Édition du 23 avril 2024

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Textes et introduction pour une réflexion

France. Face à un Hollande « schröderisé », « que faire » ?

François Hollande lors de sa visite à Dijon, les 11 et 12 mars 2013, pour tenter de « renouer le contact avec les Français », a reçu en plein front l’interrogation d’un syndicaliste : « Elles sont où vos promesses ? » Le service d’ordre l’a prestement fait taire et l’a embarqué, sans ménagement. Le « plan com’ » ne devait pas être bousculé. Or, de ce « nouveau concept de déplacement », il n’est resté que cela, en termes d’images ! Plus qu’un symbole. La relative faiblesse des manifestations du 1er mai 2013 ne peut être détachée de cette expression de désarroi, produit « d’une attente vague, même sceptique », mais qui n’empêche pas un désappointement qui se mélange à une colère qui cherche ses modes d’expression.

De fait, il n’y a là rien d’étonnant. Aucun doute ne pouvait exister sur la politique d’une présidence Hollande et de son gouvernement, du moins pour ceux qui examinent, sur la durée, les mutations sociologiques des « sommets » – ainsi que celles des étages moins élevés – de la social-démocratie européenne. De manière résumée, un peu stylisée – donc ne prenant pas en compte les caractéristiques nationales – on peut tracer la trajectoire suivante. Le mouvement ouvrier organisé (massif) d’avant 1914 connut un processus de bureaucratisation interne qui se vérifiait déjà avant 1914. Il fut bien perçu par Rosa Luxemburg. Un processus complexe renvoyant à des facteurs multiples aussi bien propres à la division du travail qu’aux conquêtes locales et régionales en termes institutionnels et légaux et à la défense de la « forteresse organisationnelle » qu’il faut protéger face aux dangers d’une attaque de la droite en cas de « désordres ». Un Paul Brousse (1844-1912) ne fondait-il pas son « possibilisme » sur le « municipalisme », la recherche d’une base sociale plus large en direction de l’artisanat et des professions libérales et sa conversion au « républicanisme », en cette fin du XIXe siècle colonial français. Une sorte d’anticipation idéologico-politique. Ce processus de bureaucratisation « interne » au « mouvement ouvrier organisé » s’est développé suite à son extension parlementaire (voir, par exemple, l’ouvrage de Ralph Miliband : Parliamentary socialism. A Study in the Politics of Labour, 1961) et à une intégration dans les appareils d’Etat et aux mécanismes multiples de « gestion paritaire ».

A cela s’est ajoutée, au travers des diverses « étatisations » d’entreprises, une jonction plus organique avec le monde patronal. Elle s’est accentuée avec les dénationalisations qui furent l’occasion d’un recyclage de cadres issus de la social-démocratie. La cogestion (Mitbestimmung) à l’allemande participe de la même transformation : voir le cas exemplaire de Peter Hartz. Ce chef du personnel de Volkswagen AG, membre du SPD et du puissant syndicat IGM, pilota les contre-réformes applaudies par la presse de droite (Handelsblatt, FAZ) aux côtés du chancelier social-démocrate Gerhard Schröder. Ce dernier fit culminer sa carrière professionnelle à la direction du géant gazier « poutinien » Gazprom. Des fractions significatives des directions gestionnaires social-démocrates sont donc devenues membres des cercles patronaux (ou les côtoyaient de très près pour des raisons dites fonctionnelles) et d’institutions internationales telles que l’OMC (Pascal Lamy), sans même mentionner l’OTAN : de Paul-Henri Spaak, le « socialiste » belge, secrétaire général de 1957 à 1961, à Javier Solana du PSOE qui occupa la même fonction de 1995 à 1999. La trajectoire d’un DSK est emblématique et connue : du Cercle des industriels lancé avec le PDG de Renault Raymond Lévy – où étaient représentées les principales firmes françaises – à la direction du FMI.

Mais certains oublient que si Martine Aubry accompagne Hollande en Chine au mois d’avril 2013 – avec une délégation patronale significative – elle avait travaillé de 1989 à 1991 chez Pechiney. Elle y occupait un poste de direction (au 3e rang), sous la protection de Jean Gandois qu’elle « admire ». Ce dernier deviendra président du CNPF (Conseil national du patronat français), ancêtre du MEDEF. Ses liens avec Antoine Riboud (patron de Danone) et Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain) ne sont pas un secret. Son expérience de la « gestion syndicale », depuis sa position de négociatrice chez Pechiney, traduit cette synthèse entre l’ENA (Ecole nationale d’administration), l’industrie et le patronat, le PS ainsi que, dans la foulée, le Ministère de l’emploi et de la solidarité. Ce genre de trajectoire forge une sorte « d’habitus de classe » au sein du noyau dur de la social-démocratie, qui se greffe sur une histoire mais en transforme les traits constitutifs. Voilà le soubassement socio-matériel dudit social-libéralisme. Ce n’est pas une « dérive » idéologique ou politique. C’est une mise en concordance entre un cumul d’évolutions, de métamorphoses et leur expression politico-idéologique, avec ses conséquences, y compris, en termes de type de « mobilisations électorales des couches populaires », de fait dévalorisées.

Dès lors, sont peu opératoires, si ce n’est trompeuses, les analogies tirées des années trente ou cinquante, pour définir une orientation en direction des partis de la social-démocratie, en tant que tels, et des appareils syndicaux qui lui sont attachés de la part des forces syndicales « de combat » et les forces de la « gauche radicale », dans ses diverses nuances. Cela pour aborder les tâches stratégiques et même tactiques de la période présente. Ce d’autant plus que les rapports de continuité organisée entre le salariat et le « mouvement ouvrier historique » ont profondément changé, pour utiliser un euphémisme.

Il n’en découle pas, ni logiquement ni physiologiquement, qu’il ne faille pas savoir être fort sensible et activement concret pour stimuler et participer à des initiatives d’unité d’action sur des revendications démocratiques (importantes aujourd’hui), sociales et politiques fortement ressenties dans des conjonctures données. Comme c’est le cas en France où la crise sociale et celle du régime sont intriquées et où la droite dure cherche à occuper le terrain de la « rue ». Dans ce contexte, la mobilisation du 5 mai – lancée par Jean-Luc Mélenchon – peut prendre un certain relief. Ne pas en être pleinement partie prenante serait faire montre d’une myopie sociale et politique sur les caractéristiques de la conjoncture politique. Certes, cette myopie peut toujours être « corrigée » – dans le discours – par des verres correcteurs « programmatiques », mal façonnés, mettant au premier rang les écarts programmatiques effectifs avec le Front de Gauche (FdG) que ce soit sur la politique du PCF (une composante notable du FdG), les références institutionnelles à une VIe République et la référence citoyenne appuyée qui peut être aisément noyée demain dans une orientation a-classiste, sans parler d’un Mélenchon qui s’autoproclame potentiel « premier ministre ». Au fond une stratégie qui laisse présager une continuité – largement surfaite – avec une histoire du mouvement ouvrier et politique français, sans en appréhender les éléments forts de discontinuité.

Une politique d’unité d’action – et non pas de « front unique ouvrier » ayant les accents des années 1920 ou 1930 ou 1950 qui suppose une structuration d’un autre mouvement ouvrier – ne peut se faire sans un travail politique, sur la durée, de « reconquête », en syntonie avec ce qui se passe dans diverses luttes, d’une identité de classe qui s’assume. Mais tout autant, si ce n’est plus, un travail patient d’existence politique dans des « espaces sociaux » désertés par « la gauche ». Et cela ne renvoie pas seulement aux « quartiers périphériques », mais aussi à des lieux divers des activités d’un salariat que toutes les politiques managériales et d’austérité (des coupes sociales au chômage et à la précarité) tendent à « désorganiser » avec des formes nouvelles. Ce qui n’implique pas que des traits d’une désorganisation n’aient pas fait leur œuvre dans le passé, mais cela se produisait dans un contexte national et international différent et un autre type de crise du capitalisme (sans même insister sur les impacts multiples de la mondialisation présente de l’armée de réserve industrielle).

Une conflictualité se loge dans ces « espaces désertifiés » (plus ou moins), avec toutes ses ambiguïtés. Mais elle n’est pas souvent (ou très rarement) synchrone avec les initiatives politico-institutionnelles de la gauche « reconnue ». C’est une des difficultés majeures de la période. Sans la saisir, la cible première des initiatives politiques « à gauche du PS » devient, de fait, « l’électorat du PS » (déçu), ou, au mieux, ce qui est appelé « la base PS », difficile à localiser, à l’exception des « sondages d’opinion ».

C’est, selon nous, une des questions sous-jacentes au débat qui traverse la « gauche radicale » en France, que ce soit au sein des secteurs du Front de Gauche ou du NPA. Il est difficile d’en juger la pertinence de l’extérieur. Même si nous partageons l’option générale du NPA telle qu’exprimée dans le premier texte publié ci-dessous, nous pensons utile de publier un texte – qui a son intérêt – produit mi-avril par le courant Militant du Front de gauche. Enfin, nous publions avec retard la déclaration issue d’une réunion internationale du « syndicalisme de lutte » organisée par la CGT (Etat espagnol), l’Union syndicale Solidaires (France) et Conlutas (Brésil), une initiative des plus importantes, à laquelle nous avons assisté. (CAU)

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