Édition du 7 mai 2024

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Les gains sur les salaires ne tiendront pas à moins de lutter pour le renforcement des pouvoirs des employé-es

Option paralysée par la stratégie du Syndicat international des employés-es de services

Arun Gupta [1], counterpunch.org, 16 avril 2015,

Traduction, Alexandra Cyr

En novembre 2012, les employés-es de la restauration rapide sont descendus-es dans les rues de New-York pour réclamer des augmentations de salaire et un syndicat. Personne à ce moment-là ne pouvait imaginer le succès de ce mouvement. Depuis ce temps, les mouvements des salariés-es à bas salaires s’est installé avec la campagne « Luttez pour 15$ » (15$/hre n.d.t.). Cette campagne a poussé 11 États et de nombreuses villes à augmenter le salaire minimum. Seattle et la zone de la Baie ont ainsi pu adopter une règlementation fixant à 15$/hre le salaire minimum sur tout leur territoire. Alliée à une autre campagne, « Organisation unie pour le respect chez Wallmart », celle pour le 15$/hre à poussé des compagnies comme McDonald’s, Target et Wallmart à annoncer au début 2015 qu’elles augmenteraient leur salaire minimum pour des centaines de milliers de leurs employés-es.

Ce succès est du à énormément de choses depuis la sortie des résultats abyssaux de la crise de 2008 jusqu’au rôle d’Occupy Wall Street dans le report du dialogue national vers les inégalités. Le Syndicat international des employés-es de services (SEIU) a déclenché cette bataille en 2011. Il a consacré des dizaines de millions de dollars pour développer la vague de protestations qui entache l’image des géants de la restauration rapide.

Au fur et à mesure que la campagne se développait, elle est devenue à la fois large et étroite. Le syndicat a attaché les revendications des travailleurs-euses de la restauration à celles de leurs collègues des magasins de détail, des dépanneurs, des préposés-es dans les services à domicile, des garderies et des chargés-es de cours. En même temps, McDonald’s était directement dans la mire. Selon une source de l’intérieur du SEIU, le mot d’ordre était : « Les rouer de coups jusqu’à ce qu’ils se présentent à la table de négociation » ! Un autre organisateur nous donne les lignes de raisonnement de 2013 : « Luttez pour 15$, voulait causer tellement de problèmes à l’image et à l’action en bourse de McDonald’s que le syndicat pourrait lui dire qu’il pouvait arrêter tout ça si la compagnie acceptait d’augmenter les salaires et de permettre la syndicalisation ».

SEIU à déposé des plaintes pour des conditions de travail injustes et vol de salaire contre les franchises-es de McDonald’s auprès du National Labor Relations Board. Cette stratégie a été payante. Le NLRB a décrété en juillet 2014, qu’à titre d’employeur associé, la compagnie avait des responsabilités à cet égard. Cela a ouvert un espace pour que le syndicat concentre ses pressions sur la maison mère et ne se disperse pas auprès de ses 3,100 franchisés-es américains-es. Le syndicat a aussi porté son action outre mer. L’Union européenne a ouvert une enquête sur les pratiques d’évasion fiscale de McDonald’s. La compagnie aurait détourné plus d’un milliard de dollars de taxes. Des fédérations de travailleurs-euses du Brésil poursuivent la plus grande franchise d’Amérique latine pour manque aux paiements des salaires et des violations des règles dans ses restaurants. Dans une récente réunion de stratégie tenue avec Scott Courtney, reconnu comme le cerveau de « Luttez pour 15$ », la prochaine étape a été fixée : attaquer le statut de propriétaire terrien et immobilier de McDonald’s. Il est aussi important que ses hamburgers.

La compagnie invoquait que la campagne n’a pas eu d’effet sur ses opérations et qu’elle ne peut assumer d’augmentation de salaires. L’an dernier ses opérations internationales n’ont ni progressé ni diminué et ses profits ont un peu baissé. Donc, lorsqu’elle a annoncé le premier avril dernier qu’elle allait augmenter les salaires dans ses propres restaurants aux États-Unis, beaucoup y ont vu un effet de la campagne du SEUI. Toutefois ce n’était pas une victoire complète. Cette augmentation n’est que de 0.89 cents en moyenne qui ne concerne que 10% de ses employés-es américains-es. Certaines sources disent que McDonald’s a contacté le syndicat pour discuter d’une négociation et d’une éventuelle entente. Pendant plus de deux ans, la rumeur voulait que le SEIU soit à la recherche une alternative à la syndicalisation pure et simple et songeait à une sorte d’association de travailleurs-euses.

Cette option représente toutefois moins de droits et de protection que la syndicalisation. Cela soulève les questions qui trainent autour de la campagne depuis son déclenchement. Qu’est-ce que le SEIU considère comme son point de réussite ? J’ai demandé à un organisateur si la construction du pouvoir des travailleurs-euses était un objectif. Il m’a platement répondu : « Le but n’est pas le pouvoir ouvrier. Le but est une convention collective ».

Il est peu probable qu’une convention collective intervienne avec McDonald’s ou aucune autre compagnie de restauration rapide. Il faut que les objectifs de la campagne s’ajustent à la réalité. La lutte pour le 15$/hre est un succès remarquable pour ce qui est des augmentations de salaires. Mais tant que le pouvoir des employés-es ne sera pas renforcé, quels que soient les progrès concernant les salaires et les conditions de travail obtenus grâce aux pressions du public, à la publicité négative, aux activités de protestation dans les communautés, ils seront difficiles a conserver sans organisation sur les lieux de travail ou sans mise en réseau quelconque.

Plusieurs de ceux et celles qui se battent pour le 15$ de l’heure soulignent que SEIU est la seule grande organisation syndicale qui risque quelque chose et qui tente d’organiser les travailleurs-euses d’une industrie qui en compte des millions. Ce syndicat a réussi à en mobiliser des milliers. L’organisation des travailleurs-euses à bas salaires est une réponse au tournant néolibéral qui a infligé une défaite historique au monde syndiqué au cours des années soixante. Il y a longtemps que cela aurait du être fait. On prévoit le développement de millions de nouveaux emplois dans les secteurs de la préparation des aliments, la vente au détail et dans les aides aux soins de santé. Ils seront payés de 9$ à 12$ l’heure. Ce sont des emplois sans grands bénéfices marginaux avec des horaires irréguliers et où la tendance est au roulement de personnel. C’est la base pour la campagne « Luttez pour 15$ », pour celle dite « OUR Wallmart » et une autre plus large intitulée « 15$ maintenant » initiée par l’Alternative socialiste basée à Seattle.

Un des objectifs fondamentaux de l’organisation ouvrière est de mettre fin à la compétition entre les travailleurs-euses. Mais c’est pour ainsi dire impossible chez les employés-es qui ont peu de formation, des bas salaires, peu de droits et qui se présentent par dizaines de millions. L’approche de « Luttez pour 15$ » n’est pas orthodoxe mais elle doit tenir compte de l’histoire du mouvement ouvrier. Le syndicalisme de lutte de classe a été abandonné par les dirigeants-es des syndicats qui ont adopté la position de partenaires minoritaires dans les compagnies. C’est ce qu’a fait le SEIU chez Kaiser Permanente [2], le United Auto Workers chez les constructeurs automobiles, le syndicat des machinistes chez Boeing, et celui de la construction avec les développeurs immobiliers. Plusieurs dirigeants-es sont alliés-es du Parti démocrate alors qu’il couche avec Wall Street.

« Luttez pour 15$ » se bat pour « foutre le bordel » dans les compagnies transnationales sans se positionner dans la lutte de classes. (Peu d’organisations syndicales s’y intéressent ; c’est laissé à la responsabilité de la gauche organisée). Nous sommes plus dans une campagne de relations publiques et légaliste que dans une véritable campagne d’organisation ouvrière. Il y a des succès mais ils sont surtout saupoudrés ici et là sauf sur le secteur de la restauration rapide. Les chargés-es de cours dans les universités et collèges se sont organisés-es avec l’aide de syndicats,

spécialement SEIU. Depuis 2013 ils et elles ont enregistré plusieurs victoires. Les travailleurs-euses du secteur de la santé qui constituent à peu près la moitié des effectifs de SEIU, se battent pour le 15$/hre. C’est en même temps une réponse au jugement de la Cour Suprême de 2014 qui impose des restrictions aux syndiqués-es qui donnent des services à domicile. Il y a aussi des liens avec le mouvement « Black Lives Matters ». Cela tombe sous le sens puisque « Luttez pour 15$ » mobilise le plus grand nombre de travailleurs-euses Afro-Américains-es depuis les années soixante. Ce sont là des manifestations de solidarité et de luttes syndicales pour la justice sociale informelles, sous développées à cause des orientations données à ce combat.

Le plus étonnant résultat de la campagne pour les 15$/hre sont les campagnes qui se sont développées sur le territoire des villes pour l’augmentation du salaire minimum. Il vient de s’ouvrir là un espace d’organisation pour la gauche. Ces 15$/hre sont maintenant une réalité à Seattle. Même s’il y existe des lacunes, la plupart des travailleurs-euses à bas salaire s’attendent à en bénéficier en 2017. À San Francisco,
le local 1021 du SEIU a piloté une proposition de règlement mise aux voix qui a été décrite comme un modèle d’opération dirigée par un syndicat aux mains de ses membres. La campagne pour les 15$/hre a contribué à légitimer l’idée de l’augmentation du salaire minimum à Seattle. La plus grande contribution des membres du local du SEIU a été de faire adopter une résolution en faveur des 15$/hre au conseil municipal de SeaTac, ville de la banlieue de Seattle. Mais le gros du travail a été fait par Alternative socialiste et ses appuis internes et externes. La mesure a bénéficié d’un reportage percutant dans The Stranger, un hebdomadaire bien en vue et de l’appui du nouveau maire, Ed Murray, qui a décidé de soutenir la mesure et a créé un comité pour finaliser le projet de règlement pour le meilleur et pour le pire. « 15$ maintenant » fait campagne dans tout l’État de l’Orégon pourson adoption. Selon certaines sources les militants-es feraient face à de l’opposition de la part de certains syndicats qui ne seraient pas chauds à affronter les élus-es du Parti démocrate.
La campagne pour les 15$/hre a eu plus de succès dans les médias sociaux que dans la « vraie vie ». Un organisateur déclare que : « Le SEIU voudrait laisser l’impression dans le public qu’il s’agit d’un grand mouvement qui s’élargit et crée une crise. Il crée l’impression qu’il s’agit d’une vague ».

En fait la campagne est paralysée. La stratégie du syndicat, centrée sur les médias empêche qu’elle soit vraiment productive. L’organisateur cité plus haut ajoute : « Les travailleurs-euses ont peur de se mobiliser. Le problème le plus important est la peur. Je peux dire que moins de 4% de ceux et celles que nous avons contactés-es poursuivent la lutte. Ils vont et viennent sans cesse ». Une étude de 2005 a estimé que 23,000 employés-es ont été pénalisés-es pour des activités syndicales légitimes chaque année. Ça réduit les lois de protection des activités d’organisation syndicale dans les lieux de travail à une véritable farce.

Dans son livre, New Forms of Worker Organization, Erik Forman rend compte des difficultés rencontrées par les employés-es à la base pour se syndiquer dans le secteur de la restauration rapide. Il fait le bilan de l’expérience de l’International Workers of the World (IWW) dans les restaurants de sandwiches Jimmy John’s à Minneapolis. Le vote d’affiliation a été perdu mais les employés-es ont bénéficié de plusieurs concessions dont des augmentations de salaire. Mais le plus important est que l’opération a permis d’augmenter de beaucoup la conscience des travailleurs-euses quant à leur statut, leur solidarité et leur pouvoir. La partie patronale y a utilisé des manœuvres provocatrices et illégales pour mettre en place une organisation de boutique illégale et a engagé des agences de relations publiques pour combattre « Luttez pour 15$ ». Le congédiement de 6 organisateurs-trices a été un coup très dur dans cette lutte. Dans son étude, M. Forman sert une sévère critique à la bureaucratie syndicale complaisante tout droit sortie des lois sur le travail et comment ces lois se sont révélées être des culs-de-sacs. Cet aspect est aussi à considérer.

SEIU a beaucoup plus de capacités et ressources pour faire face aux employeurs qui menacent de congédiement et de représailles leur personnel en lutte mais mobiliser sérieusement la base, lieu de travail par lieu de travail est une tâche colossale. La lutte pour le 15$/hre augmente le pouvoir des travailleurs-euses d’autres manières. Mais la lutte du bas vers le haut est ratée. Les leaders des employés-es ont servi à mobiliser leurs collègues selon des histoires personnelles et ont agit comme porte-parole dans les médias. Autrement dit, ils et elles ont servi d’image de leaders plutôt que de combattants-es qui organisent le milieu de travail, s’engagent dans la guerre contre les patrons sur le terrain, développent la solidarité, obligent à des concessions en solidifiant les militants-es de la base.

Dans cette lutte, le pouvoir ouvrier est sensé se situer dans les comités d’organisation. Mais comme les salariés-es du syndicat dirigeaient le travail, les participants-es ont déclaré que les travailleurs-euses y avaient peu de place. Habituellement, les votes de grève ne se tiennent pas si les permanents syndicaux ne sont pas convaincus de le gagner. Les réunions (qui précèdent le vote) servent à réchauffer les troupes et à leur passer de l’information ; elles ne sont pas le lieu de débats démocratiques et de prises de décisions. Il est reconnu que les conférences annuelles pour « Luttez pour 15$ » (la prochaine aura lieu à Détroit cet été) sont largement écrites d’avance. J’ai demandé à un organisateur s’il était vrai que les travailleurs-euses leaders pouvaient prendre des décisions au cours des ces réunions. Voici sa réponse : « C’est de la poudre aux yeux. Je le sais parce que j’y ai participé ». Une autre personne m’a dit qu’au cours d’une session pour discuter de stratégie, Scott Courtney a été présenté comme « la raison pour laquelle vous êtes ici ». Il faut questionner la déclaration de SEIU de 2013, à l’effet qu’il suivait la direction donnée par les travailleurs-euses du secteur de la restauration rapide et « Nous n’en comprenons pas encore l’ampleur » quand en fait il était l’initiateur de leur campagne.

Il y a plus de travail d’organisation en faveur des 15$/hre dans les rues que dans les lieux de travail. Les grandes journées d’action sont vitales à l’esprit de rassemblement et d’actualité de la cause. Les supporters des groupes communautaires, les étudiants-es, et le personnel des syndicats sont là en nombre, ajoutent aux festivités, font une meilleure impression dans les médias, influencent l’opinion publique et laissent l’impression d’une campagne qui se développe.
L’idée que la décision du SEIU de bâtir une campagne centrée sur les travailleurs-euses comme stratégie de relations publiques et légale, se défend. Mais on ne peut plus dire que c’est un mouvement dirigé par les travailleurs-euses. Si le syndicat admettait que la peur des licenciements et des représailles par les employeurs à mené à un va et vient constant dans la lutte, il minerait la perception que de plus en plus d’employés-es du secteur de la restauration rapide rejoignent la campagne et y restent. Le manque de pouvoir signifie aussi que les travailleurs-euses suivent les directions données par les organisateurs-trices payés-es pour le faire, qui rappellent qu’ils reçoivent leurs orientations des dirigeants-es du SEIU.

Quelques organisateurs ont mentionné que la firme de relations publiques du syndicat, BerlinRosen Public Affairs est impliquée dans la stratégie. Il existe un document de 25 pages, intitulé « La grève clé en mains », [3]iii qui porte le logo de BerlinRosen et se présente comme un guide pour réussir un mouvement de grève. Cela et certains autres documents du genre, nous donnent des preuves du travail d’organisation du haut vers le bas qui caractérise la lutte pour les 15$/hre. C’est assez logique si on prend en compte les énormes efforts nécessaires pour organiser une seule manifestation dans une seule ville. On imagine les ressources qu’à dû consentir le SEIU pour organiser les manifestations du 15 avril dans 200 villes du pays en soutient à « Luttez pour 15$ ».

En 2013, une de ces manifestations dans le secteur de la restauration rapide a été menée comme une campagne militaire. Les plans d’effectifs comprenaient les dirigeants-es locaux, les travailleurs-euses de quatre différents médias, une demi-douzaine d’intervenants-es pour calmer les troupes en cas de troubles, un photographe, un vidéographe, quelqu’un pour la liaison avec la police, des animateurs-trices, une équipe de relève, des chauffeurs, des conseillers-ères légaux, un avocat criminaliste sur appel, les déjeuners et diners des coordinateurs-trices, des gens affectés aux pancartes, des drapeaux, des T-shirts et de l’eau. Un régisseur était chargé d’enregistrer les oppositions minute par minute, de noter les moments et les lieux pour le chargement des fourgonnettes, pour aller chercher les travailleurs-euses qui devaient intervenir dans les points de presse, exécuter des sketches satiriques, des prières, danser dans les rues et accompagner les travailleurs-euses le lendemain pour aider en cas de représailles. On dit aussi que pour maximiser les présences, « Luttez pour 15$ » loue des chambres d’hôtel pour les manifestants-es la veille de l’activité, loue des fourgonnettes pour les amener au point de départ et leur fourni des repas.

« La grève clé en mains » semble relever des débuts de la campagne mais c’est instructif. Le document commence par une description de différents types de grève en rapport avec la loi sur le travail. Il met en garde contre toutes les actions qui peuvent être assimilées au piquetage car « le piquetage est considéré coercitif et induit plus de responsabilités au syndicat », de la même manière qu’organiser une élection de syndicalisation forcée. Il conseille, au contraire de mettre l’accent sur les pratiques injustes dans le milieu de travail : « les grèves déclenchées pour de tels agissements de l’employeur sont le nec plus ultra légal des grèves ».

Le document donne aussi des trucs pour découvrir, enregistrer et poursuivre ce genre de pratiques. Dans les différents milieux de « Luttez pour 15$ » les travailleurs-euses déclarent que mettre au jour ces pratiques était devenue la priorité des deux dernières années. Chaque fois, les organisateurs-trices enquêtaient sur la discrimination ou les représailles de la part des employeurs. Le lien entre la légalité et la stratégie centrée sur les médias est présent dans la section « Opinion sur le milieu ». On commence par demander le nombre de pratiques de travail injustes et/ou inéquitables existent dans un milieu particulier, documenter leur ampleur et leur dureté. On demande aussi si ce milieu est intéressant pour la lutte, s’il s’y trouve des leaders solides.

Puis viennent des questions en lien avec les messages à faire passer dans le public : Est-ce qu’il s’agit d’une marque emblématique ? Est-ce que cette marque permet de construire un discours intéressant localement et/ou nationalement ? Est-ce que le syndicat y a des porte-paroles ? Entrainés-es ? Fiables ? Expérimentés-es ? Est-ce que nous pouvons en tirer des récits ? Des histoires ouvrières irrésistibles ? Des histoires d’horreur à propos des pratiques injustes et illégales (vol de salaires, harcèlement sexuel, etc) ? Pouvons-nous faire des liens avec des thèmes plus larges comme des coupes dans les heures de travail à cause de la loi sur l’assurance maladie (Obama Care) ?

Le reste du texte de « La grève clé en mains » concerne le recrutement de travailleurs-euses ayant des histoires hautement crédibles, l’organisation du vote de grève, la manière d’élaborer un plan de stimulation pour maximiser les présences le jour de la grève, le travail de renforcement de la confiance des travailleurs-euses, la réalisation concrète de la grève et la nécessité de réaliser des images, des histoires et des récits irrésistibles. Peu y est dit à propos de l’organisation ouvrière dans les lieux de travail. Beaucoup de travailleurs-euses actifs-ves dans la campagne ont rapporté ne pas avoir reçu de formation sur la manière de construire des organisations dans leurs milieux de travail immédiats.

Ces critiques ne visent pas à démolir « Luttez pour 15$ ». Cette bataille a eu des effets bien au-delà de tout ce qu’on pouvait en attendre quand elle a été déclenchée. Mais les politiques n’arrivent pas par hasard. En niant le rôle central des travailleurs-euses de la base, les dirigeants-es du SEIU peuvent contourner les questions à propos de leur stratégie controversée et sur l’organisation sur le terrain même. Analyser des stratégies et des tactiques des années à l’avance dans des livres que peu de gens liront, n’est pas très utile. Bien d’autres questions devraient aussi être posées à propos de cette campagne.

Par exemple, elle est centrée d’abord et avant tout sur les salaires et ensuite sur les heures de travail. Mais quand leur quart est terminé, les travailleurs-euses de la restauration rapide doivent faire face aux dilemmes de la garde des enfants, des soins de santé, du transport et de leur loyer. « Luttez pour 15$ » parle de la difficulté de vivre avec un salaire qui vous garde dans la pauvreté mais c’est fait avec un terme moralisateur : « l’équité ». La critique plus approfondie est évitée parce que le « le but est d’arriver à une convention collective ». L’augmentation du salaire à 15$/hre est plus que nécessaire mais dans beaucoup de villes c’est bien peu quand on doit payer l’équivalent de tout son salaire pour un travail à temps complet pour louer un appartement d’une seule chambre à coucher. À Seattle, Alternative socialiste s’est orienté vers la mise en cause des affolantes augmentations de loyer. Il est rare que les grandes centrales syndicales organisent de sérieuses actions autour du contrôle des coûts des loyers ou des droits des locataires malgré la montée fulgurante de ces coûts. C’est un des plus importants fardeaux que la classe ouvrière ait à porter.
Au-delà des conditions de vie des travailleurs-euses il faut s’intéresser à leur rôle dans les processus de travail. Développer le pouvoir empêcherait les campagnes de publicité comme l’embarrassante de McDonald’s qui nous dit : « L’amour en paiement » ou la maladroite de Starbucks : « Courons ensemble ». Une seule campagne d’organisation ne peut prendre toute les responsabilités dans ces divers aspects mais sans un sérieux débat sur la stratégie, et un virage vers de nouvelles basées sur les travailleurs-euses en cause, il est difficile d’envisager comment des gains dans les salaires vont se traduire en gain dans leur pouvoir.

Cette campagne a soulevé bien des espoirs dans la gauche quand au réveil de la conscience de classe et du mouvement ouvrier. Est-ce que cela va découler des actions du SEIU ? Si l’histoire et les événements actuels nous enseignent quelque chose, c’est qu’il manque un ingrédient : la gauche organisée. Ce sont les anarchistes qui ont fait naitre Occupy Wall Street. Les socialistes ont revivifiez beaucoup de syndicats d’enseignants-es. Les socialistes et la gauche ont rendu réels les 15$/hre. Sans un effort semblable, la campagne « Luttez pour 15$ » peut mettre un peu plus d’argent dans les poches des travailleurs-euses mais pas le pouvoir pour changer leurs vies.


[1Arun Gupta collabore à diverses publication dont Al Jazeera, Vice, The Progressive, The Guardian et In These Times.

[2La plus grande compagnie d’assurance maladie et de soins médicaux aux États-Unis.

[3Texte original : Strike in a Box. N.d.t

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