Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique latine

Fièvre électorale au Venezuela bolivarien

Un scrutin présidentiel sous haute tension

En cette toute fin de campagne électorale, la tension et la fièvre sont palpables à Caracas, tant vus d’ici les enjeux de cette élection paraissent déterminants et tant on en note les signes partout.

Accrochées aux grands édifices du centre de Caracas, les gigantesques affiches des deux principaux candidats en lice répètent à l’envi leurs slogans de campagne : « Henrique Capriles Rodansky : le chemin » ; Hugo Chavez : coeur de ma patrie ».

Dans le centre historique, tenu par les partisans de Hugo Chavez, se sont multipliés « les pôles rouges », sortes de stands improvisés où les militants du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) distribuent au rythme de salsas ou merengues, tracts et affiches, ou encore organisent des séances d’écoutes collectives d’émissions de télévision « chavistes ».

Dans d’autres quartiers plus aisés, comme vers « Plaza Francia », on note plutôt la présence des partisans de la MUD (Table d’unité démocratique de Henrique Capriles Radonsky) dont les affiches bigarrent les fenêtres de hautes tours d’habitation.

Dimanche, Henrique Capriles Radonsky clôturait sa campagne, en emplissant de centaines de milliers de partisans, la grande avenue Bolivar de Caracas aux cris de « Chavez en panne, il te reste une semaine ». Et jeudi c’était au tour des « chavistes » d’occuper les 7 grandes avenues du centre ville, à la manière d’une ultime démonstration de force où se sont retrouvés là aussi des centaines de milliers de manifestants.

Symptômes d’une polarisation évidente de la société entière et d’une fébrilité qui a gagné jusqu’au camp gouvernemental.

L’écart se ressère

Car si la plupart des derniers sondages d’opinion donnent Hugo Chavez en tête des intentions de vote avec entre 10 et 15% d’avance, il n’en reste pas moins encore un nombre important d’indécis (autour de 20%), et plusieurs indices laissent croire que dans les derniers jours l’écart pourrait se ressérer entre les deux principaux candidats. D’où la montée de l’inquiétude et de scénarios catastrophes dans les deux camps : celui de Hugo Chavez craignant qu’on lui affaiblisse ou conteste sa victoire ; celui de Capriles Radonsky qu’on la lui dérobe par la fraude.

Il faut dire que les enjeux sont de taille. Car au-delà des présentations caricaturales de la presse sensationaliste (le mince, jeune et plein d’avenir Capriles Radonsky faisant face au gros, vieux et malade Chavez), ces deux candidats incarnent deux projets de société aux antipodes l’un de l’autre.

Il est vrai que le candidat de la MUD (40 ans), leader d’une organisation politique clairement marquée à droite « Primero Justicia », s’est doté depuis quelques mois d’un discours séduisant, cherchant à se présenter comme un adepte de l’ex Président brésilien Lula da Silva, reconnaissant au passage la valeur des « missions » sociales (en santé, éducation et logement) mises en place par Chavez et pointant du doigt avec habilité les failles de la gestion gouvernementale de son adversaire, notammant au niveau de la perpétuation de la violence urbaine et de l’insécurité. Il est vrai aussi qu’Hugo Chavez (58 ans) a été touché par un cancer sévère ainsi que par une récente récidive en février dernier, et qu’en postulant à un troisième mandat de 6 ans, après 13 ans à la présidence, il n’échappe pas à une certaine usure du pouvoir.

Deux conceptions de la société différentes

Il n’en demeure pas moins –comme le fait remarquer Victor Alvarez, économiste au Centre International Miranda– que ces deux candidats incarnent « deux conceptions de la société totalement différentes ». Alors qu’avec le Président Chavez, « il s’agit de développer les pouvoirs publics et l’intervention de l’État », avec Capriles Radonsky, il s’agit de « renforcer les mécanismes du marché ». C’est ainsi que s’il était élu, ce dernier, en tant que représentant de la MUD, en finirait selon lui « avec le contrôle des changes » tout comme « avec le contrôle des prix affectant certains produits de base ainsi que les taux d’intérêts offerts par les banques » ; ensemble de mécanismes que le gouvernement Chavez avait institués pour protéger le pouvoir d’achat des secteurs populaires, et non sans succès !

C’est là sans doute un des enjeux de fond de ces élections : les politiques de redistribution sociale de la rente pétrolière et les orientations anti néolibérales prises par Hugo Chavez depuis 1999 ont permis de modifier en profondeur les conditions de vie des classes populaires et des secteurs les plus défavorisés du Venezuela. À preuve le fait que le taux de pauvreté ait été ramené de 49 % qu’il était en 1999 à 27,4%% en 2011 et que celui de l’extrême pauvreté soit passé de 21 % à 7,3%.

Ces indéniables acquis pourront-ils être ou non maintenus après le 7 octobre, et qui plus est servir d’exemples à d’autres pays latino-américains en proie au mal développement ou aux diktats néolibéraux ? Ce n’est pas une mince question et elle se trouve au cœur de ce scrutin ; un scrutin dont on comprend ainsi qu’il puisse susciter ici –à la veille du 7 octobre— tant d’appréhension et de passion.


Manifestation monstre de fin de campagne pour Hugo Chavez

Le pari lancé par la coordination de campagne de Chavez (le commando Carobobo) était d’occuper, le jeudi 5 octobre, les 7 plus grandes avenues du centre ville de Caracas. Et il a été gagné. Dès midi, les rues de centre ville étaient envahies par des myriades de partisans portant tee shirts et casquettes rouges et arborant drapeaux ou affiches à l’effigie de Chavez : des jeunes surtout, mais aussi des fonctionnaires des principaux ministères et bien sûr des supporters venus par autobus du pays entier. Malgré une pluie torrentielle qui s’est abattue sur les manifestants massés au centre ville pendant plus d’une demie heure, Hugo Chavez a longuement harangué la foule, rappelant que « la vie du Venezuela était en jeu » et que « cette marée chaviste » devait se transformer le 7 octobre en « une avalanche de votes (…) en étant prête à défendre la victoire du peuple devant quelque prétention que ce soit de la bourgeoisie de refuser la victoire du peuple ».


Caracas, le 5 octobre

Pierre Mouterde

Auteur (avec Patrick Guillaudat) de Hugo Chavez et la révolution bolivarienne, Promesses et défis d’un processus de changement social, Éditions M, Montréal, octobre 2012.

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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