Édition du 12 mars 2024

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Laïcité

Après la journée de réflexion de QS sur la laïcité du 9 février 2019

Québec solidaire, le voile et l'indépendance

Dans cette affaire, QS n’a pas choisi l’agenda, ni le thème de départ ; c’est la CAQ de François Legault qui les ont imposés. Et c’est une laïcité trafiquée –à géométrie variable, réduite à la portion congrue— dont il a installé la scène ; une laïcité tronquée qu’il utilise pour surfer sur les sentiments identitaires et tenter d’accumuler du capital politique.

QS a une toute autre idée de la laïcité. Et il est bien difficile, dans ce contexte, de la mettre de l’avant dans son entièreté. Il le faut pourtant : au nom de la séparation des Églises et de l’État ainsi que de la tolérance institutionnalisée qu’elle installe, QS a opté pour qu’il n’y ait plus de crucifix au parlement, plus de financement des écoles privées ; et qu’à l’inverse il y ait un soutien véritable aux immigrants de toutes allégeances pour qu’ils puissent, hommes comme femmes, apprendre le français, disposer d’un travail à leur hauteur, en somme trouver leur juste place dans une société du Québec, démocratique et pluraliste.

Reste le voile qu’on a placé au centre du débat... pour diviser passionnellement les uns et les autres ! Que décider à son propos, quand on est militant, militante de QS ?

Doit-on être contre toute interdiction, ou au contraire doit-on favoriser le compromis Taylor Bouchard de 2008 ? (voir à ce propos : https://www.pressegauche.org/La-question-de-la-laicite-au-Quebec-un-beau-defi-pour-QS)

On s’entend là-dessus : si la question du voile, n’a qu’une valeur symbolique —ne serait-ce que par le peu de personnes qu’elle toucherait réellement en cas de législation à son propos— elle en a cependant une très forte, car comme tous les symboles, elle parle à notre imaginaire et renvoie implicitement autant par exemple à de vigoureuses volontés individuelles d’être anti-racistes ou anti-islamophobes, qu’à de puissants désirs d’affirmation de certaines valeurs collectives qui sont censées, comme le féminisme ou l’égalité, nous caractériser comme Québécois. Ou encore à des désirs d’amour ou de liberté. C’est selon !

Disposer d’un point de vue global

Pourtant —c’est là le point clé— QS ne peut pas regarder les choses uniquement par le petit bout de la lorgnette. Comme parti politique, il doit voir les choses d’un point de vue global, et aborder la question de la laïcité en l’insérant dans « un projet de société » ainsi que dans une stratégie politique permettant de lui faire voir le jour.

Or QS est un parti indépendantiste, et il l’est parce que QS sait que le Québec actuellement ne dispose pas des leviers nécessaires pour mener les réformes sociales et écologiques d’ordre structurel qu’il souhaite entreprendre, tant il reste un État provincial croupion et tant le peuple du Québec n’a jamais eu la possibilité dans son histoire de décider des lois auxquels il voulait obéir.

D’où l’importance d’affirmer –en termes de laïcité— quelque chose qui puisse marquer la spécificité québécoise, indiquer son désir d’indépendance, se différencier de la position multiculturaliste canadienne à la Justin Trudeau ; une position dont on sait comment elle est pétrie du seul respect formel des droits individuels, réduite à ne penser le vivre-ensemble qu’à travers l’acceptation passive de la différence culturelle individuelle.

QS veut plus que cela. Il veut aussi défendre les droits collectifs d’un peuple, penser un projet d’émancipation en commun et interculturel, et pour cela il doit non seulement faire preuve de décision en montrant dans chacun de ses gestes immédiats la force de sa préoccupation indépendantiste, mais aussi il doit pouvoir penser en termes de politiques d’alliances à venir : comment ne pas se couper du courant souverainiste (représentant au moins plus de 30% de l’électorat) ; plus encore comment le rallier à son projet politique progressiste et pluraliste alors que tant de personnes sont aujourd’hui séduitEs par les sirènes du populisme identitaire ? L’histoire nous l’a montré : ce n’est pas en stigmatisant de larges secteurs de la population qu’on soigne les peurs et insécurités collectives qui les hantent, mais au contraire en les prenant réellement en compte et en leur donnant un contenu positif.

C’est en cela que le compromis Taylor Bouchard garde un intérêt pour QS. Non pas nécessairement en soi, mais par les intentions qu’il révèle, la direction qu’il indique : comme compromis qui affirme la spécificité québécoise et donc peut garder symboliquement le cap vers l’indépendance, mais sans pour autant, par sa "raisonnabilité" même, prêter flanc à la xénophobie ou au racisme. QS saura-t-il l’entendre ?

Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste
Dernier ouvrage : Les stratèges romantiques, Remédier aux désordres du monde contemporain, Montréal, Écosociété, 2017

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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