A mon avis une telle lecture est hâtive et ne prend pas en compte ce qui constitue réellement la cause du transfert de voix qui s’est opéré en faveur du NPD qu’on serait tenté d’appeler le Nouveau Parti Québécois.
Considérer la défaite du Bloc comme le chant du cygne du souverainisme présuppose que ce parti porte principalement le projet souverainiste et en constitue pour utiliser une métaphore tirée de notre sport national le premier trio. Or en réalité, le Bloc dont la présence à Ottawa relevait plus du symbolique, correspond à une sorte de quatrième trio qui servait à donner plus de profondeur au projet souverainiste, en le portant en fond de territoire adverse. Il est évident que c’est derrière la ligne bleue du Québec que se joue réellement l’avenir du souverainisme.
Dès lors que la responsabilité du Bloc dans le projet souverainiste n’est que secondaire, un revers de celui-ci aussi cuisant qu’il puisse être ne devra pas, en mon sens, être assimilé à une défaite lors du match 7 des séries éliminatoires de la Coupe Stanley.
Cependant, l’absence de lien de causalité entre la défaite du Bloc et la mort du souverainisme ne doit pas empêcher de nous interroger sur les implications des élections du 2 mai sur le projet souverainiste.
Pour ce faire il convient de se demander ce qui, au delà des raisons subjectives qui ont été avancées ça et là et qui tournent au tour de la personnalité de Jack Layton, explique ce repli bleu (et rouge d’ailleurs) et cette déferlante orange. Loin de moi l’idée de minimiser l’impact de la personnalité de Jack qui a éventré le Bloc, et le parti libéral dans la Belle province, mais cela à mon humble avis ne saurait suffire comme explication.
La réponse à cette question réside dans la dualité du projet souverainiste qui fonctionne avec deux moteurs l’un progressiste et l’autre identitaire. Le projet souverainiste ne se nourrit pas que de l’exception culturelle et linguistique québécoise, il est aussi un discours progressiste qui exprime l’exception sociale (pour ne pas dire socialiste) que constitue le Québec dans cette Amérique du Nord qui est la Mecque du capitalisme.
Dans le cadre de ces élections, les Québécois ont à mon humble avis décidé de couper le moteur identitaire pour faire tourner à plein régime le moteur progressiste. L’élément le plus déterminant dans cet état de fait est la crise économique et financière qu’on vient de traverser – l’a-t-on traversée d’ailleurs - et qui a fortement amenuisé leur pouvoir d’achat. Les Québécois ont décidé de se passer du luxe d’un vote « identitaire » dont ils savent tous qu’il ne comportait qu’une valeur symbolique dans des élections fédérales à un vote « utilitaire » qui lui, pouvait influer sur leur quotidien.
Le NPD, et c’est sans doute cela sa force, est le parti qui a le plus intégré les préoccupations populaires nées de cette crise dans sa campagne. Le choix stratégique de Jack Layton de porter le discours progressiste au cœur de sa campagne à travers un certain nombre de mesures phares dont le plafonnement des taux de carte de crédit à 7% a exercé un réel attrait chez les Québécois.
Cela explique aussi le fait que ces élections aient épousé au Québec les contours d’une élection présidentielle, où le vote s’effectuait plus pour le parti que pour le candidat de la circonscription. L’origine de ce dernier était une insignifiance aux yeux des électeurs, tout comme son âge, son expérience, ou même sa présence lors de la campagne. Un tel phénomène a donné lieu à ce qu’on peut appeler le paradoxe de Berthier Maskinongé.
La bérézina libérale qui semble être la forêt que cache l’arbre de la défaite du Bloc répond aussi à cette même grille de lecture. Les Libéraux ont en effet commis l’erreur stratégique de battre campagne sur des thèmes qui sont assez éloignés du Québécois moyen : sauvegarde de la démocratie et des institutions, redonner au Canada une place de choix sur le plan diplomatique. En libérant de larges couloirs à leur gauche, à travers des positions timorées sur les questions sociales, ils ont permis à Mr Layton de rafler le Jackpot.
La question qu’on est tenté de se poser à cette étape de notre réflexion est de voir si cette élection n’est pas révélatrice d’une nouvelle culture politique. L’aspect progressiste aurait-il pris le dessus sur l’aspect identitaire dictant ainsi aux adeptes d’un Québec indépendant une transformation de leur discours ? Il est trop tôt pour le dire, mais il me semble qu’il y a deux phénomènes qui peuvent y concourir. D’une part c’est le nouveau rapport démographique immigrants et Québécois de souche qui réduit ne serait ce que théoriquement la proportion d’électeurs sensibles à l’argument identitaire. D’autre part, on peut penser que chez les populations jeunes qui sont nés sous l’ère d’un Québec dont la particularité est plus respectée que bafouée, le discours identitaire trouve moins de résonance.
Une telle culture politique si elle se confirme mettrait un parti comme Québec solidaire au devant de la scène. L’avenir nous édifiera.
Alioune Ndiaye
Montreal