Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Santé, éducation et renouvellement des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic… (deuxième partie)

Quelques gloses marginales pour terminer

Si dans la première partie nous avons surtout exposé de récentes nouvelles sur l’évolution à la fois de la Santé, de l’Éducation et des conventions collectives, au point d’aboutir à un commentaire critique qui révèle le maintien d’une mentalité gestionnaire et des calculs subordonnant ainsi l’importance des vocations à autrui, cette seconde partie repose sur quelques gloses, dites « marginales », qui servent à poursuivre la critique mais surtout à suggérer un changement de mentalité.

Glose 1 : Les formules magiques

Les membres du gouvernement Legault nous ont maintes fois prouvé qu’ils ne sont pas des « magiciens », c’est-à-dire des personnes capables de produire des effets extraordinaires ; ils sont plutôt des « apprentis sorciers », voire des personnes toujours en apprentissage qui répètent presque les mêmes faux pas, comme le fait foi, surtout dans certains cas particuliers et chez certain.e.s, le peu de souci des effets secondaires de leurs actions. Mais plus encore, elles ont fait le tour de leur livre de magie, celui-là même utilisé par leurs prédécesseurs tout aussi déroutés, ce qui doit nécessairement exiger un changement drastique de vision. Pour utiliser alors les bonnes formules magiques, la tâche justifie de sortir du fanatisme néolibéral, afin de retourner avec sincérité vers des valeurs plus près d’un idéal de l’État souhaité et souhaitable, à savoir un État soucieux de l’équilibre corps/esprit (autrement dit, d’une responsabilisation envers les soins physiques, mentaux et cognitifs) de ses membres constituants.

Glose 2 : Plus que d’attirer des bras dans la job

Manifestement, pour combler la pénurie de main-d’œuvre en santé et en éducation, le gouvernement est à court d’idées pertinentes, pour ne pas dire d’idées néolibérales. Il semble chercher une main-d’œuvre qui sera désormais appauvrie, dans la mesure où un parcours scolaire moins long ou des heures réduites de formation seront exigés. Oublions alors ici la vocation et le véritable support de l’État aux institutions, puisque le but se réduit simplement et seulement à remplir les trous ; autrement dit, à trouver uniquement et principalement « des bras pour faire une job ». Passer d’un statut de vocation à celui d’une « job » suppose non seulement une solution à courte vue, mais aussi des répercussions négatives éventuelles sur la qualité des services offerts à la population. Ainsi, dans la mentalité économique, il s’agit de fournir le service requis au moindre coût : tant que le service de ce type est rendu, l’objectif est atteint.

Glose 3 : Sortir la vérité de l’erreur

Il serait bien que durant les entrevues certains journalistes cessent de nous véhiculer des informations erronées. À titre d’exemple, lors d’une récente entrevue du journaliste Alec Castonguay avec le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, l’animateur de l’émission Midi-Info a prétendu que les enseignant.e.s au sommet de l’échelle ont obtenu une augmentation salariale de « 14 % » sur 3 ans. Sauf erreur de notre part, en consultant la convention collective présentement en vigueur et disponible sur le site de la FAE, l’augmentation salariale qui a été accordée aux enseignant.e.s de l’échelon 17, du 1er avril 2020 au 31 mars 2023, a été de 7,64 % ; dans les faits, le salaire nominal de ce groupe est passé de 85 489 à 92 027 $[1]. Ce sont les enseignant.e.s de l’échelon 16 qui ont eu droit à une augmentation salariale de 13,9 %. Du côté des cégeps, les professeur.e.s, au sommet de l’échelle, ont dû se contenter d’un très modeste 6 % d’augmentation salariale sur 3 ans.

Est-ce donc dire que l’utilisation des chiffres sert tout autant à démontrer que les vocations en santé et en éducation sont suffisamment rémunérées et que, par conséquent, vouloir apporter les ajustements salariaux normaux seraient de l’exagération ? Comme nous l’avons souligné dans la première partie de notre critique, à savoir dans notre article intitulé « Santé, éducation et renouvellement des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic… Crise ou volonté du gouvernement caquiste d’imposer coûte que coûte sa vision des choses ? », la valeur d’une vocation repose non seulement sur la rémunération mais aussi sur la volonté même du gouvernement à la supporter, ce qui signifie tout autant un désir de supporter l’institution qu’elle représente. Cela veut aussi dire que négocier sur la place publique de manière à ternir l’image d’une vocation équivaut automatiquement à l’effriter et à faire savoir en quelque sorte qu’elle compte de moins en moins pour l’État.

Glose 4 : Sur l’enseignement en particulier

La profession d’enseignant.e correspond à une profession qualifiée, ce qui suppose que la pratique du métier ne peut pas être confiée à n’importe quel quidam qui détient un diplôme universitaire de premier cycle dans une discipline spécialisée figurant au programme d’enseignement (français, anglais, mathématiques, éducation physique, arts, sciences humaines — histoire, géographie, économie —, sciences pures — chimie, biologie, physique — ou autres). Il s’agit d’une profession qui suppose et exige de la part des enseignant.e.s qui oeuvrent ou qui vont oeuvrer dans les écoles primaires et secondaires des qualifications précises ; et notons, en passant, cette absence d’exigences pour devenir politicien.ne.s, et cela, comme nous pouvons trop souvent le constater, ne nous met pas à l’abri d’un gouvernement cacocratique (c’est-à-dire médiocre). Confier la réalisation de certaines missions à des personnes qui ne possèdent pas toutes les qualifications requises peut entraîner des conséquences graves pour le présent et l’avenir d’une société.

La profession d’enseignant.e correspond à une profession (une vocation) qui ne s’improvise pas et l’éducation même, dans une société du savoir comme la nôtre, constitue par essence un authentique bien public (nécessaire au bien-être commun). Il n’est pas permis d’exclure quiconque de l’utilisation de ce bien. En plus, la personne utilisatrice du bien commun a droit à un service de qualité, donné par une personne qualifiée et compétente agissant à l’intérieur de l’institution que nous nous sommes tous et toutes donnée. Comme déjà dit, on ne s’improvise pas enseignant.e, tout comme d’ailleurs on ne peut s’improviser pilote d’avion ou chirurgien.ne dans une salle d’opération. Le permis d’autorisation à l’enseignement ne peut pas être délivré à quiconque manifeste un intérêt soudain pour la profession en période ou non de pénurie de la main-d’œuvre. Il serait plutôt bien avisé d’attendre le prochain avis du Conseil supérieur de l’éducation, prévu pour novembre prochain, avant d’introduire des mesures présentement en expérimentation.

Au sujet de la qualité de l’enseignement offert aux élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire, voici ce qu’écrivait le Conseil supérieur dans un avis daté de 2021 :

Pour le Conseil, la qualité de l’enseignement offert aux élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire est primordiale ; elle est déterminante pour la réussite et le rapport à l’apprentissage des élèves. La formation des enseignantes et des enseignants ainsi que leurs compétences professionnelles sont centrales en cette matière. À ce titre, les modifications prévues aux articles définissant les trois voies d’obtention d’une autorisation provisoire d’enseigner en formation générale […][2] soulèvent d’importantes préoccupations. Elles viennent réduire les exigences qui permettent de délivrer une telle autorisation, ce qui se traduit, concrètement, par l’obtention d’un statut d’enseignante ou d’enseignant légalement qualifié par des personnes dont la formation à l’enseignement, pour plusieurs, est peu élaborée, voire insuffisante, à leur entrée en fonction (Avis du Conseil supérieur de l’éducation, 2021, p. 2).

Voilà donc une autre façon d’effriter la valeur d’une vocation et, en même temps, celle de son institution. Cela semble justifier sur la base d’une attitude réactive plutôt que proactive, bien que pourtant des valeurs d’une saine planification, de suivi et de contrôle caractérisent la mentalité économique gouvernementale. Ce paradoxe met alors en lumière une dure réalité : le système croit seulement à l’accumulation et à l’enrichissement matériel, oubliant ainsi les autres types de richesses qui caractérisent une société. Les vocations en santé et en éducation subissent ce paradoxe qui équivaut à leur dépérissement graduel dans la mesure où ce qu’elles offrent est jugé improductif pour ledit système.

Pour conclure

À voir comment se comporte le gouvernement de la CAQ avec nos principales institutions depuis 2018, il est à se demander ce que les membres de ce gouvernement entendent par le mot « priorité ». Probablement, cela devrait signifier l’ajout d’une main-d’œuvre moins formée et surtout moins coûteuse. Ajoutons à cela des solutions qui relèvent de l’expression du « gros bon sens », autrement dit de la logique ou de la raison malheureusement interprétée selon la mentalité économique en vigueur sous la formule « instrumentale », c’est-à-dire celle des intérêts. En définitive, ces mesures et solutions préconisées par le gouvernement québécois se font dans l’intention de pousser encore plus loin la démarche de modernisation des institutions québécoises, c’est-à-dire de faire de celles-ci des entreprises à économies d’échelle plutôt que d’envisager un renversement de situation permettant de renouer avec les valeurs fondamentales d’une société d’aujourd’hui axée sur le bien-être commun du corps et de l’esprit, d’une société plus que jamais soucieuse de vivre dans un environnement sain et propice au développement de tous ses membres constituants. Pour y parvenir, cela implique plus que le gros bon sens économique, mais de soutenir les institutions responsables d’une telle mission, dont celles de la Santé et de l’Éducation, ce qui implique tout autant de parler de « vocation » plutôt que de « job ». Au fond, le problème réel n’est pas le manque de main-d’oeuvre mais la série de dénigrements des vocations à autrui qui se sont multipliés au cours des dernières décennies et dont nous apercevons avec tristesse les effets désolants.

Guylain Bernier
Yvan Perrier
27 août 2023
14h30
yvan_perrier@hotmail.com

Références

Avis du Conseil supérieur de l’éducation concernant des modifications envisagées au Règlement sur les autorisations d’enseigner telles qu’elles ont été communiquées le 27 octobre. 2021. Gouvernement du Québec : Québec.
https://www.lafae.qc.ca/convention-collective?entente=nationale. Consulté le 26 août 2023.

[1] Voir à ce sujet le tableau 6.5.03 « Échelle de traitement applicable ». https://www.lafae.qc.ca/convention-collective?entente=nationale. Consulté le 26 août 2023.

[2] Voici ce que précise l’extrait amputé ici : « soit celles définies par les articles 40, 42 et 48 du RAE ».

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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