18 juin 2024 | tiré du site du CADTM
Les 9, 10 et 11 mai 2024, s’est tenue à Buenos Aires (Argentine) la 6e Rencontre internationale écosocialiste et la 1re Rencontre écosocialiste de l’Amérique latine et des Caraïbes. Des représentant-es de différents espaces ont participé à la rencontre : Eric Toussaint, Julio Gambina d’Attac Argentine membre du CADTM AYNA et du Courant politique de gauche (CPI), Nadja Carvalho du PSOL Brésil, Iñaki Bárcenas d’EH Gune Ecosozialista (Pays Basque), Alice Gato de Climáximo (Portugal), Fernanda Gadea coordinatrice d’ATTAC Espagne, Beverly Keene, coordinatrice de Jubilé Amériques du Sud, Claudio Katz, économiste de la gauche argentine (EDI), Evelyn Vallejos (UTEP) et bien d’autres référents.
Le journaliste Muracciole s’est entretenu avec Toussaint pour obtenir des informations sur cette Rencontre et sur les ateliers, panels et débats organisés dans le cadre de celle-ci.
Nous partageons avec vous cet entretien :
JM : Comment est né l’écosocialisme et quelle est son importance dans le contexte capitaliste actuel ?
ET : Il est né il y a environ 15 ans avec la conviction qu’une solution anticapitaliste à la crise écologique est absolument fondamentale. La solution de type « capitalisme vert » qui nous est proposée par les gouvernements et par les grandes multinationales privées, et qui fait l’objet d’une énorme propagande, ne permet pas de répondre à la crise écologique et au changement climatique.
Une réponse socialiste écologique fait partie intégrante du programme socialiste de notre époque, il faut convaincre la population que la solution à la crise écologique implique de changer les rapports de production, de changer les rapports de propriété, de changer les rapports entre les gens, bien sûr dans le cadre du socialisme démocratique.
JM : Quels ont été les axes fondamentaux de la rencontre ?
ET : Ce qui a été très positif, c’est la participation d’une nouvelle génération en tant qu’intervenant-es. Dans tous les panels et ateliers, il y avait une majorité de personnes de moins de 45 ans qui avaient, en général, une expérience et une pratique militante. Mais, en même temps, des personnes qui intègrent la dimension de l’écologie et de l’anticapitalisme dans le cadre d’une pratique, d’une praxis, et cela est fondamental.
Ce n’était pas un séminaire d’analyse de diagnostics, de polémiques théoriques, mais plutôt une conférence où l’on a fait référence au besoin d’accès à la terre, où l’on a mis en évidence les effets néfastes et la gravité de l’agrobusiness, les effets de la privatisation de l’eau, la privatisation et la financiarisation de la nature, la transition énergétique, le lien entre l’écoféminisme et le féminisme, les impacts sur les femmes et leur relation avec les droits du mouvement LGBTIQ+. Le racisme environnemental et la racialisation de la crise écologique ont également été abordés.
Il s’agissait de la 6e réunion et de la première à se tenir en Amérique latine et les Caraïbes, les précédentes ayant commencé en Europe et dans deux ans, en 2026, elle reviendra sur ce continent en Belgique plus précisément, mais entre les deux réunions, il y aura une date importante : la COP30, en novembre 2025, à Belém do Pará (Brésil). Nous attendons des dizaines de milliers de personnes, de peuples autochtones et d’activistes de toutes les régions du monde.
Gardons à l’esprit que les dernières Conférences des Parties (COP ONU) ont été convoquées dans des pays éloignés où il était presque impossible de se rendre, par exemple, la COP27 s’est tenue du 6 au 18 novembre 2022 à Sharm el Sheikh, une cité balnéaire en Égypte éloignée des centres urbains et dans un pays à régime dictatorial ; la COP28 à Dubaï (Émirats arabes unis) du 30 novembre au 12 décembre 2023 ; la COP29 se tiendra cette année à Bakou, en Azerbaïdjan, du 11 au 22 novembre. Des lieux très éloignés où il n’y a pas la possibilité d’organiser des débats et des manifestations avec des dizaines de milliers d’activistes avec des alternatives aux « fausses solutions » qu’on nous propose. Nous pensons que pour la COP30 à Belém do Pará à l’embouchure du fleuve Amazone, il y aura une mobilisation très importante avec des dizaines de milliers d’activistes et de militant-es.
Parmi les questions que nous avons également abordées, dans le cadre de cette réunion à Buenos Aires, il y avait le problème de l’extrême-droite et de la crise écologique... les membres de l’extrême-droite, comme l’ex-président brésilien Bolsonaro et ses partisans les Bolsonaristas ou les gens du nouveau président argentin Javier Milei, sont des négationnistes de la crise écologique et de la nécessité de prendre des mesures radicales pour rompre avec le système capitaliste. Et leur négationnisme a des effets absolument désastreux pour les populations, comme on le voit en ce moment dans le pays voisin de l’Argentine, avec la situation catastrophique causée par les inondations dans l’État du Rio Grande do Sul (Brésil).
Lire également sur les inondations à Porto Alegre, capitale de l’État de Rio Grande do Sul : Porto Alegre enregistre une première occupation d’immeuble désaffecté par les victimes d’inondations
JM : Cette réunion importante, avec ces caractéristiques, est fondamentale dans un processus aussi dystopique, où en Argentine il y a un gouvernement qui est actuellement ultra-libéral et, de plus, ultra-droitier. Outre l’urgence, nous sommes confrontés à une situation asymétrique... contrairement à d’autres époques, il n’est pas nécessaire qu’il y ait des « coups d’État sanglants » pour qu’il soit mis en place. Les gouvernements de droite arrivent sur la base d’un consensus important de la population.
ET : La bataille des idées est essentielle, face à ces idées d’extrême droite qui bénéficient du soutien des grands médias et aussi de la désillusion, de la dépolitisation et de la désorientation, elles parviennent à convaincre une partie importante de l’opinion publique. Face à cela, il est absolument nécessaire de combattre les propositions de l’extrême droite.
JM : Ne pensez-vous pas que le capitalisme, non seulement comme modèle productif mais aussi comme modèle de vie, génère des pratiques hégémoniques qui finissent par générer à leur tour une subjectivité proche de ces conceptions ? Qu’il est nécessaire de déconstruire cette subjectivité et de créer une subjectivité alternative.
ET : Bien sûr. Et c’est pourquoi je répète que lors de la Rencontre écosocialiste, la capacité de la nouvelle génération à exprimer une manière d’analyser la réalité qui puisse toucher une grande partie de la jeunesse au niveau international a été très importante.
L’écosocialisme est justement un pont intergénérationnel pour ceux et celles qui s’opposent au système du capitalisme mondialisé.
JM : La proposition « verte » dans le cadre du capitalisme est la démonstration que c’est une impasse, car il y a eu de multiples conférences sur le changement climatique, de Kyoto au Sommet de Paris, et aucun progrès n’a été réalisé. Le monde reste le même.
Quelle est la situation actuelle et les perspectives pour la planète face à ce projet civilisateur de ce capitalisme dégradant ?
ET : La situation s’aggrave à une vitesse que même les scénarios les plus pessimistes n’ont pas prévu, par exemple, dans le cadre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ils n’ont pas pris entièrement conscience de la rapidité du changement climatique et de l’extinction des espèces à l’échelle planétaire.
Alors que l’on parle d’investissements dans les « véhicules électriques », les « énergies renouvelables », etc., les émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) continuent d’augmenter. Preuve en est la multiplication des catastrophes « dites naturelles », l’ampleur de ces catastrophes, comme ce qui se passe à Porto Alegre ou dans l’Est de l’Afrique touchés par des inondations catastrophiques tandis que l’Ouest africain est touché par la sécheresse et de grandes chaleurs, l’augmentation de la température des océans, etc. qui implique un calendrier pour imposer une bifurcation énergétique et pas seulement une transition énergétique, ce qui nous donne un laps de temps, jusqu’à 10 ou 12 ans. En termes de temps, nous n’avons pas deux ou trois générations pour répondre à la crise, c’est la génération actuelle qui doit trouver la solution, sinon nous allons vers une véritable catastrophe pour l’humanité.
JM : Face à une situation aussi grave, il y a les négationnistes, les secteurs de l’ultra-droite qui prétendent que ce type de question en général est un discours du progressisme et du marxisme, mais d’un autre côté, il y a aussi des secteurs au niveau social qui prétendent qu’il est plus probable que le monde soit détruit qu’il soit nécessaire de construire le socialisme, est-ce que cela a un rapport avec la défaite de l’Union soviétique, avec ce qu’était le vrai socialisme ?
ET : Nous devons reconstruire l’espoir, la conviction, la possibilité de visualiser l’urgence mais en même temps la possibilité d’une réponse collective qui implique la décroissance économique dans le Nord global. Croissance économique, mais respectueuse de la nature, dans le Sud pour satisfaire les besoins fondamentaux des populations, en termes d’accès à l’eau, à la terre, à la santé, à l’éducation, à la culture, à un logement décent... cela implique une croissance économique nécessaire dans une partie du monde. Mais au Nord, il faut organiser la décroissance économique. Faire renaître l’espoir en montrant que c’est techniquement possible, mais pas par des solutions à l’intérieur du système capitaliste que propose le « capitalisme vert », par la production de « véhicules électriques » ou d’« hydrogène vert » ou de « capture du carbone », qui ne sont pas vraiment des solutions pour trouver une alternative à la crise écologique actuelle.
JM : Quel message donneriez-vous à la jeunesse d’ici, puisque vous êtes en Argentine, pour qu’elle prenne conscience de la nécessité de construire une alternative qui ne soit pas le suicide collectif que nous vivons à travers le capitalisme ?
ET : Qu’il faut se battre. Se défendre simultanément, par exemple, contre des gouvernements comme celui de Javier Milei, comme l’a montré la mobilisation massive pour la défense de l’éducation publique, des universités en avril 2024, etc., mais aussi s’opposer à l’extractivisme, au fracking, aux mines à ciel ouvert, au modèle de monoculture du soja OGM, à l’agrobusiness, etc, Ces questions centrales nous permettent d’établir des relations entre les jeunes des centres urbains et les jeunes ruraux (qui luttent dans leurs territoires), de mettre en relation les minorités des peuples d’origine avec la majorité de la population.
C’est-à-dire de mettre en relation le projet de rupture avec le capitalisme avec les problèmes réels que les gens vivent au quotidien.
Lien pour écouter l’interview en espagnol :
https://radiocut.fm/audiocut/erik-toussaint-sobre-eco-socialismo/#
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Un message, un commentaire ?