Le nom officiel à rallonge de ce parti indique son histoire et son profil. Il est né en 1989 comme une alliance électorale entre trois organisations de gauche radicale : Parti Communiste du Danemark (très minoritaire depuis une scission de type eurocommuniste en 1959, le Parti Socialiste Populaire), les Socialistes de Gauche (scission de gauche du Parti Socialiste Populaire de la formée en 1969) et le Parti Socialiste des Travailleurs (section de la 4ème Internationale-Secrétariat Unifié comme l’était la LCR en France). La liste électorale commune s’est pérennisée et devenue un parti intégré dans le temps. Le caractère mouvement ouvrier/écologique est souligné par la suite de son nom.
Ce parti a gagné une indéniable visibilité de par son insertion dans les luttes, une politique unitaire, une pratique de front unique conjuguée avec une orientation radicale. Cela s’est traduit avec l’évolution de ses scores électoraux et du nombre d’adhérents. Lors des élections législatives de 2015, l’ARV a atteint son plus haut score (8% et 14 députés sur 179 avec un système proportionnel, et devenant le deuxième parti de gauche du pays après les sociaux-démocrates), les adhésions ont atteint quasiment le chiffre de 10.000, là aussi un nouveau record dans un pays de 6 millions d’habitants.
Cela a été atteint alors que ce parti était confronté à une situation institutionnelle difficile lors de la mandature précédente : en raison du système électoral proportionnel, le maintien de la coalition gouvernementale de gauche tenait au soutien extérieur de l’ARV. Celui-ci a négocié des mesures sociales et a voté les premiers budgets puis a retiré son soutien. Actuellement, l’ARV est très impliquée dans la campagne de refus des coupes austéritaires dans les municipalités et n’hésite pas à agir en commun avec des maires de droite sur ses bases pour mettre en crise le gouvernement de droite.
Le profil des organisations étrangères invitées étaient révélateurs de sa visibilité en tant que parti d’opposition de gauche à la social-démocratie et devenu incontournable. Par exemple, parmi les organisations scandinaves étaient présents des partis participant comme partenaires de gauche à des gouvernements dirigés par les sociaux-démocrates, mais également des partis refusant cette option.
Il faut enfin noter que l’ARV évolue dans une société encore largement structurée par les organisations de la classe ouvrière (syndicats, associations, partis…), la décomposition politique et ses symptômes tel que le fétichisme anti-institutionnel ou la croyance dans des postures de sauveurs. Cela se retrouve dans les pratiques de l’ARV. Ainsi, ses porte-paroles sont des femmes trentenaires avec une rotation régulière pour ces postes (le congrès 2016 a été le théâtre d’une transition de porte-paroles).
Le congrès a largement ouvert ses travaux aux nombreux représentants d’organisations étrangères d’Europe, du Proche-Orient et d’Afrique, avec quatre interventions à différents moments du débat plénier (discours de Podemos, de Die Linke, du syndicat RMT pour un Brexit de gauche et du Parti de gauche suédois) ainsi qu’à des représentants associatifs danois. Ainsi, un représentant de petits employeurs a défendu les propositions anti-austérité de l’ARV. Un temps fort fut l’intervention d’une représentante d’une association de femmes issues des minorités de l’immigration insistant sur l’autonomie de leurs mobilisations, des dilemmes auxquels elles sont confrontées pour ne pas que leur combat en tant que femmes soit instrumentalisé à des fins racistes, l’intérêt d’un travail en commun sans cacher les difficultés affirmant sans détour « Nous ne sommes pas comme vous, nous avons une autre histoire. Il faut vous faire à l’idée que vous ne comprendrez pas tout, tout de suite. »… L’accueil triomphal réservé par les congressistes à ce discours fraternel mais sans concession a illustré une maturité politique certaine.
Les débats, rendus plus sereins par l’expansion du parti, peuvent porter sur des questions clivantes : voter ou non certains budgets gouvernementaux, la candidature d’une femme voilée aux législatives en 2007 (qui fut effectivement présentée mais pas élue), débat sur la prostitution ( refus de la proposition que le parti se positionne pour « l’interdiction »). Les débats de 2016 ont porté sur les alliances à avoir pour les élections européennes de 2019 (la question avait agité le parti en 2014-2015). En effet, l’ARV participait aux élections européennes dans une coalition nommée « Le mouvement populaire contre l’UE », or la croissance de l’ARV l’a rendu hégémonique en son sein. Cela a poussé l’ARV à décider de faire une liste commune avec « Le mouvement populaire contre l’UE » mais avec son apparition propre » et qu’un éventuel élu serait au nom de l’ARV avec un mandat plus large que précédemment. Il est surtout notable que ces débats, dont certains difficiles, n’ont pas ravagé le parti, ni réduit sa crédibilité, à nouveau signe d’une importante maturité politique.
Les question de l’UE et des migrants ont été au cœur des débats du congrès et des discussions spécifiques organisés en parallèle avec les représentants étrangers. La question des migrants était assez consensuelle autour de la condamnation des politiques nationales contre les migrants (très virulentes au Danemark avec un parti social-démocrate local faisant des affiches de campagne électorale appelant à réduire les droits des migrants, ce que même le PS n’a pas encore fait) et Frontex, le dispositif meurtrier de l’UE contre les migrants, ce qui faisait le lien avec le débat sur l’UE.
Au sein de l’ARV, les débats sont extrêmement polarisés sur une orientation très eurocritique dans un pays où il existe une tradition populaire de gauche anti-UE (et qui ne fait pas partie de l’eurozone). L’ARV ne défend pas seulement la sortie de l’UE mais aussi son abolition, l’UE étant perçu comme un puissant instrument antidémocratique aux mains des capitalistes danois pour réduire les standards sociaux (pris au sens large, comprenant les services publics). Dans ce contexte, les positions exprimées dans les débats spécifiques avec les représentants étrangers illustraient la diversité des orientations, mais également leurs bougés à l’ombre du désastre grec (aucun représentant de ce pays présent). L’expérience nationale par rapport à l’UE est ici déterminante. Les partis les moins enclins à prôner la rupture avec l’UE sont ceux qui font partie de l’euro et y ont connu une phase de prospérité relative/démocratisation, que cela soit l’Allemagne en tant que pays central ou l’Espagne, en tant que pays important mais néanmoins périphérique ou la Finlande. En sens inverse, pour les Danois, l’UE est vécu comme un instrument de guerre contre leur état social aux mains de leurs capitalistes locaux, leurs standards étant initialement toujours plus élevés. Il en est de même pour les deux partis norvégiens présents qui ne sont pas membres de l’UE mais pour qui l’adhésion est considérée comme une menace. Le cas de la Finlande est intéressant, puisqu’au contraire des autres pays nordiques, ce pays a connu une ère de croissance avec l’adhésion à l’UE et d’amélioration de ses standards (y compris environnementaux), la question de la sortie de l’UE y serait très minoritaire.
Evidemment, les débats ont tourné autour de l’éventualité de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement anti-austérité en Espagne. Si un consensus existait sur l’importance d’occuper le gouvernement et de développer une stratégie « adéquate », les débats ont tourné sur la question de la capacité à avoir des alliés de poids pour un tel gouvernement et l’usage de la position gouvernementale par rapport aux institutions de l’UE. Ce débat est en cours et n’est pas particulièrement fixé, y compris manifestement au sein de Podemos. Probablement favorisé par le contexte danois, mais aussi plus profondément par l’expérience grecque, une évolution plus UE-critique était sensible. Cela concernait non seulement le Brexit « de gauche » défendu par le syndicat RMT (mais auquel s’opposait résolument le représentant de Left Unity) mais également de représentants de partis ne défendant pas la sortie de l’UE (tel que Die Linke).
Au-delà de l’observation de l’ARV qui peut être considérée comme une source d’inspiration pour une politique de classe unitaire, un intérêt majeur consiste dans les débats sur l’UE entre organisations de gauche anti-austérité européennes. Logiquement, l’expérience grecque a laissé une trace indélébile sur la puissance de feu des institutions européennes, en alliance avec les principaux gouvernements européens. Tout l’enjeu est la détermination d’une stratégie commune pour éviter que ne se reproduise un nouvel écrasement d’un gouvernement anti-austérité, en prenant en compte les temporalités différentes des différents pays en raison de leur structure économique et de leurs expériences distinctes avec l’UE et avec une certitude : l’immobilisme n’est pas une option.