Édition du 14 octobre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Asie/Proche-Orient

L’immobilier reste une épine dans le pied de Pékin

L’ancien géant du développement immobilier Evergrande va être radié de la Bourse de Hong Kong. Son défaut en 2021 a fait plonger la Chine dans une crise immobilière dont elle n’est toujours pas sortie, mais qui devient de plus en plus une priorité.

Tiré d’Europe solidaire sans frontière.

Près de quatre ans après ses premières difficultés financières, le groupe de développement immobilier chinois Evergrande sera officiellement radié de la Bourse de Hong Kong le 25 août. L’annonce est très largement symbolique puisque le titre était suspendu depuis un an et demi. Mais c’est la confirmation que la crise immobilière continue de marquer le quotidien des Chinois et de peser sur l’économie de la République populaire.

Evergrande a été fondé en 1996 à Guangzhou par Xu Jiayin qui deviendra un temps la deuxième personne la plus riche d’Asie. Après la libéralisation des ventes de terrain et de propriété en 1998, l’entreprise se lance dans des projets immobiliers de grande ampleur. La demande semble alors infinie compte tenu de la rapidité de l’urbanisation du pays : voici trente ans, un tiers des Chinois vivait en ville, c’est le cas aujourd’hui de deux tiers d’entre eux.

Pour accélérer sa croissance, Evergrande va avoir massivement recours à la dette. Comme ses clients achètent les appartements à l’avance, il disposait en théorie de liquidités pour assurer les remboursements et pouvoir s’endetter toujours plus. À partir de 2015, la situation s’emballe. Pékin met un coup de frein à sa surproduction industrielle et trouve dans l’immobilier un relais de croissance rêvé qui permet à la fois de soutenir l’activité intérieure et d’offrir un débouché pour sa production de ciment et d’acier.

Le crédit immobilier est donc encouragé, ainsi que les ventes de terrain par les administrations locales. Une chaîne de la dette se met en place : de plus en plus de Chinois s’endettent pour acheter des logements développés par des groupes qui, eux aussi, s’endettent toujours plus pour lancer de nouveaux projets. Une logique de bulle s’installe : des acheteurs se présentent uniquement dans l’optique de la revente au prix fort. Cette spéculation entretient l’inflation des prix et celle des projets portés par les développeurs qui s’endettent toujours plus, notamment sur les marchés financiers, en espérant rembourser grâce à la hausse des prix.

En 2019, l’immobilier représente environ 30 % du PIB en prenant en compte ses effets indirects et près de 80 % de la richesse des ménages est liée à l’immobilier. La valeur globale du marché immobilier chinois atteint alors 52 000 milliards de dollars, soit le double du marché états-unien. À ce moment, Evergrande est le principal développeur chinois. Sa capitalisation boursière a dépassé les 50 milliards de dollars en 2017. Mais son succès a fait des petits : des dizaines de développeurs proposent de nouveaux projets.

Une crise de grande ampleur

En 2020, la crise sanitaire réduit les revenus et l’accès aux crédits. Les entrées de liquidités commencent à ralentir et mettent le secteur en danger. Au même moment, le gouvernement commence à prendre des mesures de régulation pour réduire l’envolée des prix et assurer le maintien d’un accès au logement pour tous. Xi Jinping proclame alors que l’immobilier doit servir « à se loger et non à spéculer ».

Les deux éléments conduisent à un assèchement des ressources pour les grands développeurs qui entrent dans une spirale infernale : les avances des clients sont utilisées pour payer les dettes, mais les projets n’avancent plus et les fonds s’épuisent. Evergrande doit faire défaut sur une obligation en dollars en décembre 2021. Rapidement, il apparaît que le groupe est parfaitement insolvable.

C’est un coup de tonnerre qui frappe alors l’ensemble du secteur. La confiance disparaît, les clients se font rares et plus personne ne veut prêter aux développeurs.

Après Evergrande, Country Garden et Sunac font aussi défaut sur leur dette. Les constructions s’arrêtent net, plongeant de nombreux ménages dans le désarroi : l’appartement pour lequel ils ont payé ne sera pas terminé. Les acheteurs disparaissent alors logiquement du marché pour éviter ce genre de déconvenue.

La bulle éclate et les prix de l’immobilier commencent à chuter. Les milliers d’appartements destinés à la spéculation ne trouvent pas preneurs. L’agence Bloomberg estimait, en mai 2024, que 400 millions de mètres carrés et 60 millions d’appartements étaient vides et invendus, alors qu’un nombre incalculable de projets étaient arrêtés net avant d’avoir été achevés.

La baisse des prix et la dégradation de la conjoncture causée par cette crise frappent de plein fouet les ménages qui s’étaient endettés pour acheter leur logement ou spéculer, ce qui entraîne des ventes de panique qui accentuent encore la baisse des prix. Quatre ans plus tard, la situation est loin de s’être apaisée. En juillet, les ventes de logement ont affiché un recul de 25 % sur un an et la demande de nouveaux logements est en recul de 75 % par rapport à son niveau de 2017.

À la recherche d’une solution...

Face à cette situation, Pékin a cherché à éviter un scénario à la Lehman Brothers. Outre une ligne de financement de 200 milliards de yuans offerts aux développeurs, la banque centrale, les banques et les autorités locales sont invitées à soutenir le marché immobilier par tous les moyens. Cette méthode permet d’éviter l’effet de souffle à la Lehman avec une perte générale de confiance dans le secteur bancaire et un effondrement du crédit. D’autant qu’en parallèle, Pékin investit massivement dans de nouveaux secteurs, notamment technologiques et « verts ».

Mais le secteur immobilier, lui, continue malgré tout sa chute libre. Au second semestre, le secteur de la construction s’est contracté de 0,6 % sur un an selon les chiffres officiels du PIB publiés mi-juillet. En tout, les développeurs ont fait défaut, à ce jour, sur 150 milliards de dollars de dettes. Dans le cas d’Evergrande, le cabinet Deloitte a estimé que seulement 3,53 % du montant des créances pourraient être recouverts. L’annonce de la radiation du groupe de la Bourse de Hong Kong met fin à tout espoir de redressement rapide du marché.

Reste que la poursuite de la dégradation de la situation sur le front de l’immobilier, même si elle est cachée par la fuite en avant technologique du pays dans les statistiques de la croissance, est un problème pour Pékin car la crise immobilière continue de peser sur les revenus des ménages, l’emploi et la consommation. L’achat immobilier a longtemps été vu en Chine comme une forme d’assurance-retraite de substitution. Mais avec des prix en baisse, il devient nécessaire de compenser par une augmentation de l’épargne de précaution.

Une urgence stratégique

Or, avec l’hostilité croissante de Washington, Pékin a entamé un tournant de politique économique, faisant du soutien à la demande intérieure une priorité. Dans ces conditions, le règlement de la crise immobilière est devenu également une urgence. Une initiative forte devrait être annoncée ce mois-ci : le gouvernement central, et non plus les administrations locales, devrait désormais organiser, selon Bloomberg, le rachat des logements invendus pour permettre de remettre le secteur à flot.

La tâche sera néanmoins délicate et rien ne dit qu’elle pourra réellement se faire, mais, désormais, l’enjeu est de rétablir la confiance. Et vite. Car le pays est toujours menacé par la déflation. Depuis février 2025, la hausse annuelle des prix n’a pas été positive et, entre janvier et juin, les profits ont reculé de 1,8 % après une baisse de 1,1 % sur le semestre précédent.

La crise immobilière n’est pas pour rien dans cette situation : les pertes enregistrées sur le prix des appartements et le recours à l’épargne pèsent sur la demande et sur les prix. Et, dans ces conditions, les entreprises sont incapables d’imposer des prix suffisants pour être rentables. D’autant que, en parallèle, la fuite en avant gouvernementale a créé une surproduction qui fait plonger les prix de production. En juillet, ces derniers étaient à − 3,6 % sur un an et ne sont pas entrés en territoire positif depuis un an et demi.

Pékin ne cesse de faire des annonces pour tenter de relancer la demande des ménages. Après les 3 600 yuans (environ 239 euros) par an et par enfant de moins de trois ans, après les subventions aux échanges de certains produits anciens contre des produits neufs, le gouvernement vient d’annoncer que les prêts à la consommation jusqu’à 50 000 yuans (environ 5 980 euros) verront leur taux réduit d’un point, ce dernier étant pris en charge par l’État.

Mais ces mesures ne pourront être efficaces que si la crise immobilière est réellement réglée. L’état déplorable du marché laisse entendre que cela prendra du temps. Ce temps manque désormais à Pékin qui doit pouvoir renforcer l’autonomie de sa croissance sans perdre de dynamisme. La solution à cette équation est encore loin d’être trouvée.

Romaric Godin

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Asie/Proche-Orient

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...