Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2011

Au lendemain des élections : où en est-on et où se dirige-t-on ?

Ce fut une élection extraordinaire. Stephen Harper et Jack Layton ont tous les deux obtenu les résultats escomptés : l’assurance d’une majorité pour Stephen Harper et Jack Layton remplace le Parti libéral non seulement en tant qu’opposition officielle, mais fort probablement aussi comme la seule alternative, à l’échelle fédérale, à Harper et ses sbires.

(Traduction : Bastien Gauthier et Shelly Daphné D’Cruz)

Le Canada ressemble désormais à tant d’autres pays ayant un parti de gauche et un de droite. Alors pourquoi ce malaise ?

Premièrement, un gouvernement qui a démontré son mépris de la démocratie de mille façons, et non des moindres en mentant au Parlement sur ses dépenses a gagné une majorité de sièges. À présent, aucune contrainte structurelle ne peut les limiter dans l’exercice de leur pouvoir. Il est vrai qu’une opposition officielle NPD représente une nette amélioration en comparaison d’une opposition libérale, mais un gouvernement qui écoutait à peine l’opposition lorsqu’il était minoritaire continuera de l’ignorer une fois devenu majoritaire.

Deuxièmement, la plupart des sièges remportés par le NPD résultent de la défaite du Bloc québécois, aussi social-démocrate que lui. Ainsi, les 102 membres du NPD au Parlement remplacent un ensemble de 83 députés sociaux-démocrates de la précédente assemblée parlementaire ; moins dramatique qu’il n’y paraît. Les membres du Bloc étaient des agents efficaces au Parlement, alors que la plupart des membres du NPD, issus du Québec, restent des inconnus. Tout le monde au Canada anglais parle d’une fusion entre le NPD et les libéraux alors que le NPD a toujours été plus près politiquement du Bloc Québécois. Une des faiblesses majeures des sociaux-démocrates au sein du Canada, est leur identification à la cause fédéraliste contre l’auto-détermination du Québec, ce qui aveugle les Canadiens les plus progressistes face à leurs évidentes affinités avec les Québécois ; et vice-versa.

Par ailleurs, avoir un caucus néo-démocrate dont la moitié est québécoise, peut faire converger les préoccupations des progressistes du Québec et du Canada anglais. Cela pourrait être une bonne chose. Toutefois, aujourd’hui sur Democracy Now, Stephan Louis qualifiait la victoire du NPD au Québec de gifle pour le « séparatisme », ce qui est une conception complètement erronée. Ce que cela traduit plutôt, c’est le désir des Québécois, incluant les souverainistes, de contrer Harper et sa majorité, ainsi qu’une lassitude à l’égard du même vieux Bloc québécois. De plus, ces premiers éprouvent une sympathie envers Jack Layton. Nous devrions les remercier.

Une opposition néo-démocrate permet aussi aux mouvements sociaux de faire entendre leur voix au Parlement. Par exemple, Jack Layton et une grande partie de son caucus sont des militantes féministes. La reconnaissance des luttes féministes et des droits LGBT, fait partie du code génétique étant donné leur fort attachement à ces mouvements sociaux. Jack Layton s’est souvent exprimé lors de mobilisations antiguerres et serait enclin à lancer une commission d’enquête fédérale concernant la répression ayant eu cours pendant le G20.

Mon principal souci concernant le gouvernement Harper n’est pas que celui-ci s’attaque aux acquis du droit à l’avortement ou à ceux des gays et lesbiennes puisque cela mettrait à mal l’alliance formée avec les conservateurs modérés et fragiliserait aussi le soutien des milieux d’affaires ; mes principales préoccupations ont trait aux enjeux environnementaux, aux droits autochtones, à la privatisation, à la guerre, à la criminalisation de la pauvreté et de la dissension, des coupes du financement des arts et de la culture et, bien entendu, à la démocratie elle-même.

Une opposition formée du NPD aurait un impact positif sur les médias de masse, dont les discours ont évolué vers la droite récemment, sans qu’aucune voix de gauche ne s’élève à l’exception du Toronto Star et de moi-même sur Q. Une plus grande présence de la gauche sur les ondes, signifierait pour les Canadiens d’assister à un débat entre la gauche et la droite, notamment à propos d’enjeux environnementaux et économiques.

La mobilisation des groupes citoyens, particulièrement des jeunes, aura été extraordinaire lors des élections passées et est un bon présage. Bien que cela n’ai pas eu une influence majeure sur l’issu du vote, cela a eu un impact dans l’orientation du débat et sans aucun doute sur les chiffres élevés du NPD en Ontario ainsi qu’en Colombie-Britannique. Plus significativement, une nouvelle génération de jeunes électeurs et électrices aura goûté au militantisme ; en espérant que cela continue. Lead Now, qui est l’un des groupes les plus performants et convaincant cherche à persévérer en se consolidant comme mouvement politique progressiste.

Le débat entourant le vote stratégique fut houleux durant les derniers jours de la campagne. Je ne considère pas les Libéraux comme se positionnant à gauche. Sur les questions économiques, ils ne sont pas différents des « Tories. » Les coupes budgétaires considérables faites au niveau des programmes sociaux, ayant élargi les disparités entre les riches et les pauvres, furent principalement le fait de Paul Martin. Toutefois lors des dernières élections, les Libéraux ont soutenu la démocratie. Une fois que la vague NPD a déferlé sur le Québec, le vote stratégique pour les Libéraux avait perdu sa pertinence puisque personne n’aurait voté en ce sens. Si on regarde les circonscriptions remportées par les Conservateurs en Ontario, on constate un départage tripartite des votes, alors qu’auparavant on assistait à une confrontation entre Libéraux et Conservateurs. Il n’y a aucune garantie que les personnes ayant voté NPD auraient voté Libéraux cette fois-ci. Mais, il est évident que les Libéraux ayant un penchant de droite ont voté Conservateur afin de freiner l’ascension du NPD. Qui plus est, les personnes se référant à des sites sur le vote stratégique ne sont pas assez nombreuses, une fois étalées à travers les différentes circonscriptions pour que cela fonctionne correctement.

Vous pouvez être en désaccord avec mon analyse du vote stratégique, mais prière de ne pas accuser le NPD pour les résultats de l’élection. Le NPD a mené une bonne campagne et a gagné le soutien de la population, grâce a ses propositions et à la personnalité de Jack. C’est ce que les partis politiques sont censés faire. Les Canadiens ont rejeté Ignatieff et les Libéraux. Que cela soit permanent reste à voir.

Si vous voulez blâmer quelqu’un, blâmez les partis d’opposition pour ne pas avoir voulu former une coalition afin de vaincre Harper.
En 2001, le New Politics Initiative proposait une fusion entre les verts et le NPD dans le but de former un nouveau parti qui aurait des liens étroits avec les mouvements antimondialisation. Maintenant, le NPD a la chance de former un parti de gauche plus vivant en collaborant étroitement avec la première députée verte de l’Amérique du Nord et avec ce qui reste du Bloc au Parlement ; et en s’exprimant au nom de ceux et celles dont les voix ne se faisaient que trop peu entendre ces quinze dernières années. J’espère qu’ils le feront.

Et, si cela se produit, ce sera grâce aux pressions externes au Parlement. Comme le dit Tria Donaldson, un jeune activiste, « We need to raise a little hell. » Nous avons besoin d’un fort mouvement citoyen hors du Parlement similaire à la force de mobilisation suscitée par cette dernière élection, dans la mesure où les subventions étatiques ne seront plus disponibles à quiconque s’opposera ouvertement au gouvernement.

Les gens de ma génération devraient laisser la place aux plus jeunes afin que ceux-ci prennent le leadership de ces mouvements. Depuis trop longtemps, les mouvements sociaux progressistes et les syndicats se sont appuyés sur de vieilles tactiques et méthodes obsolètes et ne communiquant qu’en vase clos.

Il nous faut intégrer les populations les plus vulnérables de la société notamment celles subissant une ségrégation au sein des grandes villes et vivant dans le 905 (banlieue de Toronto). Un élément positif rencontré lors des dernières élections, fut que la division entre la gauche et la droite dans plusieurs communautés « de couleur », ait été mis en lumière grâce à des initiatives citoyennes comme la vidéo « Go ethnics Go. »

Construire un réseau de soutien plus vaste ciblant les luttes autochtones se rapportant aux sables bitumineux, l’exploitation minière et les coupes à blanc sera un point clé. Les mouvements de justice environnementale et sociale convergent grâce à des initiatives telles que les Accords de Cochabamba et la Déclaration des droits de la Nature. La destruction environnementale et sa défense à l’échelle internationale continueront d’être un aspect important du gouvernement Harper.

Finalement, nous devons œuvrer pour le rétablissement des liens entre le Québec et le Canada anglais. La fin de semaine dernière, j’ai assisté à une conférence à Montréal sur la justice climatique, et à laquelle étaient conviés des conférenciers provenant aussi bien du Québec que du reste du Canada. C’était la première conférence canado-québécoise à laquelle je participais après tant d’années.

Dans les années 1980, nous avions réussi à bâtir une solide alliance avec le Québec afin de lutter contre le libre-échange, et présentement il est nécessaire de reconstruire ces alliances afin de combattre les offensives du gouvernement Harper. De cette manière, si le parti Québécois gagne à la prochaine élection provinciale, ce qui est fort probable, le schisme ainsi mis en évidence entre le Québec et le Canada anglais quant à l’épineuse question de la souveraineté pourrait être limité.

Quant à la question du vote proportionnel, le « Fair Vote Canada » a déjà publié des résultats indiquant l’issu probable d’un vote comptabilisé en appliquant un système proportionnel. Cela aurait débouché sur un gouvernement minoritaire et la consécration du NPD en seconde place. La mauvaise nouvelle, c’est qu’à la fois le NPD et les Conservateurs bénéficient du mode de scrutin actuel, et donc ne vous attendez pas à des changements à court terme ; bien qu’Harper avait donné son soutien au système de proportionnel, tout comme Jack Layton si je ne me trompe pas.

C’est mon pari après cette 41e élection.

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