Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Les conditions d'une nouvelle culture politique

Les appels à une nouvelle culture politique se multiplient. Il faudrait savoir faire la politique autrement. Élaine Hémond publiait récemment un tel type d’appel.[Élaine Hémond, Une nouvelle culture politique, Huffington Post, 16 juin, 2016]. Le constat était clair : « … jamais le lien de confiance entre les Québécois et leurs élus n’a été aussi ténu. Le cynisme des citoyens côtoie aujourd’hui la résignation et un vaste sentiment d’impuissance devant la paralysie du Québec depuis trop longtemps. Cette désaffection s’incarne dans une baisse du taux de participation aux élections, laquelle est encore plus marquée chez les jeunes. » Cet appel a été signé par une série de personnalités qui voient dans « la course à la chefferie au Parti québécois [et dans les orientations mises de l’avant par Véronique Hivon] une formidable occasion de contribuer à sortir le Québec de cette impasse. » [1]. Nous voulons discuter cet appel, car nous croyons que tant les analyses que les préconisations avancées pour faire face aux problèmes soulevés passent à côté de l’essentiel et sont susceptibles de semer bien des illusions.

Au-delà de la rupture du lien de confiance, un système de domination oligarchique

L’appel énumère les facteurs qui ont miné le lien de confiance envers la politique : manque d’intégrité et problèmes de corruption manifeste dans la vie politique, partisanerie excessive, mode de scrutin qui ne favorise pas une représentativité véritable des offres politiques.

Poser la question en termes de lien de confiance à restaurer passe à côté de facteurs beaucoup plus structurants. Les élu-e-s prétendent représenter les personnes qui ont voté pour eux. Pourtant la réalité du recrutement des représentant-e-s se fait essentiellement parmi les élites économiques et sociales : chefs d’entreprises, banquiers, professionnel-le-s, journalistes et artistes. Les partis politiques comptent énormément sur la notoriété de leurs candidat-e-s pour élargir leur députation. Les candidat-e-s choisis doivent donc être fortement dotée en capital économique (hauts revenus et patrimoines importants), en capital culturel (diplômation de haut niveau) et en capital social (riche réseau des relations). Les travailleurs et travailleuses et les employé-e-s qui constituent une vaste majorité de la population sont quasiment absent parmi les élu-e-s à l’Assemblée nationale. En somme, la grande majorité des élites politiques viennent de milieux privilégiés. Les élections réservent donc les charges publiques à des individus éminents et constituent ainsi une véritable procédure aristocratique. À cela s’ajoute que la représentation de genre est également faussée. À l’Assemblée nationale, la députation ne comprend qu’environ 30% de femmes. Les minorités raciales et culturelles sont aussi l’objet d’exclusion de fait. Même des partis de la gauche, aiguillonnés par la logique des succès électoraux recherchés peuvent participer de cette élimination des représentant-e-s de la majorité populaire.

Si les caractéristiques sociales des représentant-e-s politiques les éloignent de la majorité populaire, leur niveau de rémunération les éloigne également des conditions d’existence de cette majorité . Mais, cet éloignement des représentant-e-s vis-à-vis de leur électorat est approfondi par les institutions politiques elle-même. Les député-e-s n’ont pas de mandats impératifs de leur électorat. Les citoyennes et les citoyens n’ont pas le pouvoir de démettre leurs représentant-e-s. Ces deux éléments donnent aux élu-e-s une très grande indépendance vis-à-vis de leur électorat.

Ces réalités sociales et politiques qui éloignent les élu-e-s de leur base sont redoublées par le fait que la vaste majorité des élu-e-s ont dû compter sur une affiliation à des partis politiques pour mobiliser de l’argent, des experts en communication rémunérés pour s’engager dans une campagne électorale avec une chance de victoire. Les élu-e-s sont en fait très dépendant de leur engagement partisan qui demeure les protagonistes centraux des campagnes électorales et de la vie parlementaire.

De plus, le pouvoir dans les institutions politiques, au Québec comme partout ailleurs, se concentre dans les mains du premier ministre qui nomme les ministres et les hauts responsables de l’appareil d’État. L’avancement d’un-e élu-e et leur accès aux équipes ministérielles sont directement liés à la discipline dont ils vont faire preuve par rapport aux exigences des partis auxquels ils appartiennent et aux volontés du premier ministre. C’est ainsi qu’un parti au pouvoir impose une discipline qui permet au gouvernement de résister aux pressions de la population. Un bon exemple est la résistance du gouvernement Charest à la tenue d’une enquête publique sur la corruption dans l’industrie de la construction pendant plus de 15 mois alors qu’elle était largement réclamée et à hauts cris.

C’est ainsi que se met en place un véritable système oligarchique apte à défendre les intérêts de la minorité possédante. La baisse des impôts sur le capital et les hauts revenus, la tolérance pour l’évitement fiscal et les paradis fiscaux, l’utilisation des avoirs publics pour subventionner les entreprises privées, le démantèlement d’entreprises publiques pour ouvrir de nouveaux champs d’investissements sont des politiques menées systématiquement par l’élite au pouvoir en cette période néolibérale. C’est la proximité sociale et les accointances de cette élite politique avec les affairistes qui créent les bases de la collusion et de la corruption. Il n’est guère surprenant que les politiciens néolibéraux s’attaquent aux classes ouvrières et populaires et aux services sociaux souvent arrachés de hautes luttes pour favoriser la concentration de la richesse dans les sommets de la société. La criminalisation et la répression de la résistance populaire font aussi partie de l’arsenal du bloc oligarchique au pouvoir. On se souviendra de la répression féroce dont a été l’objet du mouvement étudiant lors de ses luttes contre la hausse des frais de scolarité en 2012. Un parti comme la Coalition Avenir Québec est le plus solidaire des politiques du gouvernement libéral. Si le PQ, tient un discours dans l’opposition, au pouvoir, il se range également aux desiderata de l’oligarchie.

Postures d’ouverture ne saurait suffire à surmonter la crise politique actuelle

Cette présentation rapide des bases fondamentales de la nature du lien des élu-e-s à la classe possédante permet d’apprécier le défi colossal que pose l’établissement d’une véritable démocratie citoyenne. Les pistes proposées par « l’appel à une nouvelle culture politique » restent en deçà des transformations institutionnelles qui devront être envisagées si nous voulons véritablement transformer les liens en la population et la classe politique. Que nous propose en effet l’Appel : une collaboration au-delà des lignes partisanes, la volonté des député-e-s de représenter leurs électeurs et leurs électrices avant de représenter leur parti. Ce sont là des postures qui peuvent être envisagées,mais qui ne peuvent que changer à la marge les problèmes de manque de légitimité de la députation et du gouvernement qui en est issu. Et cela est d’autant plus illusoire que l’on invite l’’ensemble des partis politiques à participer à cette œuvre de renouveau démocratique ! C’est comme inviter les incendiaires à éteindre une incendie.

Au lieu de faire des propositions concrètes sur les conditions d’un passage à une démocratie citoyenne véritable, l’appel croit qu’il suffit de supporter un nouveau type de leadership à la direction du Parti québécois. Ce nouveau type de leadership que pourrait incarner Véronique Hivon serait capable de favoriser un travail plus étroit entre les partis politiques. Dans une entrevue donnée au Cahier du socialisme, cette dernière défend une telle orientation et voit dans un travail collaboratif transpartisan dans les commissions une piste de rénovation de la vie politique. Mais dans cette même entrevue, elle ne se fait tout de même pas trop d’illusions. Dans une entrevue réalisée par Judith Trudeau (rédactrice aux Nouveaux Cahiers du socialisme à paraître [2] elle affirme : « Des députés estiment qu’ils n’ont plus rien à faire s’ils ne sont pas ministres. Les députés ministériels sont souvent réduits à des rôles d’accompagnateurs de ministre, de béni-oui-oui de ministre. Outre leur rôle dans leur circonscription qui est extrêmement important (c’est le premier rôle du député) leur rôle est réduit aux niveaux parlementaire et législatif. Ce sont des gens qui pourraient apporter beaucoup s’ils avaient une liberté de parole plus grande. »

On comprend bien, que dans les parlements il n’y a pas un véritablement relâchement de la politique partisane. La discipline de vote règne encore en maître. Les manoeuvres de déstabilisation réciproques qui marquent les périodes de questions sont révélatrices des vrais rapports entre les partis qui visent à jeter le plus possible de discrédit sur le parti de gouvernement et pour les gouvernements sur les partis d’opposition pour préparer les conditions de la prochaine joute électorale. Les expériences de collaboration entre partis apparaissent pour ce qu’ils sont vraiment, des exceptions qui confirment la règle des affrontements au sein de la classe politique.

Une véritable démocratie citoyenne exigera une rupture avec les logiques parlementaires imposées par l’oligarchie politique…

Pour évaluer les possibilités des transformations des institutions parlementaires, il faut resituer ce défi dans le cadre de la période néolibérale actuelle. Dans cette période néolibérale du capitalisme, un bloc tend à se former entre des représentants du capital financier et la classe politique. Leitao et Coiteux ont été recrutés directement dans un tel milieu. Les milieux de la grande entreprise sont dans un rapport de lobbying assidu envers les gouvernements, le journal de Dominique Lebel, Dans l’intimité du pouvoir, 2012-2014 en fournit de nombreuses illustrations. [3]. Cette proximité des milieux d’affaires et gouvernementaux est à la base de la collusion qui prend un caractère systémique.

Les partis néolibéraux sont construits pour assurer cette collaboration. Les partis politiques qui veulent s’opposer aux politiques du bloc oligarchique doivent se construire pour être en mesure de confronter le pouvoir de la minorité dominante. Soutenir que tous les partis politiques peuvent participer au renouveau démocratique, c’est se préparer à de cruelles désillusions. Et c’est bien ce qu’ont vécu les sympathisant-e-s du PQ avec les reculs à grande vitesse de ce parti sous les pressions du grand capital et des médias à leur service lorsqu’il a été au pouvoir.

Face aux partis soumis à la logique oligarchique, faire abstraction de leur réalité d’instrument de la classe dominante, c’est négliger de faire le nécessaire travail de délégitimation de leurs politiques et déconstruction systématique des discours que les médias à leur service s’empressent de répercuter. Bien sûr, il y a une tension entre la volonté de faire des gains réels (qui transforment les conditions d’existence, même si ce n’est qu’à la marge, de la majorité populaire) et ce travail de déconstruction. Mais les tactiques pour des gains ponctuels doivent s’articuler à une stratégie visant à délégitimer les partis politiques qui, dans leur organisation même, confortent la domination de l’élite dominante. Cette stratégie doit amener un parti de gauche à renforcer les conditions politiques de l’unité et de la mobilisation démocratique des mouvements sociaux antisystémiques.

Les transformations des institutions de la démocratie représentative ne seront possibles qu’en remettant radicalement en cause les rapports actuels de la majorité populaire à leurs élu-e-s. Esquissons ici quelques pistes permettant de progresser sur ce terrain :

A. Lutter pour une réforme du scrutin pour introduire un système électoral proportionnel mixte.

B. Bloquer les connivences entre les élu-e-s et les grandes entreprises du secteur public : dénoncer et interdire le pantouflage, écarter les lobbys. Pour restaurer la confiance du public, il faut écarter le contrôle des agents de la classe dominante sur les élu-e-s.

C. Assurer le contrôle de la population sur ses élu-e-s. Dans ce sens, il est nécessaire d’instaurer des mandats impératifs pour les élu-e-s, avec le devoir de rendre des comptes dans ces assemblées citoyennes et établir des mécanismes qui rendent possible la révocation des élu-e-s à partir de pétitions recueillant un quorum de signataires défini par la loi.

D. Empêcher la professionnalisation et ses conséquences en termes de coupure avec la vie de la majorité populaire, en limitant les carrières politiques dans le temps en fixant un nombre maximum de mandats.

E Permettre au peuple d’agir politiquement en démocratisant radicalement le fonctionnement des partis politiques afin que ces derniers ne deviennent pas des instruments de sélection d’une nouvelle élite politique fût-elle de gauche.

F. Assurer la présence substantielle de membres de la classe populaire parmi les candidat-e-s. Ouvriers – ouvrières et employé-e-s ont le droit de siéger à l’Assemblée nationale. Défendre la parité hommes/femmes parmi les élu-e-s à l’Assemblée nationale. Une présence des minorités culturelles ou racisées doit aussi être assurée.

Une nouvelle culture politique construite dans le cadre d’une démocratie populaire et citoyenne ne peut exiger moins.


[1Élaine Hémond, idem

[2

Véronique Hivon : peut-on faire de la politique autrement ? Entrevue à paraître dans les Nouveaux Cahiers du Socialisme - Pour lire l’entrevue, cliquez sur l’icône ci-joint

[3Dominique Lebel, Dans l’intimité du pouvoir, Journal politique, 2012-2014, Boréal, 2016

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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