« Israël doit se défendre contre les tirs de roquettes qui terrorisent les habitants dans ses villes du sud », explique un porte-parole du gouvernement. « Les Palestiniens doivent répondre aux attaques qui tuent leurs combattants dans la Bande de Gaza », déclare de son côté un porte-parole du Hamas ».
En fait, le cessez-le-feu n’est pas en train de s’effondrer, il n’a jamais commencé. La base d’un cessez-le-feu dans la Bande de Gaza réside dans l’ouverture des frontières. Il ne peut y avoir de vie sur ce territoire sans une entrée incessante de biens de toutes sortes. Mais les frontières sont bouclées presque en permanence. Le blocus d’un million et demi de personnes, sur terre, sur mer et dans les airs, est un acte de guerre tout autant que le lancer de roquettes ou de bombes. La vie est paralysée sur la Bande de Gaza : disparition de la plupart des sources d’emploi, le seuil de la famine pour des milliers de personnes, l’arrêt du fonctionnement de la plupart des hôpitaux, approvisionnement aléatoire en électricité et en eau.
Ceux qui ont décidé de boucler les frontières, sous quelque prétexte que ce soit, savaient qu’il ne pouvait y avoir de réel cessez-le-feu dans ces conditions.
Là est l’essentiel. Viennent ensuite les ‘petites’ provocations pensées pour forcer le Hamas à agir. Après plusieurs mois, au cours desquels quasi aucune roquette Qassam n’a été lancée, une unité de l’armée a été dépêchée dans la Bande de Gaza pour « détruire un tunnel qui ***près de la frontière ». D’un simple point de vue militaire il aurait été plus sensé d’organiser une embuscade de notre côté de la ligne. Mais le but était de trouver un prétexte pour en finir avec le cessez-le-feu, tout en en faisant porter le blâme aux Palestiniens. Et de fait, après plusieurs ‘petites’ provocations de ce genre, le Hamas a riposté par des lancers massifs de roquettes et le cessez-le-feu s’est terminé. Tous ont blâmé le Hamas !
En vue de quel objectif ? Tzipi Livni [1] l’a dit ouvertement, pour liquider le pouvoir du Hamas à Gaza. Les Qassams ne servent que de prétexte.
En finir avec le gouvernement du Hamas ? Pourtant, ce n’est un secret pour personne que c’est le gouvernement israélien qui a créé le Hamas au point de départ. J’ai déjà posé la question à un ancien patron du Shinbet [2], Yaakov Peri et il m’a répondu un peu énigmatique : ‘Nous ne l’avons pas créé, mais nous n’avons pas compliqué sa création’.
Pendant des années les autorités d’occupation ont favorisé le mouvement islamiste dans les territoires. Toutes les autres formations qui tentaient de tenir des activités politiques étaient durement réprimées, mais les leurs, tenues dans les mosquées, étaient autorisées. Le calcul était simple et naïf : à cette époque l’OLP [3] était considérée comme l’ennemi principal, Yasser Arafat tenu comme un suppôt de Satan. Le mouvement islamiste prêchait contre Arafat et l’OLP, donc on le considérait comme un allié.
Avec l’irruption de l’Intifada en 1989, le mouvement islamiste se rebaptisa Hamas (acronyme arabe de ‘Mouvement de résistance islamique’) et s’est joint à la lutte. Même alors, le Shinbet n’a pris aucune action contre lui alors que les membres du Fatah [4] étaient exécutés ou emprisonnés en grand nombre. Ce n’est qu’un an plus tard que Sheickh Ahmad Yassin et ses collègues seront arrêtés.
Depuis lors, les choses ont évolué. Le Hamas est maintenant considéré comme un suppôt de Satan et bien des Israéliens voient l’OLP comme une quasi-branche de l’organisation sioniste. La logique aurait voulu que le gouvernement israélien fasse de larges concessions au leadership du Fatah ; comme mettre fin à l’occupation, signer un traité de paix, voir à la fondation de l’État palestinien, revenir aux frontières de 1967, présenter une solution raisonnable au problème des réfugiés, libérer tous les prisonniers palestiniens. Cela aurait sûrement empêché la montée du Hamas.
Mais la logique a peu à voir avec la politique. Rien de tel ne s’est passé. Bien au contraire, après l’assassinat d’Arafat, Ariel Sharon a déclaré que Mahmoud Abbas, qui lui a succédé, n’était qu’une « poule mouillée ». On ne lui a pas permis la moindre « petite réalisation ». Les négociations sous les auspices américaines n’étaient qu’une farce. Le leader le plus authentique des Palestiniens, Marwan Barghouti a été emprisonné à vie. Au lieu de libérations massives de prisonniers, ce sont des gestes mesquins et insultants qui se sont répétés.
Abbas a été humilié systématiquement, le Fatah ressemblait de plus en plus à une coquille vide et le Hamas a gagné haut la main une des élections les plus démocratiques de tout le monde arabe. Israël a boycotté le gouvernement élu. Dans la suite de l’éternelle lutte, le Hamas a finalement pris le contrôle de la Bande de Gaza.
Et voilà que maintenant après tout cela, le gouvernement d’Israël a décidé de ‘mettre fin à celui du Hamas’, dans le sang, le feu et les colonnes de fumée.
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Cette guerre a été appelée ‘Cast Lead’, deux mots empruntés à un jouet de la Hanukka [5] Il aurait été plus approprié de l’appeler ‘La guerre des élections’.
Dans le passé, d’autres guerres eurent lieu durant des campagnes électorales. Menahem Begin a fait bombarder un réacteur nucléaire iraquien durant la campagne de 1981. Quand Shimon Peres a crié qu’il s’agissait d’une manœuvre électorale, Begin a vociféré à son ralliement suivant :’Juifs, croyez-vous que je pourrais envoyer nos braves combattants à la mort ? Ou pire, risquer qu’ils soient faits prisonniers par des animaux humains, pour gagner une élection ?’ Bégin a gagné.
Peres n’est pas Begin. Au cours de la campagne électorale de 1996, il a ordonné l’invasion du Liban (opération Grapes of Wrath). Tous étaient convaincus qu’il avait pris cette décision pour gagner ses élections. La guerre fut une faillite. Peres a perdu et Benyamin Netanyahu a pris le pouvoir.
Éhoud Barak [6] et Tzipi Livni ressortent le même vieux truc. Les sondages ont révélé une remontée de Barak dans les intentions de vote au cours des dernières 48 heures, soit une possibilité de 5 sièges de plus à la Knesset. Environ 80 morts palestiniennes par siège. Mais, dur de marcher sur un amoncellement de cadavres. Le succès peut aussi s’évaporer en une minute si la guerre finit par être considérée comme un échec par la population israélienne. Par exemple si les roquettes continuent à frapper Beersheba, ou si l’attaque au sol fait trop de victimes parmi les soldats israéliens.
Le moment du déclenchement des hostilités a aussi été méticuleusement choisi pour une autre raison. Les attaques ont commencé deux jours avant Noël, quand les leaders américains et européens sont en congé jusqu’après le Nouvel An. Le calcul va comme suit : même si quelqu’un voulait faire cesser la guerre, personne ne voudra mettre fin à ses vacances pour cela. Voilà une garantie de plusieurs jours d’intervention sans pression extérieure.
Autre raison du choix de ce moment ? Ce sont les derniers jours de George W. Bush à la Maison blanche. On pouvait s’attendre à ce que cet imbécile, les mains couvertes de sang, appuie cette guerre avec enthousiasme comme il l’a fait d’ailleurs. Barak Obama n’est pas encore en poste et a un bon prétexte pour se taire :’il n’y a qu’un seul président à la fois’. Ce silence n’annonce rien de bon pour le mandat qui commence.
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Le thème principal jusqu’ici a été : ‘ne répétons pas les erreurs de la deuxième guerre du Liban. Ça a été répété à satiété dans les journaux télévisés et sur les lignes ouvertes.
Ça ne change rien au fait que la guerre de Gaza est presque l’exacte réplique de cette deuxième guerre du Liban. Le concept stratégique est le même : terroriser la population avec des attaques aériennes incessantes semant la mort et la destruction. Pas de danger pour les pilotes puisque les Palestiniens ne possèdent aucune arme de défense antiaérienne. Le calcul : si toute l’infrastructure de survie dans la Bande de Gaza est largement détruite, la population va se soulever et renverser le Hamas. Mahmoud Abbas rentrera à Gaza ni plus ni moins que sur les chars israéliens.
Au Liban ce calcul a échoué. La population bombardée, y compris les chrétiens, s’est ralliée au Hezbollah [7]et Hassan Nasrallah [8] est devenu le héros du monde arabe. Cela peut bien se reproduire. Les généraux sont experts dans l’usage des armes et les mouvements de troupes, pas en psychologie des masses.
Il y a quelque temps j’ai écrit que le blocus de Gaza était une expérience scientifique pour déterminer jusqu’où on pouvait affamer une population et lui rendre la vie infernale avant qu’elle ne s’effondre. Cette expérience se fait avec l’aide généreuse de l’Europe et des États-Unis. Jusqu’à maintenant c’est un échec. Le Hamas se renforce et la portée de ses roquettes s’étend. Cette guerre est la continuation de cette expérimentation par d’autres moyens.
Il se peut que l’armée n’ait ‘d’autre alternative’ que de reconquérir la Bande de Gaza parce qu’il serait impossible de faire cesser les lancements de roquettes Qassam autrement, sauf d’en arriver à une entente avec le Hamas. Mais, c’est contraire à la politique israélienne. Quand l’attaque terrestre commencera [9] tout dépendra de la motivation et de la capacité des combattants du Hamas à faire face aux soldats israéliens. Personne ne peut savoir ce qui va arriver.
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Jour après jour, nuit après nuit, la chaîne Aljazeera diffuse d’atroces images : amas de corps mutilés, citoyens en larmes cherchant leurs proches parmi des douzaines de cadavres répandus sur le sol, une femme retirant sa fillette de sous les décombres, des médecins sans médicaments tentant de sauver des blessés. (La portion anglaise de cette chaîne, contrairement à sa contre-partie arabe, a pris une position minimaliste ne diffusant que des images inoffensives et la propagande du gouvernement israélien. Il serait intéressant de savoir ce qui se passe là).
Des millions de téléspectateurs voient ces images terribles, les unes après les autres, jour après jour. Elles s’imprègnent dans leur esprit pour toujours : horrible Israêl, abominable Israêl, Israêl inhumain. La haine en partage pour toute une génération. C’est le terrible prix que nous devrons payer pendant longtemps alors que les autres résultats de la guerre auront été oubliés en Israël
Il y aura aussi une autre image indélébile dans les esprits, celle de la passivité, de la corruption des misérables régimes arabes. Ce que les peuples arabes retiendront par-dessus tout, c’est le poids d’une chape de honte.
Partout à travers le monde arabe, d’un bout à l’autre, résonne la déclaration d’Hassan Nasrallah :’les leaders égyptiens sont complices du crime, ils collaborent avec ‘l’ennemi sioniste’ en tentant de briser le peuple palestinien’. On peut penser qu’il ne visait pas qu’Hosni Moubarak, mais aussi les autres dirigeants, du roi de l’Arabie Saoudite au président palestinien. Quant on voit les manifestations dans le monde arabe et qu’on entend les slogans, on peut arriver à penser que les participants tiennent leurs gouvernements au mieux pour pathétiques, au pire pour de misérables collaborateurs.
Cela aura des conséquences historiques. Toute une génération de leaders, celle qui a adhéré à l’idéologie du nationalisme laïque arabe, les successeurs de Gamal Abd-el-Nasser, Hafez-el-Assad et Yasser Arafat, peut être expulsée de la scène politique.
Comment Israël multiplie le Hamas par 100 [10]
URI AVNERY [11]