Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

L’indépendance et les leçons de la Catalogne

La conférence-débat organisée par le Oui Québec concernant les observations faites en Catalogne par les délégations des différents partis se réclamant de la souveraineté a attiré environ une centaine de personnes, dimanche le 22 novembre au pavillon des sciences de l’UQAM. On y décelait cependant peu de jeunes, et peu de représentation des mouvements sociaux.

Au-delà de l’exercice d’observation de la réalité Catalane, ce sont les conclusions apportées par les différents panélistes par rapport à la situation au Québec qui ont été révélatrices. On versait souvent dans le discours abstrait d’appel à l’unité des souverainistes comme l’a fait le représentant du PQ Daniel Turp. Il a mis l’emphase sur l’importance de se rassembler et de mettre ensemble les forces des partis souverainistes. Il a lancé l’appel au dialogue et convié au rapprochement des courants de gauche, de droite et du centre.

Tout cela avec un discours ayant comme toile de fond la promotion d’une grande coalition des partis souverainistes qui ne parleraient pas de leur programme spécifique mais des bénéfices de la souveraineté. Dans le contexte actuel, cela ne peut que reproduire l’idée dominante dans la société québécoise qui est celle propagée par le PQ depuis des décennies et surtout l’application désastreuse au niveau social et identitaire qu’elle en a faite. Cette façon d’agir a pour conséquence de museler les partis alternatifs comme Québec solidaire qui propose une vision différente de construire la société québécoise basée sur des valeurs égalitaires, seule façon de convaincre la population d’adhérer à la souveraineté.

Pire encore, ce débat sert d’opération de camouflage pour le PQ qui tente d’effacer les politiques d’austérité qu’il a appliquées lorsqu’il était au pouvoir, son refus d’intégrer les revendications démocratiques élémentaires au niveau du vote proportionnel, et la stratégie strictement électoraliste qu’il a menée avec la charte des valeurs qui a ostracisé la communauté musulmane et particulièrement les femmes. Ce geste posé par le PQ dans le but de gagner le pouvoir a sabordé son option référendaire pour des années. C’était un choix conscient, il a ainsi fait la démonstration que ce parti est un parti de pouvoir. Bernard Drainville, faut-il le répéter, avait lui-même affirmé qu’il ne serait pas possible de tenir un référendum avant un deuxième mandat, et pour cause. Alors de quoi parle-t-on au juste ?

Dans ce contexte, tout ce débat autour des alliances et de la souveraineté, surtout en 2018, avait un air surréaliste. On sentait beaucoup plus une volonté du PQ d’effacer l’ardoise et de se refaire une virginité. Promouvoir la possibilité d’alliance avec QS lui est très utile à cet égard parce que ça lui permet de paraître progressiste, le but principal n’étant pas tant de s’allier avec QS. Julien Gaudreau, représentant d’Option Nationale a quant à lui été clair sur le véritable objectif, lequel a reçu l’appui enthousiaste de Daniel Turp. Selon lui, la prochaine élection sera l’occasion de faire l’indépendance et d’élire le gouvernement pour y arriver : « Est-ce qu’on est capables de s’entendre sur le momentum ? On s’en va vraiment faire l’indépendance en 2018, ce sera une élection historique, il faut s’entendre sur notre intention ferme de faire l’indépendance. »

Daniel Turp a ajouté : « Faire indépendance en 2018, il faut que ce soit l’enjeu, il faut trouver comment faire les choses différemment, étant donné qu’on n’a pas la proportionnelle (que le PQ a retiré de son programme en 2009). Alors il faut être imaginatif pour trouver, il me semble que l’indépendance nous unit. » À cet égard il a remis en question la décision de la CUP (1) de ne pas joindre la coalition Catalane et affirmé que cela aurait été meilleur pour la souveraineté, aurait pu donner plus de votes et plus de députés.

Alexandre Leduc qui représentait Québec solidaire, a été le seul panéliste (du Québec) à parler du fond de la question. Il a démontré que l’apport de la CUP avait permis un débat enrichi et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une coalition électorale pour augmenter la ferveur souverainiste. En effet les résultats électoraux démontrent que l’alliance de la CDC (2) et de l’ERC (3) n’a fait augmenter que de façon très minime le nombre de votes qu’ils avaient eu séparément en 2012, soit 12 340 de plus. ERC avait ainsi obtenu 496 292 votes et CDC 1 112 341 pour un total de 1 608 633. La CUP à elle seule a connu une progression de 210 156 voix par rapport aux 126 219 votes récoltés en 2012. (4)

En termes de contenu, il a indiqué qu’une campagne pour la souveraineté ne doit pas tomber dans la promotion des valeurs identitaires comme ce fut le cas lors de la dernière campagne électorale. Il a également soutenu qu’il est possible de faire une campagne pour indépendance avec un contenu progressiste, c’est ce qu’il a constaté autant en Écosse qu’en Catalogne. À titre d’exemple, il a cité le livre d’Aurélie Lanctot qui démontre que les femmes sont les premières touchées par les mesures d’austérité. Il a indiqué que la promotion de l’indépendance doit se baser sur des préoccupations concrètes comme dans ce cas-ci démontrer que c’est aussi une lutte contre l’austérité.

L’avocate, analyste politique et ex-députée catalane issue de la formation Esquerra Republicana de Catalunya (ERC – Gauche républicaine de Catalogne),Gemma Calvet a conclu en disant que l’indépendance n’est pas un objectif mais un moyen.

Notes

(1) Candidatura d’unitat popular (CUP) : Le parti de la gauche radicale

(2) Convergencia democratica de Catalunya (CDC) : parti autonomiste de centre droit au pouvoir de manière presque ininterrompue depuis le retour de la démocratie.

(3) Esquerra republicana de Catalunya (ERC) : La gauche républicaine de Catalogne est le parti historique des indépendantistes, au pouvoir lors du coup d’État de Franco en 1936.

(4) Données fournies par Alexandre Leduc

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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