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Québec

Intervention de Sol Zanetti à l’Assemblée nationale | 2 décembre 2022

Que l'Assemblée nationale déplore le déficit d'amour du gouvernement envers son propre peuple et qu'elle l'invite à renouer avec l'espoir, l'audace et nos rêves de libertés collectives

Transcription de l’intervention par le secrétariat de l’Assemblée nationale.

On est qui, comme personne, quand on ne décide pas de ce qu’on fait ? Et on est qui, comme peuple, quand on ne décide pas de ce qu’on fait ? Je vais vous parler aujourd’hui d’identité, d’aliénation, de démocratie, de langue, de souveraineté, d’indépendance et de famille. Depuis le référendum de 1995, le Québec est rentré dans une phase plus conservatrice de son histoire politique.

On est, je pense, à l’apogée de cette période-là. Il s’est passé à peu près la même chose après la rébellion des patriotes. C’est comme si on s’était dit : la liberté est impossible, alors, au moins, survivons, abandonnons nos rêves fous de liberté, ajustons l’horizon de nos possibles à ce que peuvent espérer atteindre ceux et celles qui ont perdu.

Moi, j’ai grandi dans ce contexte de léthargie politique là et j’ai trouvé ça terrible. Je nous rappelle la définition du mot « léthargie » : sommeil pathologique profond avec relâchement musculaire total. C’est terrible pour un peuple et pour sa jeunesse de laisser le désespoir s’abattre sur lui comme une chape de plomb. Quelle tristesse.

Est-ce vraiment ce que nous voulons pour notre avenir ?

La CAQ nous a proposé la survie identitaire... mais c’est quoi, ça, survivre, exactement ? La survie, c’est ce qu’on vise quand on n’a pas le choix. La survie... Dans la survie, on ne s’épanouit pas, on ne développe pas nos talents, on ne grandit pas. On n’est pas heureux quand on est en mode survie. Le Québec et les peuples qui le façonnent peuvent aspirer à beaucoup plus que la survie s’ils s’en donnent les moyens politiques. Les politiciens et politiciennes qui aujourd’hui dominent notre système politique se sont hissés au pouvoir en vendant l’illusion qu’ils sauraient défendre notre identité dans le système politique canadien. Mais le système politique canadien, il n’a pas été créé pour ça, il a été créé pour effacer nos identités. Et, pour s’en convaincre, il suffit de relire, évidemment, le rapport Durham. En nous enlevant du pouvoir sur notre avenir, on contribue à nous effacer.

Pourquoi notre existence politique comme province au sein du Canada est-elle incompatible avec l’épanouissement de notre identité ? La raison est simple, il n’y a que la souveraineté qui nous permettra d’être ce que nous sommes. La souveraineté pour un peuple, c’est de décider par nous-mêmes de ce qu’on fait ensemble. En ce moment, on a une influence minime sur ce qui se décide à Ottawa pour nous, et cette influence est en déclin continu depuis 150 ans. Plus ça va aller, moins les décisions qui façonneront notre avenir seront nos décisions. Est-ce que c’est ça qu’on souhaite pour nos enfants, la régression programmée et inéluctable de notre liberté politique ?

Même à l’intérieur de l’État québécois, on a un problème de représentation politique. L’Assemblée nationale du Québec, telle qu’elle est composée actuellement, ne représente pas la diversité politique du Québec. Le Québec n’est pas caquiste. Près de 60 % des électeurs s’étant exprimés n’ont pas voté pour la CAQ. C’est un mode de scrutin colonial et favorisant structurellement le conservatisme qui a donné 90 députés à la CAQ. Il n’y a pas de quoi à être fier de ça. J’espère que les députés du gouvernement auront l’humilité de le reconnaître tout au long des quatre prochaines années.

Le gouvernement caquiste a gagné par défaut d’avoir un mode de scrutin dans lequel chaque vote compte. L’élection de 90 députés caquistes, ce n’est pas l’expression de ce que nous sommes. C’est une distorsion de ce que nous sommes, c’est la censure d’une partie importante de ce que nous sommes, de notre identité. 41 % des votes exprimés, même pas 30 % du vote des électeurs inscrits, et pourtant 100 % du pouvoir, 100 % des décisions. Les décisions du gouvernement que le gouvernement va prendre ici, ce sont les décisions d’une minorité du Québec. Le mode de scrutin qu’on a met en péril l’identité québécoise et sa diversité politique. Défendre l’identité québécoise, ce serait réformer le mode de scrutin, en commençant. Notre mode de scrutin nous rend étrangers à ce que nous sommes, notre mode de scrutin nous aliène. On est qui comme peuple quand on ne décide pas de ce qu’on fait ?

Qu’est-ce qui définit exactement l’identité d’un peuple ? La question se pose. Les peuples comme les individus sont la somme de leurs actions. Le peuple, notre peuple, n’est pas ce que les éditorialistes du Toronto Star en pensent. Nous ne sommes pas ce que le Maclean’s en pense, nous ne sommes pas non plus ce que Mathieu Bock-Côté en pense. Nous ne sommes pas... Nous sommes ce que nous avons fait et nous deviendrons ce que nous allons décider d’être, ensemble, si on s’en donne les moyens politiques. Être fidèle à soi-même, ça ne signifie pas ne pas changer, ça signifie plutôt : décider librement de ce que nous allons devenir ensemble, de comment nous allons changer. La meilleure protection de l’identité, c’est la liberté. Comment on est supposés faire ça dans l’État canadien ? Comment on est supposés faire ça dans un État dans lequel on ne parvient même pas à négocier une hausse de transferts en santé sans condition ou encore à refuser que des oléoducs fracturent notre territoire ?

L’identité, pour une personne comme pour un peuple, ce n’est pas figé dans le temps. Les peuples et les gens changent. En fait, il est essentiel de changer parfois pour devenir réellement nous-mêmes, surtout quand ça fait des siècles que d’autres décident pour nous. Un peuple qui ne prend pas toutes ses décisions par lui-même est coupé de ce qu’il est, il devient étranger à lui-même et il s’aliène. En se soumettant au régime canadien, la CAQ ne fait rien pour arrêter ça, elle en est complice. Et le premier ministre actuel a déjà su ça, il s’est déjà battu pour ça et c’était juste et beau.

L’aliénation, c’est le fait de devenir étranger à soi-même, d’être sous le joug d’une puissance qu’on ne contrôle pas. L’aliénation, c’est un problème d’injustice économique, évidemment que Marx dénonce avec raison, mais c’est plus profondément un problème identitaire. Notre système économique actuel est très certainement aliénant, mais notre système politique aussi. Si ce sont nos actions qui nous déterminent, et que nous ne décidons pas collectivement de tout ce que nous faisons, qu’allons-nous devenir ? Nous n’allons pas nous déterminer par nous-mêmes, en tout cas, nous deviendrons ce que les autres auront voulu et décidé qu’on soit. C’est terrible, personne ne souhaiterait ça à quelqu’un qu’il aime.

La seule chose, évidemment, qui va protéger l’identité québécoise, les identités québécoise et autochtone, la seule chose qui va nous permettre de devenir enfin tout ce que nous portons de rêve et de désir, c’est la création commune d’un pays, d’un pays de peuple souverain. J’entendais le premier ministre dans son discours s’inquiéter pour l’avenir du Français. Il a bien raison de le faire. Mais, en pointant les immigrants comme menace à contrecarrer, il détourne notre attention du problème fondamental. On aura beau mettre toutes les lois provinciales possibles en œuvre pour protéger le français, tant qu’on restera au Canada, l’anglais préservera toujours une attractivité impossible à rivaliser. On est au Canada, la langue de la majorité, au Canada, c’est l’anglais. La langue de la majorité sera toujours plus attractive et va faire décliner le français à long terme. Refuser de le voir et d’agir à ce sujet, ça ne nous mènera pas loin. À la fin du mandat de la CAQ, ça va faire presque une décennie qu’elle est au pouvoir et qu’elle gouverne le Québec. On va voir les chiffres sur leur performance à protéger le français. Et, si on continue sur la même voie, les résultats ne seront pas bons. On aura perdu une autre décennie.

J’étais d’accord avec le premier ministre lorsqu’il disait que la cohésion sociale est importante et que les Québécoises et Québécois sont solidaires. Par contre, je trouve qu’il n’en prend pas bien soin, de notre cohésion sociale et du sentiment d’appartenance à notre nation. L’interdiction des signes religieux par la loi 21 un qui a été fait dans les dernières années, ça a causé des grandes fractures chez beaucoup de Québécoises et de Québécois. On aurait voulu les faire sentir étrangères au Québec qu’on ne s’y serait pas mieux pris. Et que dire de la récente décision de porter en appel le jugement qui pourrait mettre fin à une part significative du profilage racial au Québec ? Les personnes qui vivent du profilage racial et qui vous voient faire, elles se disent : ce gouvernement ne nous connaît pas, il ne nous comprend pas, ce n’est pas le nôtre, nous considère-t-il vraiment comme Québécois ? Pour soigner et cultiver notre cohésion sociale, il faut gouverner de manière inclusive. J’ai entendu le premier ministre nous parler d’inclusion dans son discours d’ouverture, mais je dois avouer que ça sonnait pas mal creux.

J’ai entendu aussi des souhaits concernant les familles au Québec, des souhaits que tout le monde puisse trouver une place abordable en services de garde pour toutes les personnes qui en ont besoin. C’est un souhait que je partage. J’étais content d’entendre ça. Mais c’est difficile à croire que les moyens sont en place pour que ça arrive, même en ce moment, quand on regarde les inscriptions qui sont dans les techniques d’éducation à l’enfance par rapport aux besoins de main-d’oeuvre qu’il y a à combler dans l’ensemble du réseau.

Je veux terminer en parlant d’amour. Je pense que c’est important de venir faire de la politique avec amour. Mais qu’est-ce que ça veut dire exactement ? Et qu’est-ce que l’amour ? C’est une grande question. Je pense que l’amour, en politique, ça devrait être quelque chose comme vouloir du bien aux autres, vouloir le mieux pour eux. Et je pense qu’on ne peut pas dissocier l’amour de la liberté, parce que, pour ceux qu’on aime et pour celles qu’on aime, on veut qu’ils soient libres. On veut qu’ils fassent leurs propres choix. On veut qu’ils aient un horizon libre, toutes les options pour eux et pour elles. Et pour moi, clairement, aimer son peuple, c’est ça, c’est vouloir qu’il soit libre, rien de moins, rien en bas de ça. C’est vouloir qu’il ait les options, c’est vouloir qu’il puisse absolument tout décider de ce qui concerne son avenir. C’est ça, l’amour vrai, c’est ça, l’amour vrai pour une personne et c’est ça, l’amour vrai pour un peuple. Je nous invite donc, les uns les autres, dans cette prochaine législature, à nous aimer pour vrai, à nous donner tous les moyens politiques de nos ambitions.

Et c’est pour ça que je vais déposer cette motion de grief :

Que l’Assemblée nationale déplore le déficit d’amour du gouvernement envers son propre peuple et qu’elle l’invite à renouer avec l’espoir, l’audace et nos rêves de libertés collectives.

Merci, M. le Président.

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