Tiré du site de Human Rights Watch.
Le rapport de 37 pages, intitulé « "Kill Those Criminals" : Security Forces’ Violations in Kenya’s August 2017 Elections » (« Tuez ces criminels : Violations commises par les forces de sécurité lors de l’élection d’août 2017 au Kenya »), rassemble des informations sur le recours excessif à la force de la part des policiers, et dans certains cas d’autres agents de sécurité, à l’encontre des manifestants et des habitants de certains bastions de l’opposition à Nairobi, suite aux élections.
Les chercheurs ont constaté qu’en dépit du comportement approprié de la police dans certains cas, ses agents ont dans plusieurs autres cas tiré sur les manifestants, ou les ont frappé jusqu’à les tuer. D’autres victimes sont mortes asphyxiées d’avoir inhalé du gaz lacrymogène ou du spray au poivre, après avoir été touchées par des tir de grenades lacrymogènes à bout portant, ou parce qu’elles ont été piétinées par la foule qui s’enfuyait.
La police est directement impliquée dans la mort d’au moins 33 personnes, selon les conclusions des chercheurs. 17 autres auraient été tuées, la plupart à Kawangware, mais les chercheurs n’ont pas été en mesure de confirmer ces cas. Les autorités kényanes devraient s’assurer de toute urgence que les responsables d’un usage illégal de la force doivent rendre des comptes, et que les policiers obéissent au droit et aux normes internationales relatives au recours à la force, pendant la période du nouveau scrutin à venir.
« Des dizaines de gens ont été tués, et beaucoup d’autres ont subi des blessures qui auront des conséquences à vie, lors des attaques perpétrées par la police contre les partisans de l’opposition », a déclaré Michelle Kagari, directrice régionale adjointe pour l’Afrique de l’Est, la Corne et les Grands Lacs chez Amnesty International. « Cet usage meurtrier d’une force excessive est devenu la marque de fabrique des opérations policières au Kenya, et il faut y mettre un terme définitif avant que les prochaines élections aient lieu. »
Les chercheurs d’Amnesty International et de Human Rights Watch ont interviewé 151 victimes, témoins, défenseurs des droits humains, travailleurs humanitaires et policiers dans les quartiers modestes de Nairobi connus pour être des bastions des partisans de l’opposition. En amont du scrutin, la police avait identifié beaucoup de ces quartiers comme « points chauds » susceptibles d’être le théâtre de violences, et avaient déployé massivement ses forces, renforçant les tensions.
Une précédente enquête menée par Human Rights Watch avait rassemblé des informations sur 12 meurtres perpétrés par la police au cours de manifestations dans l’ouest du Kenya. La Commission nationale des droits de l’Homme du Kenya a enquêté sur 37 décès, dont cinq qui s’ajoutent aux 33 cas analysés ici. En les additionnant aux 17 autres personnes présumées assassinées par la police, le bilan à l’échelle national pourrait atteindre 67 morts.
Dans les jours qui ont suivi le scrutin, les partisans de l’opposition sont descendus dans la rue dans certains quartiers de la capitale, pour protester contre des fraudes au cours de l’élection à l’issue de laquelle le président en exercice Uhuru Kenyatta a été déclaré vainqueur. Le 1er septembre, la Cour Suprême a annulé ces résultats et ordonné la tenue d’un nouveau scrutin dans un délai de 60 jours. Ce dernier est prévu le 26 octobre, mais le retrait du candidat de l’opposition Raila Odinga le 10 octobre entraîne des incertitudes sur ce nouveau vote.
Les chercheurs ont constaté que des policiers armés – dont la plupart appartenaient à l’Unité des Services Généraux (General Service Unit - GSU) et à la Police Administrative (Administration Police - AP) – ont mené des opérations de maintien de l’ordre dans les quartiers de Mathare, Kibera, Babadogo, Dandora, Korogocho, Kariobangi, et Kawangware à Nairobi entre le 9 et le 13 août. Ils ont tiré directement sur certains manifestants et ont également ouvert le feu sur la foule dans certaines circonstances, apparemment à l’aveugle. Des victimes et des témoins ont raconté aux chercheurs qu’alors que les manifestants s’enfuyaient, des policiers les ont poursuivis, ont enfoncé des portes à coups de pied et pourchassé des gens jusque dans les ruelles, tirant sur beaucoup de gens et en battant de nombreux autres à mort.
Dans l’un de ces cas, une petite fille de 9 ans, Stephanie Moraa Nyarangi, a été abattue alors qu’elle se tenait sur balcon de l’appartement familial. Dans un autre cas, Jeremiah Maranga, un garde de sécurité âgé de 50 ans, a été battu si violemment par la police que son corps était trempé de sang. Il est mort un peu plus tard. Un autre incident a vu Lilian Khavere, une femme de ménage enceinte de huit mois, piétinée à mort par la foule qui s’enfuyait après qu’elle se soit évanouie parce qu’elle avait inhale du gaz lacrymogène.
Dans ces quartiers, la police a aussi essayé d’empêcher les journalistes et les défenseurs des droits humains de signaler les violations, ont constaté les deux organisations. Dans un cas à Kibera, un agent de police a brisé l’appareil d’un journaliste étranger qui essayait de photographier des policiers en train de frapper un jeune militant. Les policiers ont également battu un activiste local et fracassé son appareil alors qu’il tentait de les filmer à Mathare.
Les deux organisations ont écrit à l’Inspecteur Général de la Police pour présenter en détail leurs conclusions et demander un rendez-vous, mais n’ont reçu aucune réponse. Elles ont également fait de nombreuses demandes d’interviews au porte-parole de la police, qui ont toutes été refusées.
« Les autorités kényanes devraient reconnaître publiquement ces violations, mener une enquête rapide, impartiale, exhaustive et transparente, et prendre les mesures nécessaires dans le cadre de la loi pour que les responsables rendent compte de leurs actes, une étape essentielle pour que les victimes accèdent à la justice », a déclaré Otsieno Namwaya, chercheur au sein de la division Afrique chez Human Rights Watch. « Des policiers ont agressé des partisans de l’opposition et ont ensuite tenté d’étouffer ces affaires. Les autorités devraient s’assurer que ce type de recours arbitraire et abusif à la force de la part de la police ne se reproduise pas lors du nouveau scrutin. »
Exemples d’incidents mortels
Thomas Odhiambo Okul, 26 ans, est mort après que la police lui ait tiré dessus dans une ruelle juste devant le portail de sa maison. Un proche a déclaré aux chercheurs que Thomas était sorti de chez lui pour voir ce qui se passait. Peu de temps après, alors qu’il regagnait sa maison en courant, il a été abattu.
Bernard Okoth Odoyo, 25 ans, charpentier, et Victor Okoth Obondo alias Agwambo, 24 ans, des amis proches qui étaient voisins, ont tous deux reçu une balle dans le dos à Mathare le 13 août alors qu’ils tentaient de fuir la police, et sont morts sur le coup.
Raphael Ayieko, 17 ans, son voisin et ami proche Privel Ochieng Ameso, 18 ans, ainsi que Shady Omondi Juma, 18 ans, ont été abattus par la police à Babadogo le 11 août. Selon des témoins oculaires, un policier a poussé Raphaël contre un mur et lui a tiré dessus. Shady a reçu une balle dans la poitrine et Privel s’est fait tirer dans le dos alors qu’il tentait de s’échapper.
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