Édition du 16 avril 2024

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Politique québécoise

Dix ans de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. D’autres choix s’imposent.

Le 13 décembre dernier marquait le dixième anniversaire de l’adoption unanime, par l’Assemblée nationale du Québec, de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Même s’il tombait dans une période de l’année où il est généralement de bon ton de parler de pauvreté, cet anniversaire n’a pas reçu l’attention politique, médiatique et citoyenne qu’il méritait. Voilà pourquoi il est important d’y revenir, histoire d’en tirer des leçons et de corriger dès maintenant des situations criantes d’injustice.

(Tiré du journal La soupe au caillou, numéro 366, 24 janvier 2013)

Un bilan décevant

Le Collectif a tracé un bilan-synthèse des dix dernières années (disponible sur son site, au www.pauvrete.qc.ca/?Bilan-synthese). Grosso modo, entre 2002 et 2009, 15 000 personnes de plus sont parvenues à combler leurs besoins de base au Québec ; mais, c’est loin d’être satisfaisant, alors qu’il y en a toujours 750 000 qui ne les couvrent pas. S’il y a eu des améliorations significatives pour les familles, ce n’est pas le cas des personnes seules. Elles sont aujourd’hui plus nombreuses à ne pas couvrir leurs besoins et, chez elles, la pauvreté est devenue plus profonde. De même, il semble que les préjugés à leur égard soient toujours aussi tenaces, à force d’être répétés. Par ailleurs, le travail est plus précaire. Le salaire minimum ne permet pas de sortir de la pauvreté, même à temps plein.

Plus globalement, les inégalités socioéconomiques sont en progression. La solidarité au sein de la société n’a fait l’objet d’aucune mesure particulière. En fait, le gouvernement n’a pas réussi à assurer une direction définie et permanente à la lutte à la pauvreté, faute d’un leadership suffisant. En elle-même, la loi ne portait aucune garantie de résultats, son interprétation et son application étant soumises, au final, aux gouvernements en place. Ainsi, l’absence d’une réelle volonté politique à « tendre vers un Québec sans pauvreté » est sans doute le principal facteur qui l’a rendue si décevante.

Les partis réagissent

Hormis Québec solidaire, qui a produit un bilan de la loi soulignant d’importantes lacunes et proposé des perspectives intéressantes, les réactions des formations politiques québécoises, interpellées à ce propos par le Collectif, ont été timides et, elles aussi, décevantes.
Le Parti québécois, nouvellement au pouvoir, s’est contenté de souligner les progrès accomplis durant la dernière décennie, et a admis qu’il reste encore bien du travail à faire tout en affirmant que le gouvernement allait revenir avec des propositions nouvelles pour lutter contre la pauvreté. De son côté, le Parti libéral a insisté sur ses « grandes réalisations » et en a profité pour écorcher le nouveau gouvernement. Pour sa part, la Coalition avenir Québec, qui appuyait certaines mesures portées par les mouvements sociaux comme l’arrêt du détournement des pensions alimentaires, l’abolition de la taxe santé et une politique en alphabétisation, a choisi de prioriser la création de la richesse et la réduction du gaspillage des fonds publics comme moyens pour combattre la pauvreté.

Toutes les formations politiques s’entendent donc sur l’importance de lutter contre la pauvreté. Qui est contre la vertu ? Toutefois, la joute partisane semble avoir pris, encore une fois, le dessus sur l’intérêt général. Pourtant, la pauvreté commande une collaboration véritable pour y mettre fin. Au-delà des autofélicitations et des accusations à l’endroit des autres formations, les partis devront, dans les prochains mois, laisser de côté leurs divergences et travailler ensemble à faire avancer le Québec. Certains se vantent de faire de la politique autrement ; d’autres se targuent de représenter des alternatives valables aux vieilles idées. Les occasions de juger la valeur de ces propos ne manqueront pas. De plus, si leur conviction à l’égard de la lutte à la pauvreté est si profonde, ils pourraient déjà s’inspirer des récriminations des mouvements sociaux québécois qui indiquent les injustices les plus flagrantes à réparer immédiatement.

Des injustices flagrantes

Quelques semaines avant le dixième anniversaire, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) déplorait le fait que cette loi n’avait pas empêché les gouvernements de prendre des décisions « étouffantes » pour les familles et dont le prix est payé plus chèrement par les femmes. De son côté, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) condamnait l’absence de mesures de lutte à la pauvreté, à l’exception d’un engagement insuffisant sur le plan du logement social, dans le premier budget Marceau.

L’R des centres de femmes du Québec a souligné la montée des inégalités, de même que la pauvreté plus grande des femmes qui touchaient en moyenne 67 % du salaire des hommes en 2009, comparativement à 70 % en 2001. L’inaction des gouvernements (comme dans le cas de la fin du détournement des pensions alimentaires pour enfants) et leur mutisme sur certains enjeux (la précarité de la retraite des femmes par exemple) ont entraîné des écarts grandissants « entre les riches et les pauvres et entre les hommes et les femmes », d’affirmer sa présidente, Angèle Laroche. La Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ) a abondé dans le même sens, insistant sur le fait que près de 50 000 familles monoparentales, le plus souvent dirigées par une femme, ne parviennent toujours pas à couvrir leurs besoins de base.

Quant à lui, le Front de défense des non-syndiquéEs (FDNS) en a profité pour rappeler que, comparativement aux autres provinces, le Québec tirait de l’arrière en ce qui a trait au salaire minimum, qui aurait dû atteindre 11,20 $ l’heure en 2012. Ce reproche est partagé par Carolle Dubé, présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) qui, par ailleurs, espérait des propositions fortes de la part des formations politiques. De son côté, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) a publié une note montrant que le crédit d’impôt pour solidarité, présenté comme une mesure phare du Plan d’action gouvernemental pour la solidarité et l’inclusion sociale 2010-2015, ne peut pas être considéré comme un véritable outil pour faire diminuer la pauvreté. Au mieux, il permet de compenser les impacts des récentes augmentations de tarifs en maintenant le pouvoir d’achat de certains ménages.

Finalement, le 17 décembre, des membres de Projet Genèse ont livré des paniers-cadeaux de Kraft Dinner et de nouilles Ramen aux ministres Agnès Maltais et Nicolas Marceau, afin de leur expliquer ce que signifie vivre la pauvreté et de les pousser à mettre en place de véritables mesures pour lutter contre elle. Ils ont aussi insisté sur l’urgence d’augmenter les prestations d’aide sociale.

D’autres choix s’imposent

Les faits sont là : les décisions de la dernière décennie ont entraîné une pauvreté et des inégalités plus profondes. Quant aux préjugés, rien n’indique qu’ils sont moins tenaces qu’avant ; c’est plutôt le contraire. Alors que des institutions comme le Fonds monétaire international (FMI) reconnaissent s’être trompées parce que l’austérité a accentué la crise des finances publiques dans plusieurs nations au lieu de la résorber, certainEs continuent à proposer ou à réclamer que le Québec suive cette même voie. Il faut dire non à cette logique qui se traduit par quelques gagnantEs et une large majorité de perdantEs. D’autres choix s’imposent : il faut les rendre incontournables.

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