Édition du 2 septembre 2025

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Écosocialisme

« Le marxisme du XXIe siècle ne peut être qu'un écomarxisme »

Entretien revue Critique (Aout 2025, "Marx Vert"), avec Michael Löwy par Germana Berlatini, Davide Gallo Lassere.

Depuis une quinzaine d’années, nous assistons à une réactualisation de Marx dans le débat écologique. À quoi doit-on ce regain d’intérêt ? Quelles ressources théoriques cet auteur propose-t-il pour penser la crise climatique et environnementale ? Un entretien mené par Germana Berlatini, Davide Gallo Lassere.

22 août 2025 | tiré du blogue de Michael Löwy

GB/DGL : Depuis une quinzaine d’années, nous assistons à une réactualisation de Marx dans le débat écologique. À quoi doit-on ce regain d’intérêt ? Quelles ressources théoriques cet auteur propose-t-il pour penser la crise climatique et environnementale ?

ML : La question serait plutôt pourquoi il a fallu tellement de temps pour retrouver l’apport de Marx à l’écologie… Certes, il s’agit d’une problématique relativement marginale dans ses écrits, pour la bonne raison que la question commençait seulement à se poser au 19ᵉècle.

Quelles sont alors ses principales contributions dans ce domaine ?

Personne n’a autant dénoncé que Marx la logique capitaliste de production pour la production, l’accumulation du capital, des richesses et des marchandises comme but en soi. L’idée même de socialisme – au contraire de ses misérables contrefaçons bureaucratiques – est celle d’une production de valeurs d’usage, de biens nécessaires à la satisfaction de nécessités humaines. L’objectif suprême du progrès technique pour Marx n’est pas l’accroissement infini de biens (« l’avoir ») mais la réduction de la journée de travail, et l’accroissement du temps libre (« l’être »).

Par ailleurs, on trouve dans le Capital des passages où il est explicitement question des ravages provoqués par le capitalisme sur l’environnement naturel ; par exemple, la conclusion du chapitre sur la grande industrie et l’agriculture du livre I, qui esquisse une remarquable vision dialectique des contradictions du « progrès » induit par les forces productives :

« Chaqueprogrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ;caque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un tempest un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les États-Unis du Nord de l’Amérique par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce processus de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en sapant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur.. »

On trouve ici l’idée que le progrès peut être destructif, un « progrès » dans la dégradation et la détérioration de l’environnement naturel. L’exemple choisi apparaît trop limité – la perte de fertilité du sol –,, mais il ne pose pas moins la question plus générale des atteintes, par la production capitaliste, au milieu naturel, à ce qu’il appelle, dans un autre passage, les« conditions naturelles éternelles ».

GB/DGL : eestce que vous pourriez expliquer brièvement qu’est-ce qu’il entend par cette expression ? Marx n’a-t-il pas toujours eu une conception très historicisée de la nature ?

ML : e ne pense pas que Marx "historicise" la nnature... nalyse, ien sûr, omme historiques, e rapport des humains à la nature et les transformations de celle-ci par l’activité humaine. Mais il pense, ar exemple, ue la terre en tant que telle est une ""ndition naturelle éternelle" pour l’activité humaine. Il revient sur cet argument à plusieurs rreprisesdans Le Capital :

"Tout l’esprit de la production capitaliste,oientée vers le profit monétaire immédiatement proche, est en contradiction avec l’agriculture, ui doit prendre en compte l’ensemble permanent ((ändigen) des conditions de vie de la chaîne des générations humaines."

Cette production apitaliste provoque une "rupture irréparable du métabolisme" entre les sociétés humaines et la nature, n "métabolisme prescrit par les lois naturelles de la vie".

On ourrait ajouter, notre époque, ue le climat fait partie de ces "conditions naturelles de la vie", n train d’être détruites par le productivisme et la hybris capitaliste. Certes, on pourrait aussi rgumenter que le climat a une histoire, ui est même en train de s’aaccélérerà notre époque. Mais cela n’est pas contradictoire avec la constatation qu’une certaine température, isons inférieure à 50 ou 60 degrés Celsius, ait partie des "cconditions naturelles de la vie" pour les humains.

GB/DGL : Comme vous l’avez souligné tout à l’heure, d’après Marx le développement des forces productives est aussi, à la fois, un développement des forces destructives. Cela remet radicalement en cause la philosophie de l’histoire déterministe et téléologique qui caractérise des passages de son œuvre et, encore plus, la lecture dogmatique fournie auXXᵉsiècle par certains auteurs marxistes et par de nombreuses institutions du mouvement ouvrier. Quelles sont les principales implications théoriques et politiques d’un tel renversement ?

ML : Certes, ne lecture « ddéterministe » et même « productiviste » de Marx dominé chez les marxistes dogmatiques du 220ᵉècle, que ce soit dans la social-démocratie (quand elle se réclamait encore du marxisme !) ou dans le « socialisme réel » de facture soviétique. On a privilégié les écrits de Marx, comme lalaréface à la Critique de l’économie politique (1859),qi se prêtent à des lectures de ce type. On a ainsi ignoré tout ce qui, chez Marx (ou Engels), met en question une vision linéaire de l’histoire comme « progrès », ddéterminéar le développement des forces productives. Par exemple, ses derniers écrits sur la commune rurale russe comme point de départ d’un processus révolutionnaire pouvant épargner à la Russie les affres du capitalisme. Ou encore les textes de critique du productivisme capitaliste comme « rupture métabolique » entre les sociétés humaines et la nature, recensés par les éécomarxistesohn Bellamy Foster et Kohei Saïto.

Cela dit, le marxisme est une pensée en mouvement, qui ne peut pas se limiter aux écrits de Marx et Engels. Le mot d’ordre de Rosa Luxemburg, « socialisme ou barbarie » (1915), était déjà un dépassement de la philosophie de l’histoire comme progrès inévitable. Et Walter BBenjamin, dans ses écrits des années1930,0, critiquait l’idéologie du progrès et « l’idée meurtrière d’exploitation de la nature » propre à la modernité capitaliste.

Le marxisme du21ᵉsiècle ne peut être qu’un écomarxism, qui met la question du rapport à la nature au centre de la réflexion et au cœur de la définition même du socialisme. La crise écologique et le changement climatique étaient peu visibles au 19ᵉᵉsiècle, mais sont devenus à notre époque l’enjeu économique, social, politique et humain décisif de notre époque. L’éco-marxisme du 21ᵉᵉsiècle ne peut que rompre avec l’idéologie du Progrès fondé sur le développement des forces productives, tout en reprenant la critique de Marx à la réification marchande, au fétichisme de la marchandise et à la logique du capitalisme qui consiste, selon le vol. 1 du Capital, à « accumuler pour accumuler, produire pour produire ».

L’écomarxisme exige aussi une reformulation du programme socialiste, qui devra se donner comme horizon révolutionnaire, comme le propose Saïto, « un communisme de la décroissance ».

GB/DGL : Vous avez d’abord parlé de Marx et puis vous avez fait allusion à Luxemburg et à Benjamin. Est-ce que vous pouvez expliciter davantage quelles sont les principales sources philosophiques de l’écosocialisme ?

ML  : Cela dépend des auteurs. Pour certains, ce sont les écrits de critiques de la technique comme ceux publiés par Jacques Ellul, ou des institutions modernes (l’école, l’hôpital) comme les textes de Ivan Illich. Je ne nie pas l’intérêt de ces auteurs, mais pour moi, les principales sources de l’écosocialisme sont : Marx, relu d’un point de vue anti-productiviste (comme je l’ai esquissé dans la réponse antérieure), le romantisme anticapitaliste et Walter Benjamin.

Le romantisme est beaucoup plus qu’une école littéraire du début du XIXᵉiècle : ’est une vision du monde, qui commence avec Jean-Jacques Rousseau mais se poursuit jusqu’à nos jours. Le cœurde cette philosophie romantique est une critique de la civilisation capitaliste industrielle moderne, au nom de certaines valeurs prémodernes.Elle prend différentes formes, régressives rêvant d’un (impossible) retour au passé, ou révolutionnaires, prônant un détour par le passé vers l’avenir utopique. La critique romantique dénonce le désenchantement du monde, la quantification et la mercantilisation universelles, mais aussi la destruction de l’environnement par la civilisation moderne.

Jean-Jacques Rousseau, dans son célèbre Discours sur les origines de l’inégalité entre les hommes (1755) – véritable manifeste inaugural du romantisme –,, célèbre le « sauvage » qui, crit-il, « vit en paix avec toute la nature et avec ses semblables », et regrette que la civilisation ait fait de l’être humain « un tyran de lui-même et de la nature ». Passionné par la nature vierge, il parle avec nostalgie des « forêts immenses que la cognée ne mutila jamais ».

Dans notre livre Romantisme anticapitaliste et nature (Paris, Payot, 022), on ami Robert Sayre et moi-même discutons de cette critique romantique dans les écrits de voyageurs du XVIIIᵉiècle comme William Bartram, dans les œuvresdu peintre du XIXᵉhomas Cole, ns l’utopie communiste écologique de William Morris et dans les écrits du critique culturel anglais Raymond Williams. On trouve des échos contemporains de cette tradition dans l’indigénisme écologique de Naomi Klein.

Dans cette tradition, un des principaux auteurs que nous discutons est précisément Walter Benjamin, par sa critique impitoyable – d’inspiration romantique anticapitaliste– de l’idéologie du progrès inévitable et de « l’idée meurtrière d’exploitation de la nature », prônée par la civilisation bourgeoise. À ces tendances destructrices de la modernité capitaliste, enjamin oppose la conception de la nature comme mère généreuse, propre aux sociétés matriarcales du passé et le rêve utopique d’une harmonie future avec le monde naturel suggérée par Fourier et Marx.

Un nombre croissant d’écosocialistess’intéresse aux écrits de Walter Benjamin comme source philosophique d’une conception de l’histoire sensible aux aspects destructeurs du « progrès » technique et économique promu par la civilisation capitaliste.

GB/DGL : dans quelle mesure une telle référence à la pensée romantique et utopique est-elle compatible avecvec un dialogue avec les sciences de la nature ?

ML  : Il existe sans doute des romantiques rétrogrades, asséistes ou même obscurantistes qui s’opposent aux sciences de la nature. Mais, omme Robert Sayre et moi-même e rappelonsdans notre livre sur romantisme et nature, n des pionniers des sciences naturelles modernes, lexandre von Humboldt (fin du 18ᵉ siècle) était un penseur romantique et un critique des estructions – raves déforestations, ppauvrissement de la terre, pollution, etc. – rovoquées par la civilisation moderne.

Les romantiques utopiques ou révolutionnaires ne rejettent pas science en tant que telle : e qu’ils mettent en question,, c’est son usage par la société capitaliste industrielle. Walter Benjamin, ans ses Thèses de 1940 "Sur le concept d’histoire", e critique pas la science moderne, ais le culte du progrès technique, ui "n’envisage que les progrès de la maîtrise sur la nature, on les régressions de la société" : on expression la plus sinistre,, c’est, ses yeux, a technocratie fasciste.

Cette attitude est aussi celle des écosocialistes qui s’inspirent de la critique romantique de la civilisation. Loin de rejeter lascience de la nature, s s’appuient, ar exemple, ur les documents du GIEC, e Groupe international d’étude du climat, omposé de scientifiques du monde entier, our attirer l’attention sur la montée de la température et l’inefficacité des mesures de réduction des émissions de CO₂ prises jusqu’ici. Ce qu’ils dénoncent,, c’est l’instrumentalisation e la science par le système capitaliste t sa dynamique destructrice. Ils ne mettent pas en question les découvertes d’Einstein et la physique nucléaire ! Mais ils s’opposent à l’énergie nucléaire, ilitaire ou civile, romue par le capitalisme (t sa copie conforme par le "socialisme réel"). Albert Einstein lui-même était un socialiste avec une sensibilité écologique…Voici ce qu’il disait de notre rapport à l’environnement :

"Un être humain est une partie d’un tout que nous appelons Univers,une partie limitée dans le temps et l’espace. Il s’expérimente lui-même, ses pensées et ses émotions comme quelque chose qui est séparé du reste, une sorte d’illusion d’optique de la conscience. Cette illusion est une sorte de prison pour nous, nous restreignant à nos désirs personnels et à l’affection de quelques personnes proches de nous. Notre tâche doit être de nous libérer nous-mêmes de cette prison en étendant notre cercle de compassion pour embrasser toutes créatures vivantes et la nature entière dans sa beauté."

N’est-ce pas romantique ?

GB/DGL : Après ce tour d’horizon des sources philosophiques de l’éco-socialisme, et avant de revenir sur les points saillants de l’éco-socialisme au XXIᵉiècle, nous aimerions nous attarder d’abord sur un autre nœudauquel vous avez fait allusion. Vous avez parlé de la commune agraire russe et – par extension – de la paysannerie non occidentale. Tout au long du XXᵉiècle, les expériences paysannes provenantde l’Amérique latine, de l’Afrique, de l’Asie, etc. ont renouvelé le marxisme. Pourquoi cela a-t-ilil été important ? Quel est le bilan de ces histoires multiples et variées ? Et quels sont les horizons politiques qu’elles peuvent ouvrir aujourd’hui ?

ML  : Dans toutes les grandes révolutions sociales du 20ᵉiècle, les paysans ont joué un rôle déterminant. Tout d’abord, dans la Révolution mexicaine de 1911-17, où l’Armée du Sud d’Emiliano Zapata a été la pointe la plus avancée et la plus radicale du mouvement insurgent. Comme l’a montré le grand historien marxiste latino-américain Adolfo Gilly, les zapatistes ont formé, dans l’État de Morelos, une véritable commune socialiste. Dans la Révolution russe elle-même, le prolétariat a été le principal acteur sociopolitique mais sans le soutien de la paysannerie, jamais l’Armée rouge n’aurait gagné la guerre civile. Il faut aussi prendre en compte que les ouvriers étaient souvent d’origine paysanne et le même vaut pour les soviets de soldats qui ont joué un rôle décisif dans la Révolution d’octobre 1917 à Petrograd. Dans les révolutions chinoise et indochinoise, des années 1930 jusqu’à la victoire des Vietnamiens dans les années 1970, ontrouve à nouveau les paysans comme principal sujet du mouvement révolutionnaire dirigé par les communistes. Enfin, en Amérique latine, aussi bien la Révolution cubaine de 1959 que celle du Nicaragua en 1979 ont été menées par des mouvements de guérilla dont la principale base sociale étaient les paysans. Dernier épisode : e soulèvement de l’EZLN (EjércitoZapatista de Liberación Nacional) en 1994, ui a conduit à une expérience communautaire qui dure encore aujourd’hui, vait été menée par des paysans indigènes d’origine maya.

Ce rôle révolutionnaire des paysans n’avait pas été prévu par les grandspenseurs marxistes, depuis Marx lui-même jusqu’à Rosa Luxemburg, Lénine ou Trotsky. Certes, ils avaient compris qu’une révolution prolétarienne n’aurait pas pu vaincre sans le soutien des paysans, mais ils n’avaient pas imaginé que la paysannerie puisse être la principale force sociale du mouvement révolutionnaire. Victor Serge, dans ses écrits des années 1920 sur le mouvement révolutionnaire en Chine, est une exception. C’est donc des dirigeants communistes comme Mao Tse-Toung et Hô Chiinh qui vont prendre en compte, dans leurs écrits, et surtout dans leur pratique, ce rôle des masses paysannes. Certes, le bilan de ces révolutions, une fois au pouvoir, est contrasté : sans doute des mesures sociales radicales ont été prises, mais le pouvoir a été monopolisé par des régimes bureaucratiques et autoritaires, ur lesquels les paysans ou les ouvriers n’avaient aucun contrôle.

En Amérique latine,, le grand penseur marxiste José Carlos Mariátegui avait proposé dès 1927-29 une stratégie révolutionnaire basée sur les traditions collectivistes ancestrales – « le « communisme inca » » » – des paysans indigènes. La similitudeentre ses écrits et ceux de Marx sur la commune rurale russe – qu’il ne connaissait pas – est frappante. Ses propositions furent rejetées lors de la Conférence des Partis communistes d’Amérique latine, hegemonisée par le stalinisme. Aussi le rand mouvement de résistance contre les Marines américains mené en 1927 par l’Armée des Hommes Libres d’Augusto Sandino était une lutte paysanne. Quand n 1932 éclate à El Salvador une insurrection contre la dictature militaire, elle est menée par la paysannerie : ce fut le seul soulèvement de masse dirigé par unParti communiste (fondé par Farabundo Marti) dans l’histoire de l’Amérique latine. Il fut désavoué par l’Internationale communiste.

Il faudra attendre la Révolution cubaine et les écrits de Che Guevara pour qu’une réflexion marxiste sur le rôle révolutionnaire des paysans soit à nouveau développée. Ses écrits sur la guerre de guérilla assignent une place centralee à la paysannerie. Cela vaut aussi pour le dirigeant révolutionnaire péruvien (trotskiste) Hugo Blanco, qui mena, au début des années 1960, un grand mouvement de luttes paysan/indigène, non sous la forme de guérillamais de groupes d’autodéfensearmée. Au cours des dernières décennies,, Hugo Blanco a écrit des textes importants en défense de l’indigénisme paysan et de l’écosocialisme : selon lui, les communautés indigènes pratiquaient déjà l’écosocialisme il y a plusieurs siècles…

En Afrique, es paysans ont pris une place essentielle dans les grands mouvements anticolonialistesen Afrique du Nord et dans les colonies portugaises (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau). Ces expériences ont nourri la réflexion de penseurs révolutionnaires, arxistes ou proches du marxisme, comme Franz Fanon ou Amilcar Cabral. Hélas, après une période initiale d’inspiration socialiste ou autogestionnaire les régimes issus de la lutte anticolonialeont sombré dans l’autoritarisme et la corruption.

Aujourd’hui encore on trouve nombre de mouvements paysans à tendance anticapitalistedans le monde. La plupart sont fédérés dans le réseau international Via Campesina. Une de ses composantes les plus importantes est le MST, le e Mouvement des paysans sans terre Brésil, qui organise des centaines de milliers de paysans, et dont les militants et les cadres se réclament du marxisme.

Les indigènes et les paysans en général sont actuellement une force sociopolitiquequi se trouve en première ligne dans le combat contre la destruction capitaliste de l’environnement, n défense des forêts et de l’eau. Cela vaut notamment pour les pays du Sud global, ais aussi pour les États-Unis et le Canada, où les indigènes résistent aux oléoducs ou à l’exploitationdes sables bitumineux.

Aussi bien l’histoire des révolutions du siècle dernier que le combat écologique actuel exigent un renouveau de la pensée marxiste sur la paysannerie et les communautés indigènes.

GB/DGL : Après cet aperçu historico-politique sur la paysannerie dans les révolutions socialistes au XXᵉconcentrons-nous maintenant sur le présent et l’avenir. Vous avez mentionné la décroissance tout à l’heure, et vous avez parlé des questions agraires et paysannes ensuite : quels sont les principes fondamentaux de l’écosocialismeau XXIᵉiècle ? Autour de quels piliers théoriques et politiques construire une alternative aux ravages sociaux et écologiques en cours ?

ML : Pour beaucoup de marxistes, le socialisme c’est la transformation des rapports de production – par l’appropriation collective des moyens de production – pour permettre le libre développement des forces productives. L’écosocialisme du 21ᵉiècle se réclame de Marx, mais rompt de façon explicite avec ce modèle productiviste. Certes, l’appropriation collective est indispensable, mais il faudrait aussi transformer radicalement les forces productives elles-mêmes :

a) en changeant leurs sources d’énergie (renouvelables, à la place des énergies fossiles) ;

b) en réduisant la consommation globale d’énergie ;

c) en réduisant (« décroissance ») la production des biens, et en supprimant les activités inutiles (publicité) et les nuisibles (pesticides, armes de guerre) ;

d) en mettant un terme à l’obsolescence programmée.

L’écosocialisme implique aussi la transformation des modèles de consommation, des moyens de transport, de l’urbanisme, du « mode de vie ». Bref, c’est beaucoup plus qu’une modification des formes de propriété : il s’agit d’un changement de civilisation, fondé sur des valeurs de solidarité, égalité, liberté et respect pour la nature. La civilisation écosocialiste rompt avec le productivisme et le consumérisme, pour privilégier la réduction du temps de travail et donc l’extension du temps libre dédié à des activités sociales, politiques, ludiques, artistiques, érotiques, etc. Marx désignait cet objectif par l’expression « règne de la liberté ».

Pour accomplir la transition vers l’écosocialisme, il faut une planification démocratique, orientée par deux critères : la satisfaction des véritables besoins et le respect des équilibres écologiques de la planète. C’est la population elle-même – une fois débarrassée du matraquage publicitaire et de l’obsession consommatrice fabriquée par le marché capitaliste – qui décidera, démocratiquement, quels sont les véritables besoins. L’écosocialisme est un pari sur la rationalité démocratique des classes populaires.

Pour accomplir le projet écosocialiste, des réformes partielles ne suffisent pas. Une véritable révolution sociale est nécessaire. Comment définir cette révolution ? On pourrait se référer à une note de Walter Benjamin, en marge de ses thèses.. Sur le concept d’histoire (1940) : « Marx a dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale. Peut-être que les choses se présentent autrement. Il se peut que les révolutions soient l’acte par lequel l’humanité qui voyage dans le train tire les freins d’urgence ». Traduction en termes du XXIᵉ siècle : nous sommes tous des passagers d’un train suicide, qui s’appelle civilisation capitaliste industrielle moderne. Ce train se rapproche, à une vitesse croissante, d’un abîme catastrophique : le changement climatique. L’action révolutionnaire vise à l’arrêter – avant que ce ne soit trop tard.

L’écosocialisme est à la fois un projet d’avenir et une stratégie pour le combat ici et maintenant. Il n’est pas question d’attendre que « les conditions soient mûres » : il faut susciter la convergence entre luttes sociales et luttes écologiques et se battre contre les initiatives les plus destructrices des pouvoirs au service du capital. C’est ce que Naomi Klein appelle Blockadia. C’est avec des mobilisations de ce type que pourra émerger, dans les luttes, la conscience anticapitaliste et l’intérêt pour l’écosocialisme. Des propositions comme le Green New Deal font partie de ce combat, dans leurs formes radicales, qui exigent l’abandon effectif des énergies fossiles – au contraire de celles qui se limitent à recycler le « capitalisme vert ».

Quel est le sujet de ce combat ? Le dogmatisme ouvriériste/industrialiste du siècle passé n’est plus actuel. Les forces qui aujourd’hui se trouvent en première ligne de l’affrontement sont les jeunes, les femmes, les indigènes, les paysans. Les femmes sont très présentes dans le formidable soulèvement de la jeunesse lancé par l’appel de Greta Thunberg – une des grandes sources d’espoir pour l’avenir. Comme nous l’expliquent les écoféministes, cette participation massive des femmes aux mobilisations résulte du fait qu’elles sont les premières victimes des dégâts écologiques du système. Les syndicats commencent, ici ou là, à s’engager aussi. C’est important, car, en dernière analyse, on ne pourra pas battre le système sans la participation active des travailleurs des villes et des campagnes, qui constituent la majorité de la population. La première condition, c’est, dans chaque mouvement, d’associer les objectifs écologiques (fermeture de mines de charbon, de puits de pétrole ou de centrales thermiques, etc.) avec la garantie de l’emploi des travailleurs concernés.

Avons-nous des chances de gagner cette bataille, avant qu’il ne soit trop tard ? Contrairement aux prétendus « collapsologues », qui proclament, à cor et à cri, que la catastrophe est inévitable et que toute résistance est inutile, nous croyons que l’avenir reste ouvert. Il n’y a aucune garantie que cet avenir sera écosocialiste : c’est l’objet d’un pari au sens pascalien, dans lequel on engage toute son existence, dans un « travail pour l’incertain ». Mais, comme le disait, avec une grande et simple sagesse, Bertolt Brecht : « Celui qui lutte peut perdre. Celui qui ne lutte pas a déjà perdu.

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