Édition du 3 décembre 2024

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Élection de Donald Trump

« J’ai honte et j’ai peur »

Récit d’une journée de mobilisation anti-Trump à New York.

New York (États-Unis), de notre correspondante.- « Ceci n’est pas mon président », « Nous sommes le vote populaire », « Respecte l’existence ou attends-toi à de la résistance », « Non au racisme », « Tout le monde est bienvenu dans ce pays », « Trump = Haine »

13 novembre 2016 | tiré de médiapart.fr | Photos Arnaud Falchier

Voilà quelques-uns des slogans qui furent scandés ou brandis sur des pancartes samedi 12 novembre, lors d’une manifestation new-yorkaise rassemblant environ 10 000 personnes le long d’un itinéraire quadrillé et sous haute surveillance policière, surtout au point d’arrivée, la tour Trump qui abrite les bureaux de l’homme d’affaires devenu président, au milieu des boutiques de luxe qui bordent la Ve Avenue.

Ce week-end, des dizaines de marches se déroulaient ainsi à travers le pays, dans la continuité des manifestations organisées depuis mercredi par l’intermédiaire des réseaux sociaux ou par des organismes comme MoveOn, pour la plupart sans heurts. À New York, l’ambiance était plus calme et familiale que lors des rassemblements des jours précédents, mais les manifestants tout aussi inquiets, dépités.

« Je suis là pour canaliser ma rage », nous dit Shannon, les yeux humides. Besoin de hurler, de se faire entendre, de se rassembler, de prendre conscience que l’élection de Donald Trump à la présidence a bien eu lieu : chacun des manifestants avec qui l’on discute se dit s’abord en état de choc. « J’ai honte et j’ai peur », admet Charline, 68 ans, qui n’est pas surprise par l’issue du scrutin, « je regarde la chaîne conservatrice Fox News, j’ai des amis à New York qui ont voté pour lui, je le voyais gagner du terrain. »« Je n’arrive plus à dormir », témoigne Jane, venue avec sa fille, « pour l’initier dès le plus jeune âge afin que sa génération fasse mieux que nous, des électrices qui ont finalement laissé cet homme devenir président. »

 
Ils disent éprouver le besoin de descendre dans la rue pour trouver le courage d’affronter ce qui vient et identifier des stratégies de résistance à déployer durant les années de présidence Trump. Si certains évoquent la possibilité que les grands électeurs – élus le jour de la présidentielle – choisissent Hillary Clinton plutôt que Donald Trump le jour de leur vote formel, le 19 décembre (cela fait l’objet d’une pétition ayant récolté plus de 3 millions de signatures), personne ne semble vraiment y croire. « Il a été élu, il va falloir s’y faire », glisse Kyle. Ce qui se dégage, c’est la volonté d’occuper le terrain, du moins d’essayer. « Manifester maintenant, en janvier lors de l’investiture du président, et chaque fois qu’une politique nous ramenant en arrière ou ciblant un groupe minoritaire se profilera », planifie Rick, son épinglette Bernie Sanders bien en vue.

Dans l’assemblée, sont évoquées quelques grandes marches nationales déjà en cours d’organisation comme celle proposée par des vétérans de la lutte pour les droits civiques tels que le révérend new-yorkais Al Sharpton, laquelle se tiendrait à Washington le jour de le commémoration de la naissance de Martin Luther King, fin janvier. Le 20 janvier, date de l’investiture de Donald Trump, une « Marche des femmes » est déjà prévue dans la capitale du pays, plus de 130 000 personnes ont répondu à ce jour à l’appel Facebook.

D’autres manifestants s’interrogent sur la violence qui guette le pays. Ils s’inquiètent de la « parade de la victoire » organisée le 3 décembre en Caroline du Nord par l’un des groupes affiliés au Ku Klux Klan les plus actifs dans le pays. Et se demandent si la mobilisation anti-Trump va et doit rester pacifique. « Les émeutes sont peut-être nécessaires. Je n’ai rien contre », juge Anne, cinquantenaire, sa voisine acquiesce. Elles espèrent que les étudiants et les campus vont servir de socle à ces efforts, « rien n’est moins sûr ».
 

Tous évoquent ensuite la nécessité de réinvestir le champs associatif, surtout au niveau local (ville, comté, État), l’échelon de militantisme le plus structuré et le plus efficace pour tenter de faire barrage à des politiques fédérales jugées néfastes aux États-Unis. À tous ceux qui se demandent comment réagir, sont conseillés, lors des manifestations comme sur les réseaux sociaux, les noms de groupes de pression et d’organisations de lutte contre le changement climatique tels que 350.org, de défense des droits des immigrés tels que l’ONG Make The Road, de défense des droits civiques comme la NAACP… Le planning familial rappelle que son réseau cherche constamment des volontaires pour aider les femmes qui viennent pour une procédure d’IVG à entrer dans leurs locaux sans subir les insultes de militants anti-avortement.

En visite depuis le Tennessee, Annie et Megan se disent pressées d’entamer le travail dans cet État conservateur. « Les démocrates ont progressivement abandonné le terrain puisqu’ils ne remportaient plus d’élections, la tâche qui nous attend est immense… Des petits groupes de réflexion se sont immédiatement formés depuis mercredi, nous allons les rejoindre, identifier ce qu’on peut faire », racontent-elles.

Enfin, la réflexion sur l’avenir du parti démocrate et de la gauche a commencé, même si elle reste embryonnaire à ce stade. Au sommet du parti, les divisions qui ont marqué les élections primaires, entre l’aile progressiste incarnée par Bernie Sanders et l’aile centriste que représentait Hillary Clinton, sont de nouveau apparentes. Elles se manifestent par des désaccords de fond sur la personne à choisir pour reprendre la tête du parti, jusqu’aux orientations idéologiques des démocrates à la suite de cet échec. Pour les militants, il s’agit de déterminer comment réparer le parti et le ramener sur le terrain, partout dans le pays.

Parmi les nombreux textes publiés ces jours-ci en forme de manuel de survie et de mobilisation sous la présidence Donald Trump, The Intercept propose ainsi de reconstruire des partis « qui en sont vraiment ». « Quand est-ce que se déroule le prochain rendez-vous du parti républicain ou démocrate dans votre quartier ? Vous ne savez pas, car aucun d’entre eux ne fonctionne comme un parti au sens historique du terme. Ils se contentent de demander de leur envoyer de l’argent et vous crient dessus pour que vous alliez voter tous les quatre ans. Un parti sain devrait aider la communauté locale et avoir des activités concrètes pour ses militants entre les élections », note The Intercept. Qui appelle plus largement tous ceux qui se sentent concernés à s’atteler à la lourde tâche de rendre ses lettres de noblesse à la politique aux États-Unis, « un pays qui a été dépolitisé avec tant de succès, il y a vingt ans de ça, que s’intéresser un tant soit peu à la politique ressemble à un hobby extrêmement bizarre ».

La tâche est gigantesque. 

Source : Mediapart

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