Édition du 30 septembre 2025

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Asie/Proche-Orient

La Chine, la Syrie et les Ouïghours

La chute de Bachar al-Assad a mis fin à une alliance qui, pendant plus d’une décennie, avait vu Pékin figurer parmi les plus fervents partisans de Damas, au nom de la souveraineté et de la lutte contre le terrorisme.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/21/la-chine-la-syrie-et-les-ouighours/?jetpack_skip_subscription_popup

La Chine avait déployé tous ses efforts diplomatiques pour bloquer les résolutions critiques à l’égard du régime et légitimer sa répression, se présentant comme un acteur responsable face au chaos syrien. Aujourd’hui, face au nouveau gouvernement dirigé par Ahmed al Charaa, Pékin semble hésitant et attentiste. La raison n’est pas le manque de légitimité du nouveau régime, mais la présence de milliers de combattants ouïghours dans son armée, une réalité qui met à mal l’argumentaire de Pékin sur la sécurité intérieure comme justification des mesures répressives massives au Xinjiang (le Turkestan oriental pour les Ouïghours).

Considérant depuis des années les agissements du Parti islamique du Turkestan comme l’une des justifications les plus immédiates pour les campagnes d’internement et de surveillance de masse au Xinjiang, Pékin voit désormais les militants de ce parti devenir des acteurs officiels de la nouvelle armée syrienne. Promus aux plus hauts grades de l’armée syrienne, ces combattants représentent pour la Chine un élément qui sape sa propagande. L’intégration d’environ 3 500 hommes dans la 84e division et la nomination de certains commandants ouïghours au grade de général contredisent le discours chinois selon lequel la montée de cet extrémisme aurait été contenue et neutralisée. Au contraire, les combattants ouïghours trouvent une reconnaissance dans un État, après avoir construit des bases solides en Syrie depuis 2012. Cette évolution montre comment la politique de Pékin a produit une radicalisation et une diaspora militante, sans parvenir à en empêcher l’expansion.

La réaction de Pékin se concentre sur la scène diplomatique. Au Conseil de sécurité, elle insiste pour maintenir les sanctions contre les groupes liés au djihadisme, évitant toute ouverture envers le gouvernement de Damas qui légitimerait la présence de Ouïghours dans les forces armées. Le message est clair : sans garanties quant à l’éviction de ces combattants, la Chine n’accordera aucune normalisation ni aucun soutien à la reconstruction. Cette position se trouve toutefois affaiblie par ce qui s’est passé ces dernières années, Pékin ayant cautionné durant plus d’une décennie la pratique systématique de la violence par le régime d’Assad au nom de la stabilité. La Chine se trouve aujourd’hui contrainte de dénoncer une menace qui est en partie le résultat de ses propres choix, son soutien inconditionnel à Damas ayant laissé le champ libre à de nouvelles forces armées hostiles à Pékin. Les États-Unis, quant à eux, ont suivi une ligne contradictoire. Pendant des années, ils ont maintenu le TIP sur la liste des organisations terroristes avant d’accepter son intégration dans l’armée syrienne et d’y accorder leur soutien en vue de stabiliser la situation.

Face à ce scénario, Pékin se réfugie dans une approche qu’il qualifie de prudente, mais qui trahit en réalité une certaine faiblesse. Il maintient des contacts bilatéraux avec le nouveau gouvernement, mais sans le reconnaître pleinement. Il réaffirme son respect de la souveraineté syrienne, mais freine tout engagement économique et reporte tout investissement dans les infrastructures. La Chine évite de s’exposer, se limitant à un jeu de vetos et de pressions indirectes par l’intermédiaire de ses partenaires régionaux, tout en partageant, aux côtés de Moscou, la frustration d’avoir vu un allié renversé et remplacé par un successeur qui a intégré précisément les combattants djihadistes que les deux pays redoutaient. La Chine se retrouve ainsi à payer le prix de ses politiques génocidaires au Xinjiang et de son soutien à un boucher comme Assad.

Une autre information liée au thème du Xinjiang concerne la diffusion de documents confidentiels qui prouveraient l’implication directe de Xi Jinping dans la répression des Ouïghours. Il s’agit de trois discours internes prononcés en 2014 lors d’une visite dans la région immédiatement après l’attaque de la gare de Kunming, dans lesquels Xi demandait une campagne de « frappes lourdes et rapides » et réclamait la création d’un climat de pression constante. Ces instructions laissaient déjà entrevoir les éléments qui allaient ensuite donner forme au système des camps d’internement, au travail forcé et aux programmes d’assimilation linguistique, dans le but d’éliminer les pratiques religieuses et les identités culturelles considérées comme des menaces pour la sécurité nationale.

Les documents, analysés et rendus publics par des chercheurs, montrent qu’il ne s’agissait pas d’initiatives locales, mais de directives approuvées et promues par la direction du parti communiste. Xi Jinping allait jusqu’à décrire les Ouïghours comme des « personnes sous l’emprise de l’extrémisme religieux », dépourvues de conscience et d’humanité, légitimant ainsi la logique de la rééducation forcée. D’autres dirigeants, tels que Li Keqiang et Chen Quanguo, réaffirmaient la nécessité de détruire les racines, les liens générationnels et les attaches, considérant la culture ouïghoure comme un ennemi à séparer et à anéantir. Ces documents confirment donc l’existence d’un plan systématique décidé au plus haut niveau et conçu pour durer dans le temps.

Andrea Ferrario
https://www.facebook.com/andrea.ferrario.125
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde

https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76254

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