Édition du 26 mars 2024

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Amérique latine

Élections brésiliennes

Le grand capital contrôle plus que jamais les élections et les principaux candidats

Les élections présidentielles [octobre 2010] sont placées sous le contrôle du grand capital car le PT [Parti des travailleurs], autrefois contestataire, est aujourd’hui plus domestiqué qu’un cheval de cirque.

Les élections présidentielles [octobre 2010] sont placées sous le contrôle du grand capital car le PT [Parti des travailleurs], autrefois contestataire, est aujourd’hui plus domestiqué qu’un cheval de cirque. Le candidat de l’opposition, José Serra, appartient au toujours sûr PSDB (Parti de la social-démocratrie brésilienne), le parti responsable de la consolidation du modèle libéral-périphérique ou « néo-colonial », qui a cours dans le pays depuis le gouvernement consternant et instable du président Fernando Collor de Mello [au poste présidentiel en 1990, à l’occasion des premières élections directes à ce poste ; il sera destitué pour corruption en septembre 1992, puis déchu de ses droits civiques, ce qui ne l’a pas empêché d’être à nouveau sénateur de l’état de l’Alagoas en 2006, sous l’étiquette du Parti rénovateur travailliste brésilien !].
Delfim Neto, l’ex-tsar économique de la dictature miliatire et conseiller officieux de l’actuel président Lula, a déjà affirmé plus d’une fois que « Lula a sauvé le capitalisme au Brésil ».

Exagération. Ce que Lula, le PT et leurs alliés historiques, ont fait fut de sauver justement le modèle économique basé sur ce qu’on appelle la dictature économique et qui se traduit par le processus continu d’ouverture financière, commerciale, productive et technologique du pays.
Une autre caractéristique aberrante du moment est que les médias dominants ont déjà procédé à une espèce de présélection électorale. Aux deux candidats principaux (Dilma Rousseff pour le PT et José Serra), l’oligarchie qui contrôle les moyens de communication du pays [le groupe O Globo], a ajouté dans son panier d’élus l’éco-capitaliste Marina Silva (ex-ministre de l’environnement de Lula, candidate présidentielle du Parti Vert). Peut-être pour la récompenser de s’être bien comportée face aux maîtres de l’argent, de la terre et des pouvoirs médiatiques.

Marina Silva, dans la recherche de son image bien sage, se place en position, au cas où elle était élue, d’inclure le PT et le PSDB dans son gouvernement, afin d’être elle aussi « une bonne solution pour l’agrobusiness ». Sont bien loin les temps où les Verts se déclaraient pour l’agro-écologie.

Quiconque lit n’importe quel quotidien de grande diffusion, ou regarde les nouvelles à la TV, peut voir clairement comment ces trois candidats sont imposés. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la tentative faite ces derniers jours par des intellectuels considérés de gauche pour justifier leur soutien à Dilma Rousseff comme étant le meilleur choix pour le pays. Plus que cela, ils cherchent à souligner la grande erreur que serait ne pas soutenir le PT et ses alliés. Pour justifier le soutien à la candidate du Planalto [siège de la présidence], ils vont jusqu’à rappeler la célèbre division entre la social-démocratie et les communistes dans l’Allemagne des années trente [lorsque le PC stalinien traitait de manière absurde et politiquement suicidaire le Parti socialiste de social-fasciste, dans un contexte qui n’a strictement rien à voir avec celui existant au Brésil en 2010] qui finit par faciliter la venue au pouvoir de Hitler.

Avec le même objectif, mais sous une forme plus consistante, on peut trouver l’analyse qui glorifie le fait que l’actuel gouvernement a favorisé la réinsertion du Brésil dans l’économie mondiale au moyen d’une active politique d’intégration régionale et des alliances stratégiques avec les pays de l’hémisphère sud. Ces intellectuels citent comme exemple que la Chine est devenue notre principal partenaire commercial, suivie de l’Amérique du Sud, alors que les Etats-Unis ont passé à une modeste troisième place.

Ce type d’approche oublie que le capital cherche sa mise en valeur selon des conditions objectives de rentabilité qu’il ne faut pas confondre avec un quelconque intérêt idéologique ou politique. Outre qu’elle stimule une formidable expansion de son infrastructure économique [plan de relance se concentrant sur les infrastructures] – ce qui exige l’importation de « notre » fer, par exemple [contrôlé par la puissante firme brésilienne transnationalisée Vale] – la Chine possède un secteur diversifié de biens de consommation durables et non-durables, sous la forme d’usines délocalisées des Etats-Unis. Il y a même des analystes qui considèrent que les plus de septante mille filiales d’entreprises nord-américaines actives sur le territoire chinois, constituent une intégration productive sino-américaine qui matérialise un lien stratégique solide entre ces deux pays qui, sous de nombreux aspects, sous-tend la relation bien connue de l’Etat chinois à la dette publique du Trésor des Etats-Unis [la Banque centrale de Chine achète les Bons du Trésor des Etats-Unis].

Mais, surtout, cette analyse des intellectuels cherche à cacher notre véritable insertion dans l’économie mondiale. La présence commerciale brésilienne dans le monde se base sur le modèle agro-minéral exportateur qui a été tant critiqué par la gauche et par tous les secteurs qui défendaient la perspective de l’établissement au Brésil d’un authentique projet national de développement.
En même temps, avec notre structure productive chaque fois plus internationalisée, nous importons des machines, des équipements, des biens intermédiaires industriels, selon le bon plaisir des priorités stratégiques des maisons mères des entreprises étrangères dont les filiales sont présentes au Brésil.

Et pour financier tout cela, pour payer ces importations et les grands transferts de profits et dividendes vers les maîtres étrangers de notre économie, c’est la dévastation par l’agro-business, par les mines et les entreprises sidérurgiques, qui sont fonctionnels en exportant des produits semi-transformés.
Pour ce qui est de l’objectif important de l’intégration latino-américaine, un minimum de prudence analytique s’impose. Il ne faut pas confondre certains aspects de la diplomatie du gouvernement Lula, effectivement importants pour divers gouvernements « réformistes-révolutionnaires » de notre Amérique [Bolivie, Venezuela, Equateur], avec la totalité de notre politique extérieure.

En Amérique latine, la fureur et l’élan des multinationales brésiliennes ont déjà mis le gouvernement Lula en conflit avec des gouvernements effectivement engagés dans une transformation de leurs pays. Ce fut le cas, par exemple, du conflit entre le gouvernement équatorien et l’entreprise brésilienne de construction Noberto Odebrecht, à l’occasion de la rupture d’un barrage qu’elle avait construit dans ce pays. Le gouvernement brésilien, et ses leaders dans le Congrès, avaient fermement pris la défense des intérêts de l’entreprise [le nouveau président équatorien Rafael Correa, en 2008, avait demandé la saisie des actifs de Noberto Odebrecht pour cause de malfaçon dans la construction de la machinerie du barrage San Francisco].

Un autre exemple, c’est la politique de financement par la BNDES (Banco Nacional de Desarrollo Economico y Social – banque d’Etat) de grands projets intéressant les entreprises de construction brésiliennes. La BNDES, outre qu’elle est aujourd’hui le principal agent financier de la déprédation de la nature dans notre pays, produit le même effet en Amérique latine.

Rien que dans l’Amazonie péruvienne, il est prévu de construire six usines hydroélectriques, intéressant fortement les entreprises brésiliennes qui sont à la recherche de bonnes affaires alternatives qui échappent aux contrôles que notre politique de l’environnement peut imposer. En outre, ce sont des projets qui obéissent aux stratégies d’infrastructures élaborées pour la région par la Banque mondiale, pour servir le projet de créer des meilleures conditions pour l’exportation de produits primaires vers les économies métropolitaines.
Cette politique de la BNDES en Amérique latine ne peut pas être dissociée des obstacles que le gouvernement brésilien met à la consolidation de la Banque du Sud [proposée par Chavez du Venezuela]. L’opposition brésilienne à cette proposition d’une institution de financement importante dans notre région pour une plus grande et nécessaire intégration financière entre nos pays, est bien connue. Une telle banque échapperait à l’emprise du FMI, de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de développement, qui toutes incarnent plus que tous les intérêts des Etats-Unis.

Tout cela sans oublier de rappeler la présence des troupes brésiliennes en Haïti, ou le récent accord militaire Brésil-Etats-Unis, interrompu depuis le gouvernement Ernesto Geisel de la dictature le militaire Ernesto Geisel, qui parlait allemand, fut très proche du dictateur Catsel Branco dès 1964 et fut nommé président en 1973 ; il était très directement lié à la politique pétrolière du Brésil. Ce sont certes des politiques importantes en faveur des plus nécessiteux, des plus misérables. Mais absolument insuffisantes pour ce dont nous avons besoin : des politiques universelles et de bonne qualité en faveur de l’ensemble du peuple.
Au contraire, nous continuons d’assister à une dangereuse dégradation, dans les domaines de l’éducation, de la santé, des transports publics, de la sécurité sociale ou encore du logement populaire.
(Traduction A l’Encontre)

* Paulo Passarinho est économiste et membre du Conseil régional d’économie de Rio de Janeiro.
(24 juillet 2010)

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