Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique québécoise

Le mirage de la Convergence nationale

La question électorale

Lorsque le congrès de Québec solidaire décida de fermer la porte aux ententes électorales avec les autres partis souverainistes, il venait du même coup de reconfigurer l’espace politique québécois pour les prochaines années. Si la décision du principal parti de gauche semble désastreuse pour le projet Convergence nationale, elle aura permis de démystifier le mythe de la grande famille souverainiste. La divergence entre Québec solidaire et le Parti québécois n’aura jamais été si grande, et la tentative de rapprochement avec Option nationale aura été somme toute infructueuse.

Sur ce dernier point, la raison de l’échec du dialogue entre QS et ON réside dans le fait que ces partis étaient d’abord ouverts à s’échanger des comtés gagnables, et non à remettre en question leur identité respective. Autrement dit, les menues négociations ont été faites dans une perspective tactique et électoraliste, et non pas stratégique et politique. Objectivement, QS n’avait pas beaucoup de choses à gagner de céder Hochelaga-Maisonneuve ou une autre circonscription de l’Est de l’île de Montréal à Jean-Martin Aussant, car les futurs députés de QS seront précisément issus de ce noyau urbain, francophone et populaire. Le chef d’ON aurait pu proposer de ne pas présenter de candidats dans trois ou quatre circonscriptions « solidaires » en échange d’un coup de main pour son élection dans la citadelle montréalaise, où le PLQ, PQ et QS sont hégémoniques. Mais il n’en demeure pas moins que Jean-Martin Aussant n’a pas beaucoup de chances de se faire réélire dans la conjoncture actuelle, pour le meilleur et pour le pire.

Au fond, Québec solidaire n’a pas intérêt à viser des alliances par le marchandage de sièges, car son expansion dépendra du fait qu’il constituera une alternative réelle aux partis dominants. C’est pourquoi une position largement répandue avant le congrès, à savoir qu’il fallait continuer de critiquer ardemment le PQ tout en laissant la porte entr’ouverte à des ententes ponctuelles, est incohérente. Comment prétendre que nous sommes contre le néolibéralisme et assez forts pour exercer les plus hautes fonctions de l’État, tout en suggérant simultanément que nous avons besoin de nous allier aux gros partis pour obtenir une éventuelle « balance du pouvoir » ? Cette stratégie aurait pu donner une force à QS dans la conjoncture de l’automne 2012, car elle aurait profité de la faiblesse du PQ pour le faire « pencher à gauche ». Or, le résultat électoral a bien montré l’effet saisissant du « vote stratégique », la distorsion médiatique qui sépare les urnes de la rue, et surtout l’hégémonie péquiste sur les classes progressistes du Québec.

Le méta-péquisme

À ce titre, il faut reprendre l’idée perspicace de Benoit Renaud, qui a fourni un argument de taille dans la délibération sur les alliances électorales lors du dernier congrès. Il permet de montrer que le Nouveau Mouvement pour le Québec, qui représente une sorte de coalition souverainiste « citoyenne » et « transpartisane », cherche en fait à recréer le projet fondateur du PQ à l’extérieur de ce parti. Ce que j’ai nommé dans un article précédent le « mythe de Lévesque », désigne l’idée d’une grande alliance souverainiste, par-delà le spectre gauche-droite. C’est ainsi que doit être interprété le sens du prochain congrès de Convergence nationale : comme le PQ perd lamentablement son pouvoir de persuasion auprès des classes populaires et son leadership politique aux yeux des vrais souverainistes, certains membres (convaincus ou déçus) de ce parti essaient de sauver les meubles en « récupérant » le nouveau pluralisme partisan sous le parapluie de l’idéologie péquiste.

« Bref, l’appel du NMQ ne pose aucun diagnostic sérieux sur les raisons des échecs de 1980 et 1995 et de l’impasse dans laquelle se trouve le mouvement. Ce refus de poser les vraies questions est au cœur de la crise intermittente perpétuelle du PQ et de la multiplication des pôles de regroupement nationalistes depuis quelques années. Au fond, ce que ces groupes tentent de faire, c’est de reconstruire une grande coalition souverainiste sans contenu, donc de refaire le PQ en dehors du PQ, ce qu’on pourrait appeler du « métapéquisme ». Ces démarches ont le mérite d’irriter au plus haut point la direction du PQ qui prétend toujours incarner cette vaste coalition. Mais pour ceux et celles qui désirent renouveler le mouvement pour notre libération nationale, il s’agit d’un grand détour pour nous ramener à notre point de départ en forme de cul-de-sac. »
http://leblogueursolidaire.blogspot.ca/2013/02/linsoutenable-legerete-detre.html

Une histoire de goulags ?

Il faut notamment prendre conscience de la rhétorique de Jocelyn Desjardins, qui laisse sous-entendre que la Convergence nationale permettrait de dépasser les intérêts partisans par le fait qu’elle serait une « organisation citoyenne », l’unité souverainiste n’étant plus le monopole du PQ mais le fruit de la société civile. Dans cette perspective, Québec solidaire aurait évidemment fait preuve d’égoïsme en faisant avancer le parti avant la cause. Cette décision radicale, qui resterait prisonnière du « confort de l’utopie », nuirait au dialogue entre les différents acteurs et organisations citoyennes qui militent pour l’indépendance. À ce titre, des « progressistes » comme Antoine Robitaille, visiblement dérangé par l’infantilisme de QS, n’ont pas hésité à faire des parallèles douteux :

« Les militants de Québec solidaire veulent-ils vraiment passer de l’utopie à la réalisation concrète de leur programme ? On peut en douter lorsqu’on observe certains des choix qu’ils ont faits lors de leur congrès de la fin de semaine. À gauche, l’utopie a toujours bonne presse même si, dans le passé, elle s’est souvent muée en dystopie. Bien des enfers politiques au XXe siècle (les goulags !) étaient pavés de « bonnes » intentions révolutionnaires. »

Cette réflexion apparemment surprenante s’explique par le fait que l’intelligentsia du Devoir représente la gauche du souverainisme, le nationalisme social-libéral, qui n’hésite pas à critiquer chaque personne ou groupe qui s’écarte trop du statu quo péquiste. Attaquer le PQ, c’est attaquer le modèle québécois et les journalistes biens pensants qui le défendent coûte que coûte, ce qui explique l’emploi de termes comme goulags, utopistes, radicaux, etc. Ce qui est bon, c’est le pragmatisme, le consensus, la modération, bref la gauche de salon. De plus, ce genre d’intellectuels mettent souvent l’accent sur leur caractère a-partisan, ceux-ci prenant appui sur les syndicats et les mouvements en faveur de la souveraineté, c’est-à-dire le bloc social du PQ. Le fait de ne pas être militant d’un parti politique n’implique pas qu’on échappe au parti idéologique du souverainisme.

« Le but du principe de convergence défendu par M. Desjardins est de réunir les partis politiques, mais aussi les syndicats et les mouvements sociaux autour de la question de l’indépendance. « Pour nous, sur la question nationale, ça veut dire que la base d’une approche commune est toujours possible, peut-être pas dans une joute électorale, mais dans le cadre de mouvements citoyens. Pour nous, c’est un point de départ »
http://www.ledevoir.com/politique/quebec/377578/la-convergence-a-defaut-de-l-alliance

L’hégémonie néo-souverainiste

Sur le plan idéologique, le NMQ n’a rien à se reprocher. Il fait précisément ce que tout groupe politique essaie de faire pour convaincre la population et exercer son programme ; présenter ses intérêts particuliers comme l’expression d’une volonté générale, d’une universalité qui permettrait de dépasser la division sociale. C’est ce que Gramsci appelle l’hégémonie. Avec le congrès de Convergence nationale, le métapéquisme tente d’imposer son projet politique sur l’ensemble de la société civile, qui devrait se réunir dans une grande réforme culturelle consistant à renouveler le discours souverainiste. Les derniers États généraux sur la souveraineté, qui ont notamment décidé de rajeunir leur image en remplaçant les termes souveraineté par indépendance, constituent un exemple éloquent de cette métamorphose discursive, qui entend reprendre une vieille idée dans de nouveaux habits.

Malheureusement, la principale fonction de Convergence nationale consiste à créer des alliances entre les partis souverainistes afin que ceux-ci se partagent des sièges par des pactes, ententes bi ou tripartites, des « primaires souverainistes » ou d’autres mécanismes permettant de prendre le pouvoir aux prochaines élections. Même si elle semble une organisation citoyenne et ouverte, elle n’est pas « a-partisane », car la plupart de ses responsables et stratèges adhèrent ou proviennent majoritairement du Parti québécois. Des adeptes d’Option nationale sont également représentés dans une plus faible proportion, tandis que les quelques solidaires jadis présents se sont fait exclure progressivement par des jeux de pouvoir à l’interne.

Convergence nationale ne souhaite pas recréer un pouvoir citoyen afin de faire passer l’indépendance avant les partis ; il utilise la perspective citoyenne pour refonder le mythe souverainiste basé sur l’unité des partis. C’est pourquoi il veut absolument éviter les conflits sur la question sociale et économique (le débat gauche-droite), qui est vue comme une division inhibant la libération nationale. Or, il ne suffit pas de se débarrasser des Libéraux pour les remplacer par des Néo-libéraux nationalistes, en prétendant maintenir l’unité nationale au-dessus des conflits sociaux, des inégalités économiques et de la domination politique qui continue de s’exercer sur les mouvements citoyens. Le projet souverainiste est basé sur l’exclusion originaire de la gauche ; la majorité nationale qui fait abstraction de la division de classe suppose et renforce la mise à l’écart de la majorité sociale.

L’émergence de l’unité populaire

Nous devons donc renverser la perspective de la Convergence nationale, en remettant le processus historique sur ses pieds ; l’unité citoyenne qui a pour objet la libération nationale ne peut pas être fondée sur l’alliance des partis souverainistes, mais doit d’abord être articulée sur le plan politique par une convergence des mouvements sociaux et des luttes démocratiques : féministes, écologistes, régionalistes, urbaines, autochtones, étudiantes, pacifistes, etc. Celles-ci doivent être également associées, mais non pas dirigées (au sens léniniste du terme), par un parti politique pluraliste qui souhaite défendre réellement les intérêts du peuple québécois, c’est-à-dire de l’ensemble des classes dominées. Le peuple précède et rend possible la Nation, qui n’est qu’une abstraction dangereuse lorsqu’elle se sépare du processus concret qui la fait naître.

L’unité populaire est donc l’acteur véritable de son auto-émancipation, qui ne peut exclure la question sociale sous prétexte de la préséance d’une mythique Convergence nationale qui se limite dans les faits à des pactes électoraux entre partis souverainistes. En quoi consiste cette unité populaire ? C’est le processus par lequel les multiples mouvements sociaux s’uniront, sans nier leur réalité respective, dans un projet de libération populaire et nationale. Les minorités (sexuelles, sociales, culturelles) et les diverses luttes que défend Québec solidaire sont les moteurs de la révolution en marche, mais constituent des points de force insuffisants s’ils ne s’articulent pas dans le sens d’une émancipation sociale prenant compte du contexte québécois.

Lors de son dernier congrès, QS s’est délibérément et intuitivement écarté du mirage métapéquiste. Il a réaffirmé son projet social et sa prétention à représenter de manière plus adéquate les intérêts de la majorité populaire. Le parti a également décidé de prendre confiance en ses propres forces, de renforcer ses capacités d’action, de miser sur sa campagne politique étroitement liée à l’éducation populaire, bref il a fait preuve d’empowerment. L’hégémonie dépend de la capacité d’orienter le débat politique, d’aiguillonner le sens des luttes, et de critiquer l’idéologie dominante qui masque les intérêts particuliers sous couvert de consensus et d’universalité. Si le mouvement souverainiste a jusqu’ici étendu son hégémonie sur la question sociale, que ce soit à travers des organisations comme le PQ, ON et le NMQ, il faut maintenant recréer un nationalisme contre-hégémonique, c’est-à-dire un sentiment d’identité populaire basé sur la critique de l’ordre dominant qui écrase à la fois les minorités et la majorité sociale.

En d’autres termes, la principale tâche de la gauche consiste à étendre son hégémonie sur la question nationale, en faisant de l’indépendance le tremplin d’une réelle transformation sociale. D’où l’opposition entre deux perspectives antagonistes du « problème québécois » : convergence nationale ou unité populaire. La première approche correspond à la phase descendante du projet souverainiste et de son principal véhicule politique, le Parti québécois, tandis que la seconde a pour foyer l’ascendance historique de Québec solidaire, prenant appui sur la dynamique autocatalytique des mouvements populaires.

(tiré du site http://ekopolitica.blogspot.ca/2013/05/le-mirage-de-la-convergence-nationale.html)

8 mai 2013

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