Édition du 3 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique municipale

Les travailleurs et les travailleuses

Les grands oubliés de la campagne électorale municipale

Réflexions d’Alternative socialiste et du Mouvement progressiste pour l’indépendance du Québec sur les élections municipales montréalaises de 2013

Les slogans pompeux de la dernière campagne électorale municipale tels « Intégrité, compétence, audace » ou « Le vrai changement pour Montréal » ont été à l’image de cette dernière : tristement insipides. Le taux de participation de 43 % est nettement insuffisant pour parler de représentativité. Au final, 14 % de tous les électeurs montréalais ont voté pour le nouveau maire, Denis Coderre (32 % de votes). À grand renfort de populisme, ce politicien de carrière a même réussi à faire réélire une partie de la racaille qui avait quitté le bateau mafieux d’Union Montréal, défunt parti des douteux Gérard Tremblay et Michael Applebaum.

La bourgeoisie montréalaise n’aura certainement pas de fil à retorde avec Coderre pour lui faire défendre ses intérêts, même si elle aurait préféré placer son adversaire, Marcel Côté, avant le « twitteux- Coderre ». Outre pour quelques candidats épars, les électeurs de Montréal se sont retrouvés à ne pouvoir voter que pour des personnes défendant ouvertement les élites, leurs intérêts et leur système.

Un vide politique

Outre le Front d’action politique (FRAP) et le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM) à ses débuts, la gauche montréalaise s’est peu préoccupée des élections municipales. Pourtant, le mécontentement populaire par rapport aux récents scandales de corruption partout au Québec aurait pu faire émerger un parti qui faciliterait la réappropriation de la ville par ses habitants. Un parti souhaitant nettoyer et développer la démocratie municipale afin que les salariés se réapproprient leurs propres instances politiques, sociales et économiques locales. Tel n’a pas été le cas. Même avec la campagne anticorruption des cols bleus de la ville, la voix des travailleurs ne s’est pas fait entendre durant la campagne puisqu’elle ne s’est pas organisée en conséquence.

L’absence d’un mouvement politique de masse ayant pour premier objectif la défense des intérêts des travailleurs et des travailleuses se fait grandement sentir. Nous pouvons aisément le constater, notamment à travers trois grands enjeux : l’embourgeoisement, la répression (ex. règlement P-6) et la corruption.

Quand les familles quittent leur quartier faute de moyens

Le problème de l’embourgeoisement des quartiers, qui ne date pourtant pas d’hier, a encore une fois été bien peu abordé. Presque tous les partis semblent conscients de la problématique, mais n’ont proposé aucune solution convaincante. Pourtant, le problème des arrivants aisés qui s’approprient l’espace initialement occupé par des habitants qui le sont moins ne transforme pas Hochelaga-Maisonneuve, Pointe-Saint-Charles ou Rosemont dans l’intérêt de la majorité. Montréal est en voie de suivre le chemin de plusieurs métropoles dans le monde où les classes populaires sont reléguées en périphérie du centre.

Une étude récente qualifie le marché immobilier montréalais de « sévèrement inabordable [1] ». Les jeunes familles désertent l’île pour s’acheter une première propriété moins dispendieuse en banlieue. La construction de logements est « pratiquement au point mort depuis des années [2] ». En 2012, 11 169 unités de condos ont été construites comparativement à seulement 3700 unités de logements. Au début de l’année 2012, la construction de condos a explosé de 84 %. Cette « folie » jumelée au contexte économique difficile entraîne très rapidement un essoufflement. Les ventes ont baissé de 20 % durant le quatrième trimestre de 2012.

Les premières victimes de cette situation sont les quartiers populaires. Le Plateau Mont-Royal est l’exemple le plus éloquent. Tout ce que dépeignait Michel Tremblay dans ses Chroniques du Plateau Mont-Royal est mort. La tendance est générale et les classes populaires sont petit à petit éjectées de la ville. Ce qui s’est passé sur le Plateau se reproduit présentement dans le Mile-End. Cet assaut est également de plus en plus palpable dans Hochelaga-Maisonneuve et dans le Sud-ouest. Tout cela ne se fait pas sans tensions. En février 2012, un café branché du quartier Saint-Henri s’est fait vandaliser. Les vandales ont inscrit « yuppies scum » sur la devanture du commerce.

Tous les candidats se sont désolés de l’exode des familles et plusieurs avancent des propositions pour contrecarrer le phénomène, mais personne ne s’attaque à la racine du problème. Favoriser la « mixité sociale » ou subventionner divers projets de logements sociaux est une goutte d’eau dans l’océan d’un problème bien plus profond. Ça peut être suffisant pour donner bonne conscience aux petits-bourgeois des environs, mais nettement insuffisant pour enrayer le problème. Tant que la vaste majorité des initiatives immobilières demeure entre les mains des spéculateurs, l’embourgeoisement des quartiers va perdurer et exercer une pression sur la hausse des loyers aux alentours.

Il faut barrer la route aux spéculateurs immobiliers par la planification municipale de grands projets de construction de logements locatifs abordable et que ces projets soient sous le contrôle démocratique des citoyens. Dans une même logique, nous observons un recul du français comme langue commune. Si nous sommes heureux que la métropole soit un pôle d’immigration en Amérique du Nord et contribue ainsi à l’enrichissement de notre culture, il faut toutefois prendre les moyens nécessaires pour protéger la langue française en la partageant et en l’enseignant gratuitement.

Le droit de manifester

Deuxième oublié de la campagne, le service de police de Montréal, qui a bien fait parler de lui durant la dernière année : brutalité envers les étudiants en grève et autres carrés rouges, profilage social et racial, corruption. Certains ont proposé bien timidement d’humaniser les relations entre la police et les citoyens. On efface donc la question de la brutalité, du profilage social et racial, bref, le problème en soi. Si la plupart des partis avouent que les nombreuses manifestations et mobilisations citoyennes ont contribué à dévoiler le système de collusion, ils se gardent bien de rendre possible de telles mobilisations pour l’avenir. Projet Montréal, qui s’était pourtant improvisé défenseur des manifestants, semble reculer en se positionnant en faveur d’une abrogation pour une question de dédoublement de règlement, donc pour de simples formalités. Bref, ses représentants affirment qu’il existe déjà d’autres règlements et lois interdisant le port du masque et forçant le dévoilement de l’itinéraire. Ils ne sont pas réellement en désaccord avec ces deux mesures. Se rendent-ils seulement compte que la majorité de leurs militants a subi la répression policière ? Projet Montréal semble incapable de sortir de sa logique électoraliste et ne semble pas comprendre que sans mobilisation massive dans la rue, aucun projet de transformation sociale ne pourra s’opérer. La défense du droit de manifester et la lutte contre la brutalité policière sont donc primordiales.

Corruption

Corruption, ce mot qui est sur toutes les lèvres des candidats, n’est que rarement accompagné de propositions concrètes. Chaque parti s’est fait la guerre en tentant de démontrer que ses adversaires étaient possiblement corrompus. Restant au stade d’allégations, les propositions pour s’attaquer à la culture de la corruption demeurent peu convaincantes. La proposition de l’équipe Coderre est de créer un poste d’inspecteur général et est sensiblement reprise dans les discours des autres partis, avec quelques bémols. Bref, des changements institutionnels mineurs qui ne s’attaquent pas au problème à la source. Personne n’a ouvertement appuyé l’excellente campagne des cols bleus de Montréal (qui proposait, entre autres, que la ville exécute ses travaux publics elle-même, à l’interne) ni véritablement remis en cause le fonctionnement des institutions démocratiques de la ville.

Il faut également changer les façons de faire de la politique et cela passe par la valorisation de la démocratie locale (dans les quartiers). Il est essentiel de rendre le pouvoir aux mains des citoyens en créant des comités de quartiers. Il faut aussi que ces comités aient un pouvoir réel, notamment celui de démettre à tout moment de ces fonctions tout élu ou haut fonctionnaire en qui nous perdons confiance.

Des problèmes de corruption, de carriérisme et autres opportunismes
Les salaires annuels des principaux chefs de parti ont été publiquement dévoilés lors de la campagne. Le premier constat c’est qu’ils gagnent tous plus que nous ! S’ils ne vivent pas comme nous, comment peuvent-ils nous représenter et comprendre notre réalité ? Ceux et celles qui prétendent défendre nos intérêts devraient commencer par couper dans le gras, c’est-à-dire dans leurs salaires et leurs comptes de dépenses injustifiées, payés par nos taxes et impôts. Il faut donc que leurs revenus soient ajustés en fonction du salaire moyen d’un travailleur qualifié !

Pour un mouvement politique de masse des travailleurs et travailleuses !
Nous sommes déçus de la campagne de Projet Montréal, qui est pourtant le parti le plus progressiste en lice, mais faut-il simplement le rejeter ? Ce parti est profondément réformiste et basé sur le développement durable et l’instauration d’un capitalisme plus humain. Il possède des projets innovateurs et emballants, mais ne peut être considéré comme la voix des travailleurs. Par exemple, ses nombreux projets de revalorisation de certains quartiers ne consistent qu’à enjoliver les coins sordides des anciens quartiers ouvriers habités maintenant par les « bobos ». Nous ne pouvons pas continuer de jouer à l’autruche éternellement. Un jour, il faudra voir la réalité en face ; aucun parti dans sa formation actuelle ne représente une alternative à long terme pour les anticapitalistes, les travailleurs et les travailleuses. Nous devons nous engager dès maintenant dans la construction d’un mouvement politique des masses offrant une réelle alternative politique. Cela passe par la constitution de comités de luttes rassemblant les militants progressistes de différents horizons qui devront mener de vastes campagnes populaires coordonnées, intervenir dans les débats politiques et devenir à terme le parti politique du 99 % de la population.

La mafia et les patrons ont leurs partis. Le 99 % a besoin du sien ! Pour un mouvement politique de masse représentant les travailleurs et les travailleuses !

Texte adopté par l’assemblée générale du Mouvement progressiste pour l’indépendance du Québec (MPIQ) et du comité national d’Alternative socialiste (CIO-Québec)
novembre 2013


[1La Presse, 22 janvier 2013

[2La Presse, 9 janvier 2013.

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