Édition du 23 avril 2024

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Élection de Donald Trump

Bernie Sanders aurait été un candidat plus solide face à Donald Trump

Glenn Greenwald, democracynow.org | 10 novembre 2016. | Traduction, Alexandra Cyr

D.N. Nermeen Shaikh : Mercredi, le sénateur Bernie Sanders a publié une déclaration suite à l’élection de D. Trump.
« Donald Trump a saisi la colère d’une classe moyenne sur le déclin à bout de patience quand aux élites économiques, politiques et des médias. Les gens sont fatigués de travailler de longues heures pour un petit salaire, de voir des emplois qualifiés être délocalisés en Chine et dans d’autres pays où les salaires sont encore plus bas, de voir les multimillionnaires ne pas payer d’impôt fédéral et de ne pas être capables de payer pour l’éducation de leurs enfants. Tout cela pendant que les riches ne cessent de s’enrichir ».

Bernie Sanders qui s’est opposé à Hillary Clinton au cours de la primaire démocrate à ajouté : « Si M. Trump est sérieux lorsqu’il déclare qu’il présentera des politiques pour améliorer les conditions de vie des familles ouvrières de ce pays, avec d’autres progressistes, je suis prêt à travailler avec lui. Mais dans la mesure où il continue à être raciste, sexiste, xénophobe et contre les mesures pour protéger l’environnement, notre opposition sera vigoureuse ». Voilà la prise de position de B. Sanders.

Glenn Greenwald, plusieurs ont dit que si B. Sanders avait été le candidat démocrate, peut-être que D. Trump aurait perdu cette élection.

Glenn Greenwald : D’accord. Mais c’est hors de question maintenant. Personne d’entre nous ne peut l’affirmer. Ce dont je suis sûr, j’ai écrit à ce sujet en mars ou février, c’est que toutes les données empiriques montraient que B. Sanders était bien plus populaire et solide qu’Hillary Clinton face à tous les opposants républicains-es y compris D. Trump. Souvenez-vous que ce que l’élite démocrate faiseuse d’opinion, les commentateurs-trices libéraux-ales et les journalistes qui épluchent les données nous disent, est ce qu’ils et elles pensent que nous devrions savoir pour nous former une opinion. (B. Sanders) menait par plusieurs point devant Mme Clinton dans chaque sondage qui prenait en compte n’importe lequel de ses adversaires possibles ; que ce soit dans l’approbation ou la popularité.

Les Démocrates ont insisté pour dire que nous ne devions pas en tenir compte, que ce n’était pas fiable, qu’une fois la campagne à la Présidence commencée les Républicains-es s’empresseraient de dire que Sanders est un communiste, qu’il n’aurait aucune chance comparé à Mme Clinton qui avait déjà subit un examen personnel approfondit. Nous ne saurons jamais de manière certaine si ces arguments étaient vrais ou non mais je sais très surement deux choses. Premièrement, les données empiriques aussi faibles, peu fiables ou incomplètes qu’elles aient put êtres évoquaient toutes que Mme Clinton avait peu de chance de gagner et que Bernie Sanders en avait plus. De fait, au cours de la primaire républicaine, alors que la candidature de Trump se pointait, j’ai publié un article dans lequel je demandais si nous pouvions prendre le risque, le grand risque, d’avoir une candidate aussi faible et impopulaire qu’Hillary Clinton. Cet argument c’est perdu et le débat s’est aussi perdu. Elle est devenue la candidate et elle a perdu face à D. Trump.

L’autre argument qu’il vaut la peine de soulever, c’est que cette prise de position de B. Sanders est assez remarquable. Il ne vient pas dire que tous ceux et toutes celles qui ont voté pour D.Trump sont des racistes d’un autre âge. Il ne dit pas que ce sont tous et toutes des misogynes qui détestent les femmes et ont voté pour cela. Il dit qu’il y a un grand nombre de gens qui avaient des raisons valables de voter pour lui plutôt que pour H. Clinton. Et ces raisons sont inscrites dans notre système politique (à deux partis dominants) qui ont joué un rôle égal dans sa construction.

Penchez-vous sur ce qu’il décrit : les emplois qui sont délocalisés outre-mer, les industries qui sont éléminées, Wall Street qui est protégée. Pour trouver l’origine de tout ça, vous devez retourner aux années 1980 durant l’air Reagan, de la politique du ruissellement économique, et de la destruction des syndicats. Ensuite vous examinez les années 1990 et y trouvez l’adoption de l’ALÉNA et la manie du libre échange plus la libération de l’industrie financière de toutes contraintes. Au cours des années 2000, dans la foulée de la crise économique de 2008, l’administration Obama n’a poursuivi aucun dirigeant de Wall Street pour leur responsabilité dans cette crise pendant qu’elle continuait à développer le plus grand système pénal du monde pour incarcérer principalement de pauvres gens sans pouvoir. Ce sont ces inégalités, cette oppression qu’un grand nombre de personnes a subit au nom de la mondialisation et du libre échange que Bernie Sanders décrit dans sa déclaration et explique pourquoi D. Trump a été élu.

Les Démocrates et les Républicains-es ont joué un rôle majeur dans l’établissement de ce système. Et Hillary Clinton plus que tout autre politicien ou politicienne en représente la protectrice et le symbole. Elle y croit, le défend et plus encore elle en tire un maximum de bénéfices. Donc, dans ce climat, vous lancez dans la campagne présidentielle cette candidate qui n’aurait pas pu être plus mal équipée pour procéder à la nécessaire critique systémique que Donald Trump, maitre dans la tromperie a pu faire. Alors que B. Sanders a passé toute sa carrière à tenter de le faire. Vous trouvez dans sa prise de position actuelle toute la différence avec laquelle il se serait opposé à D. Trump par rapport à la réaction de la plupart des Démocrates devant la victoire de D. Trump.

D.N. Amy Goodman : Il y a aussi la part des médias dans ça, n’est-ce pas ? Il y a eut la présence quasi continue de D. Trump sur toutes les chaines de télévision. On a pu visionner plus de podiums vides alors qu’on attendait son discours, qu’ils n’ont jamais diffusé un seul mot de B. Sanders. Donc, c’était plateforme ouverte pour D. Trump mais rarement pour Bernie Sanders et surtout pas pour la totalité de ses discours. Mais ceux de Trump, oui. Et il y a eut ce fameux soir, celui du Super Tuesday 3, le 15 mars. Les discours de tous les gagnants et perdants, de M. Rubio à J. Kasich en passant par T. Cruz et Trump, (candidats républicains à la présidence) ce soir-là ont été diffusés sauf celui de B. Sanders. Pourtant il livrait un discours devant un auditoire de milliers et de milliers de personne en Arizona. C’est un exemple emblématique de toute la couverture journalistique ; ils n’ont jamais diffusé un seul mot de son discours ce soir-là.

G.W.  : Exact. Je pense qu’il y a encore beaucoup à apprendre sur le fonctionnement des médias et sur leur rôle durant les campagnes électorales. Commençons par le fait que D. Trump était un personnage public avant cette élection. Il a été mis au monde et consacré par un des plus puissants médias qui soit, NBC qui pendant de nombreuses années a fait parader D. Trump dans une téléréalité que des millions d’Américains-es ont regardé. Il était présenté comme l’icône vivante de l’esprit d’entreprise. Il entrait dans la salle du conseil d’administration fictif (avec le pouvoir d’un PDG) et sans états d’âme, il congédiait ceux et celles qui ne correspondaient pas aux standards de performance prédéterminés. C’est ce personnage raciste, démagogue et artiste trompeur, que pendant des décennies NBC a transformé en héro de parade pour son plus grand profit. Il était donc un sous-produit culte des médias.

Et une fois la campagne électorale commencée, les médias, comme vous l’avez dit, se sont centrés sur Trump sans arrêt, jusqu’à lui donner l’exclusivité. D’abord, surtout aux dépends de Bernie Sanders mais aussi des ceux des autres candidats-es. Tous et toutes ont bénéficié de bien moins de temps de télé que D. Trump parce qu’il était devenu une mine d’or pour eux. Ils s’installaient littéralement sur le tarmac sans jamais arrêter la diffusion avec l’image excitante de l’atterrissage de son avion. Cela a forgé son image dans l’esprits des américains-es. Il est ainsi devenu cette nouvelle présence fabuleuse dans le paysage politique américain. Les médias ont donc joué un rôle critique dans la construction de ce personnage d’abord au cours des primaires en incrustant dans les esprits qu’il n’était pas ce radical, cet extrémiste, ce dangereux personnage, raciste, autoritaire complètement hors norme mais plutôt comme la nouvelle figure puissante qui s’installait pour révolutionner la politique américaine, sa culture politique mais que tant de citoyens-nes des États-Unis ont fini par mépriser.

Et je pense que quand on fait la comparaison entre la manière par laquelle ont été traités D. Trump et Bernie Sanders ont découvre une très importante vérité sur le fonctionnement des médias. Quand vous parlez à des journalistes des médias dominants, écrits ou non, et que vous leur dite : « vous avez toutes sortes de moyens pour censurer certaines opinions, pour taire certains points de vue », ils vous répondrons que non, insisteront pour dire que c’est faux, qu’on ne leur dit pas que montrer, qu’on ne leur dit jamais que dire et que taire. En fait, c’est vrai. Mais, bien intégrés-es dans leur direction éditoriale et tous ses jugements sur ce qui mérite d’être entendu ou non, est fait à partir de toutes sortes d’idéologies et de préjugés partisans. Alors, l’idée qu’il fallait faire entendre D. Trump, le multimillionnaire célèbre, la star de la télé et qu’il n’y avait pas lieu de faire entendre le vieux juif socialiste du Vermont avec son discours ennuyant à propos des dettes étudiantes, des soins de santé et autres sujets du genre, que personne ne prend au sérieux, s’est imposée. C’est un choix idéologique très solide et méprisant que les médias américains adoptent et ont opéré pour jouer un rôle immense afin de rendre Trump capable de se rendre aux primaires.

Maintenant, je veux ajouter un seul autre commentaire sur l’enjeu actuel. Je pense que le comportement des médias envers D. Trump à complètement changé lorsqu’il est devenu candidat républicain. Au cours des primaires ils l’ont traité comme un candidat normal. Ils l’ont révéré, lui ont accordé du temps de télévision continu et gratuit. Mais lorsqu’il est devenu le candidat à la Présidence ils ont pris au sérieux la possibilité qu’il devienne Président. Ils ont commencé à se rendre compte, à intérioriser la part de responsabilité qu’ils détenaient dans son avancée, et je pense qu’ils sont passés complètement à l’autre extrême. Ils se sont unis solidement pour dans une sorte de mission pour détruire Donald Trump, pour empêcher qu’il ne gagne l’élection et donc pour que Mme Clinton la remporte. Et d’une certaine façon, sans le vouloir vraiment, ils ont aidé Trump parce que parmi les institutions qui détiennent de l’autorité et qui sont détestées aux États-Unis, les médias sont à l’avant-garde. Donc, quand la population a compris qu’ils voulaient littéralement l’obliger à tourner le dos à D. Trump et lui faire endosser la candidature de Mme Clinton, je pense qu’il s’en est suivi un contre coup : « Nous le peuple, croyons que les médias ont été malhonnêtes et nous n’allons pas obéir aux ordres qu’ils nous donnent ». La population est aussi convaincue qu’ils sont fondamentalement corrompus. Je pense que cela à joué un rôle important pour persuader l’électorat de ses chances de gagner.

N.S.  : Nous avons aussi le mémo du comité de campagne d’Hillary Clinton au Comité national démocrate de l’an dernier, qui a fuité. Il y est question de Donald Trump, Ted Cruz et Ben Carson (qui dominaient la course républicaine au cours de la primaire). Voici le texte : « Nous devons amplifier le son autour des candidats en avance pour qu’ils deviennent les leaders et informer la presse qu’elle doit les prendre au sérieux ». Qu’en pensez-vous Glenn ?

G.G. : Il y a plein de renseignements intéressants dans ces courriels de Mme Clinton. Je connais des partisans-es démocrates qui sont furieux-euses parce que la lumière n’a pas été faite sur ce sujet. Leur fureur tient au fait que ces courriels contiennent un nombre impressionnant d’informations et d’analyses intéressantes sur les manières par lesquelles les décideurs-euses politiques manipulent les médias et sur la manière par laquelle les médias aident certaines factions (politiques) et tentent de travailler contre d’autres. Mais aussi sur la manière par laquelle les directeurs-trices de campagnes électorales au sein du Pari démocrate manipulent l’opinion publique.

Il y a aussi un aspect encore plus intéressant ; l’équipe de campagne de Mme Clinton voyait dans certains candidats républicains comme Marco Rubio et Jeb Bush une menace sérieuse à l’élection d’H. Clinton. Elle a pensé à une manœuvre très habile pour mettre en valeur un candidat moins dangereux comme Donald Trump, pour l’amener au dessus de la mêlée. Et d’une certaine façon elle a récolté ce qu’elle a semé. Rétrospectivement, ont peut dire qu’il était probablement le candidat le plus dangereux parce que le savoir-faire des Clinton est efficace pour défaire des adversaires républicains orthodoxes comme Jeb Bush et Marco Rubio. Ils pourraient le faire en dormant. Donald Trump était un candidat non conventionnel. Je pense qu’il a enthousiasmé une partie de la population qui n’avait jamais voté dans le passé ou qui n’avait jamais voté Républicain. Il l’a convaincue de voter pour lui. Et les stratégies que les Clinton avaient prévu d’utiliser parce qu’elles avaient toujours été gagnantes dans le passé se sont avérées perdantes cette fois-ci. On peut conclure en disant qu’ils ont rencontré plus habile qu’eux.

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