devait d’abord reconnaître ses propres compétences, mais aussi ses faiblesses, avant d’entreprendre le saut en politique. Reconnaître son ignorance représente la première étape pour devenir meilleur. D’ailleurs, les personnes qui aspirent à gouverner ont-elles réellement les compétences et les qualités pour y parvenir ? Cette question ne se pose pas seulement par les électrices et les électeurs, mais par ces personnes elles-mêmes. Il faut savoir donc éduquer celle ou celui qui veut diriger, leur apprendre en quelque sorte l’art de gouverner. CertainEs attesteront d’une qualité innée chez des gens à être leader, n’étant donc pas le cas de tout le monde. Cela est vrai. Mais une autre interrogation s’impose à savoir : savons-nous vraiment les repérer correctement ? La première ou le premier venuE qui ose s’afficher publiquement, prêchant un changement souhaitable, prenant appui sur des assises discutées par la population fatiguée d’une certaine situation, se proposant volontaire pour améliorer les choses, se disant alors compétentE dans le domaine, qu’elle doit être alors notre première réaction ? Il n’y a aucun mal à suspecter la supercherie, à se questionner sur ses véritables intentions et à exiger des preuves. Mais doit-on se verser dans une démocratie de contrôle ? Doit-on réguler de la sorte toutes nos représentantes et nos représentants ? Déjà il est difficile de recruter et souvent les candidatEs ne sont pas nécessairement les plus qualifiéEs. Et si ce soin est appliqué par les partis politiques, des cas nous montrent des ratés. Or, la question finalement posée concerne surtout la personne qui est nommée au titre suprême, soit de présidentE, soit de premier.IÈRE ministre, susceptible de détourner le pouvoir démocratique à des fins personnelles. À ce titre, il est question de réguler les chefs de parti, en songeant aux régimes semblables au nôtre. Déjà, le portrait s’agrandit. Il faut comprendre aussi qu’une ligne de parti existe et qu’une cheffe ou un chef doit l’incarner. De la sorte, cela nous ramène pratiquement au point de départ, alors qu’il faudrait peut-être contrôler les effectifs de chaque parti, pour garantir le respect du bien commun pour toutes et tous, en raison d’écarts de nature idéologique susceptibles de causer des torts. Pouvons-nous vraiment obtenir cette garantie ? S’ajoute en plus la façon de procéder : qui mettra en place la structure requise ? sera-t-elle convenable ? comment fonctionnera-t-elle ? qu’est-ce qui doit être prioritaire, afin de séparer les bonnes des mauvaises personnes aspirant au pouvoir ? enfin, que deviendra la démocratie face à ce système d’exclusion risquant d’être imparfait ? Voilà que nous tournons en rond. Au final, nous renouons avec une perspective posée plus tôt : juger en fonction des décisions et des gestes entrepris par les dirigeantEs. Cela impliquerait un droit pour les citoyenNEs d’agir en dehors du vote aux périodes électorales.
Conclusion
Sur ce fondement tiré de la psychologie, il appartient aux spécialistes du domaine de diagnostiquer les dirigeantEs qui ont exercé le pouvoir ou qui sont en ce moment en position de commandement de leur État-nation ; il appartient à ces spécialistes de nous dire de quoi certaines ou certains parmi les dirigeantEs politiques souffrent. Est-ce dire que nous leur accordons de facto une nouvelle responsabilité ou un devoir socio-politique ? Peut-être. Reste qu’un état psychologique chez une personne est susceptible de changer au cours du temps, en fonction de toutes sortes de variables à la fois environnementales, personnelles, biologiques et passons les autres. Il n’empêche que, de notre côté, nous n’hésiterons pas à dire au sujet d’une personne qui donne son avis, comme s’il s’agissait d’un avis professionnel sur un domaine ou un sujet qu’elle ne maîtrise pas, qu’il s’agit bel et bien d’unE ultracrépidarienNE. Oser le faire, c’est aussi revendiquer un droit à l’humilité chez ces personnes, dont celles qui s’y opposeront révèleront peut-être alors leur côté histrionique ou narcissique.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
26 avril 2025
17h30
Références
Arendt, Hannah. 2009. Responsabilité et jugement. Paris : Payot & Rivages, 362 p.
Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques. 2013. Arlington, VA : Association américaine de psychiatrie, 1 216 p.
Ultracrépidarien. 2025. In Office québécois de la Langue française.
https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26577164/ultracrepidarien. Consulté le 25 avril 2025.
Platon. 2000. Alcibiade. Paris : Granier-Flammarion, 245 p.
Notes
[1] Le DSM-5 est la cinquième et plus récente édition, publiée en 2013, du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) de l’Association américaine de psychiatrie (APA : American Psychiatric Association).
[2] Voir https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26577164/ultracrepidarien.
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