Édition du 23 avril 2024

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Économie

Choses vues et sues. La Chine, puissance mondiale ?

Arrivée à Pékin – Beijing, la capitale du Nord – la première impression restera vivante tout au long du séjour. Le nombre. De gens, de voitures… Les périphériques embouteillés dès les premières heures du matin et, évidemment, le smog, le brouillard qui empêche le soleil d’éclairer complètement la ville. Des touristes chinois envahissant la place Tienanmen à la veille du 19e congrès du PCC, Parti Communiste Chinois où le mausolée de Mao occupe un territoire gigantesque contre toute la tradition chinoise.

tiré de : Entre les lignes et les mots 2018 - 15 - 27 avril : notes de lecture, textes, annonces et pétition

Les anciennes portes de l’entrée de la ville restent figées dans une éternité curieuse. La grande avenue où les chars ont tiré sur les manifestant-e-s fait encore son effet. Les touristes occidentaux sont très minoritaires et les Chinois sont encore étonnés d’en voir et veulent réaliser un selfie – une manie très mode en Chine pour les citadin-e-s – avec eux. Les enfants regardent avec une curiosité amusée, ces humains bizarres venus d’ailleurs. Pour le moins, l’occidental ne passe pas inaperçu.

Les vieux, lorsqu’ils entendent parler français, s’arrêtent pour faire le panégyrique… du général de Gaulle qui a reconnu la Chine populaire. Ils se plaignent aussi de la montée profonde des inégalités, de la place des nouveaux riches à qui tout est permis et regrettent le temps de Mao vu comme le temps de l’égalité dans la pauvreté.

La deuxième grande impression dans ces villes mégapoles que sont Pékin ou Shanghai, c’est le mélange de modernisme et de survivance de traditions. Lao-Tseu, Confucius, si l’on en croit nos guides, restent des références plus que la « pensée Xi Li Ping » inscrite désormais dans la Constitution après le congrès du PCC, chose inédite dans la Chine d’après Mao et structurée par Deng Tsiao Ping. Les mythes de la Chine ancienne restent vivaces dans un environnement marqué par la corruption où seul compte le poids en argent.

Pékin est en train de se transformer.[1] Les ruelles disparaissent. Les maisons carrées sont rachetées par les nouveaux riches. La spéculation immobilière a battu son plein appauvrissant la grande majorité de la population. Si l’extrême pauvreté, vivre avec moins de 1 dollar par jour, a reculé fortement, les inégalités ont continué de progresser et de manière visible.

A Shanghai, dans le quartier des affaires – en fait le centre financier – où les tours succèdent aux tours, l’impression est étrange. Certaines constructions, aménagements peuvent laisser croire que le voyageur se trouve à New York plus qu’en Chine. Même les manières de s’habiller sont semblables. La crise ici du 15 août 2015, la Bourse de Shanghai a chuté violemment, semblait oubliée en ce mois d’octobre 2017. Depuis le 5 février 2018, le coup de semonce est clair : l’augmentation des taux de l’intérêt venant des États-Unis mettra fin à la politique de l’argent facile et à la spéculation sans risque.

Comme dans tous les pays développés, la Banque centrale de Chine a créé massivement de la monnaie, baissé les taux de l’intérêt pour différer l’entrée dans la crise financière. Ce temps-là est en train de se refermer. La crise en Chine, sera à la fois financière et économique. La surproduction menace et se signifie depuis quelques années par une baisse sensible de la croissance. Au lieu des 12% enregistrés avant 2008, le taux de croissance tourne autour de 6,5% avec une légère progression en 2017.

La Route de la Soie

Xi Li Ping est à la fois secrétaire général du PCC, président de la Commission militaire centrale et Président désormais à vie. Il a changé la Constitution pour abroger l’article qui limitait à deux mandats la présidence, une limitation imposée par Deng, secrétaire général du PCC après la mort de Mao. C’est Deng qui a lancé les grandes réformes structurelles pour imposer une forme de capitalisme et la victoire de la privatisation comme idéologie.

Xi, quant à lui, a écarté tous ses opposants sous le prétexte de lutter contre la corruption. Or, la corruption est présente dans toutes les sphères de la société. La construction du TGV a été permise par la corruption. Sans elle, pas de TGV et beaucoup de réalisations sont soumises à la même règle. Pour dire qu’il faudrait rompre avec le pouvoir dictatorial et mettre en œuvre des formes démocratiques. Pour le moment, non seulement ce n’est pas à l’ordre du jour mais les capitalistes ont besoin d’un pouvoir apparemment fort pour sécuriser leurs investissements.

Apple a récemment accepté les oukases du PCC en élargissant la surveillance des relations entre internautes pour préserver ses parts de marché. En Chine, Google est interdit en faveur d’un moteur de recherches chinois impossible à maîtriser pour un occidental qui ne possède pas les rudiments des idéogrammes. Il n’est pas sûr, pourtant, que ce renforcement des menaces de sanctions réussisse à faire taire les aspirations démocratiques des jeunes générations.

La Chine n’a pas de système de protection sociale. Après la révolution, en 1949, la santé, l’éducation… étaient gratuits. Aujourd’hui, tout est payant. La génération des cinquantenaires doit faire face aux études de l’enfant et des soins nécessaires pour les parents. Les couples ont souvent au moins deux emplois et travaillent quasiment tous les jours de la semaine. L’enfant qui reste seul lorsque les deux parents travaillent le week-end est surveillé par un système à distance via le I-pad. Elargir ce système et on aura une idée de la manière dont les autorités ont renforcé la surveillance de la population.

Pour se marier, il faut que le garçon ait un appartement et, dans certains cas, une voiture. Les familles, suivant une tradition ancestrale, « vendent » leur enfant dans des parcs en brandissant des pancartes comme des petites annonces vantant les mérites de leur progéniture et mettant en avant des critères comme la voiture ou le lieu d’habitation. Les filles résistent même si elles acceptent de rencontrer le futur qui devient très rapidement un ex futur marié.

Ce mélange entre tradition et modernité se retrouve dans le grand projet, dit de « La Route de la Soie » lancé en 2013 par Xi Li Ping. Ces grands travaux d’infrastructure, ferroviaires et routiers surtout, veulent, suivant une logique héritée de Keynes, d’abord lutter contre la surproduction en offrant aux entreprises du Bâtiment travaux publics (BTP) des débouchés, ensuite pour s’assurer des approvisionnements en matières premières dont le pays a besoin, enfin pour renouer avec un passé prestigieux en sautant vers le futur. Cette nouvelle route de la soie coûterait 1000 milliards de dollars et a comme objectif globalement de façonner la mondialisation à la mode chinoise qui passerait par l’internationalisation de la monnaie chinoise, le renminbi (RMB pour les marchés financiers).

Renforcer le rôle dans les échanges internationaux de cette monnaie – les Chinois ne connaissent que le Yuan – donnerait à la Chine une place plus importante dans la Division Internationale du Travail. La Chine accorde des prêts à ses partenaires en RMB et se sert en même temps des institutions financières dont elle est à l’initiative, « La Nouvelle banque de développement » (NDB) et « La banque asiatique d’investissement dans les infrastructures » (AIIB).[2]

La place de la Chine dans ce nouveau visage de la mondialisation

« Selon le FMI, la Chine réalise 17,3% du PIB mondial exprimé en parité de pouvoir d’achat, contre 15,8% pour les Etats-Unis. »[3] La Chine est présente sur tous les Continents pour assurer ses approvisionnements et augmenter ses débouchés. La crise de 2007-2008 a changé ses priorités. Elle ne peut plus tabler simplement sur une croissance tirée par les exportations. Les Etats-Unis connaissent une baisse de leur marché final dans la conjoncture de « Great Recession » qui a suivi la faillite de Lehmann Brothers. Les dirigeants chinois ont compris qu’il leur fallait changer de modèle de développement en favorisant l’augmentation du marché intérieur en laissant faire les grèves dans des entreprises aux capitaux étrangers et les hausses de salaire. La baisse du coût du travail n’est plus la seule variable. La compétitivité des entreprises à capitaux non chinois s’en est ressentie et une partie a désinvesti abandonnant le terrain.

C’est une transformation profonde que ce changement de paradigme et elle demandera du temps. Vraisemblablement, pour que cette nouvelle donne s’impose, il faudra d’abord une crise de surproduction. La politique de grands travaux ne pourra qu’atténuer l’arrivée de cette crise. 2018 sera l’année de tous les tournants. La crise financière est en train de s’inscrire dans le paysage mondial. Rappelons que l’acte 1 intervient en août 2007 avec comme déclencheur la crise de subprime et commence aux Etats-Unis, l’acte 2 touche l’Europe avec la crise de l’euro et la spéculation contre les dettes publiques de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, l’acte 3 touche la Chine avec les chutes de Bourses surtout celle de Shanghai, un élargissement géographique continuel. Cet acte 3 n’est pas terminé. La crise a été reportée par l’intervention de toutes les banques centrales mais les doses ne peuvent plus être augmentées sinon c’est l’overdose. Du coup, la fin de ces politiques monétaires pourrait se traduire par la crise financière ouverte et une récession d’autant plus probable que la hausse de la croissance est relativement faible.

Et cette crise pourrait partir de Chine…

Nicolas Béniès

[1] Voir l’article de Brice Pedroletti, « Le chantier pharaonique du nouveau Pékin », Le Monde daté du 27 février 2018. La population de Pékin devrait se stabiliser autour de 23 millions de résidents en 2020. La chasse est ouverte contre les « migrants » de l’intérieur, ceux qui quittent les campagnes en espérant vivre mieux à la ville. A la sortie des villes, des tours sont construites en pleine campagne. On a l’impression de lire un San Antonio. Dans une de ses dernières enquêtes, on voyait des routes entières se construire en une nuit, en Chine.

[2] Voir l’article de Yann Mens, Alternatives Economiques février 2018, « Nouvelle route de la soie : la Chine aux commandes »

[3] « Grand Atlas 2018 », sous la direction de Frank Tétard, Courrier international/France Info/Autrement, p. 90, le titre de l’article : « La Chine, première économie mondiale ».

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