Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Blogues

Le blogue de Pierre Beaudet

Nos amiEs de la gauche au Canada

Il faut constater que pour toutes sortes de raisons, le milieu progressiste québécois ne connaît pas bien ce qui se passe à gauche du côté du « reste du Canada », le fameux ROC. Très souvent, on a l’impression qu’on connaît mieux la gauche au Brésil ou en France. C’est quand même un angle mort qui devra être surmonté, un jour, que le Québec soit indépendant ou pas. La géographie, l’histoire, l’économie, le fait de partager avec le ROC le douteux privilège d’être voisin de l’Empire en déclin que sont les États-Unis et d’autres réalités font en sorte que notre destin est lié au ROC et vice-versa. En attendant, il faut essayer de comprendre, et surtout d’éviter des imageries simplistes, dans le genre « il n’y a rien là », qui sont quand même assez courantes dans nos milieux.

Un long parcours

C’est au début du vingtième siècle que la gauche contemporaine a pris forme dans le ROC, essentiellement parmi les immigrants européens qui ont constitué les grandes concentrations ouvrières en Ontario et en Colombie britannique, et également parmi des communautés rurales des provinces de l’ouest. On a oublié, en tout cas au Québec, qu’une première grève générale a eu lieu à Winnipeg en 1919 où pour un temps, la ville a été conquise par les syndicats. Le CCF, l’ancêtre du NPD, a pris forme dans les provinces agricoles pour revendiquer des réformes sociales (l’assurance-maladie) bien avant les élites réformistes des années d’après-guerre. Le Parti communiste a connu son heure de gloire en organisant les ouvriers des grandes usines et en se faisant le champion de la lutte antifasciste, notamment en Espagne où les volontaires du « Bataillon Mackenzie-Papineau » ont combattu héroïquement. Dans les années d’après-guerre, l’anticommunisme de la guerre froide a beaucoup affaibli les secteurs radicaux, mais on en trouve encore aujourd’hui des traces importantes.

La gauche du NPD

Contrairement au Québec, le NPD a gardé des racines importantes dans le ROC dans les milieux de la gauche. Des députés comme le sympathique Charlie Angus représentent la résistance des gens ordinaires dans le nord de l’Ontario. Celui qui a encore gagné ses élections en 2011 avec plus de 50 % des suffrages défend les causes ouvrières et écologistes et ne parle pas la langue de bois des politiciens. Dans le beau documentaire de Richard Desjardins, « Trou story », il raconte comment les compagnies minières ont pillé et exploité ce coin de pays. Plus loin dans l’ouest, Libby Davies et Peter Julian proviennent des milieux communautaires et féministes et auraient tout à fait leur place dans une formation comme Québec solidaire. Au début des années 2000, les éléments de gauche du NPD inspirés par l’infatigable Judy Rebick et le défenseur des droits Sven Robinson ont tenté de radicaliser le NPD Au congrès de 2001, ils avaient gagné l’adhésion de 40 % des délégués lors d’un rare moment où le parti avait entrepris une réelle discussion sur lui-même. À la fin toutefois, la gauche s’est contenté d’appuyer Jack Layton qui représentait un certain renouvellement sans toutefois se commettre réellement pour le changement. En passant, cette gauche du NPD s’est prononcée plusieurs fois en faveur du droit à l’autodétermination du Québec. Elle n’avait aucune inhibition à appuyer les luttes populaires de notre côté de l’Outaouais, au grand déplaisir de l’establishment du parti, soucieux de son image respectueuse du merveilleux fédéralisme canadien. Elle a combattu et elle combat, même si elle n’a jamais pu arracher le pouvoir conservé par une petite élite composée de députés et de leur appareil au niveau fédéral, mais encore plus dans les provinces où les administrations du NPD, en Ontario, au Manitoba, en CB, ont gouverné au centre, loin des mouvements et des luttes populaires.

Les radicaux

Il subsiste encore une tradition communiste au sein de certains mouvements syndicaux notamment en Ontario et en CB. Dans les années 1960, une « nouvelle » gauche s’est présentée dans le décor d’où émergent quelques petites formations qui continuent, au-delà de leurs chicanes, de se présenter comme les successeurs de Trotski et de la Quatrième internationale. À leur crédit, ils ont toujours été explicites à reconnaître les droits du peuple québécois. Aujourd’hui à Toronto et quelques autres centres urbains, ces micro partis sont encore actifs, contribuant parfois à radicaliser des luttes populaires. Cette gauche marxiste est cependant contestée par une mouvance anarchiste, qui s’exprime surtout à travers des mouvements contre la globalisation. Ils ont eu leur petite « heure de gloire » lors des manifestations contre le G8 à Toronto en 2010. On les retrouve dans d’autres réseaux populaires, féministes et étudiants. Comme leurs homologues québécois, les anars sont marginalisés, parfois arrogants et provocateurs, parfois créatifs, comme ce qu’on retrouve par exemple dans l’Ontario Coalition against Poverty. Rien n’indique qu’ils sont à la veille de sortir de leurs petits cercles.

La gauche universitaire

Il y a plusieurs centaines de milliers d’étudianEs dans le ROC répartis à travers une myriade d’universités d’où est née à la fois en symbiose et séparément une « gauche universitaire ». Plusieurs évidemment se sont investis au NPD, dans les groupes marxistes et anarchistes. D’autres développent leurs activités intellectuelles comme à York University, l’un de leurs bastions, où on retrouve des tas de spécialistes de Marx, du Mozambique et du Venezuela et de tant d’autres thèmes. Ils passent leur vie à écrire des textes et comme ils publient en anglais, leur audience internationale est assez large, d’autant plus que parfois, comme dans le cas de Socialist Register et du Socialist Project, il y a des travaux de qualité. Le problème est que ce travail est déconnecté du mouvement social même dans leur milieu. Les fédérations universitaires sont faibles, dont la combative CFS, qui n’a jamais mobilisé à ma connaissance, à part à l’Université de Concordia ! Les syndicats de profs sont des corporations dans le bon vieux style élitiste. Par contre, ça bouge un peu parmi les chargéEs de cours et les assistantEs qui commencent à s’organiser dans leur condition de prolétariat universitaire.

Face au Québec

Globalement les militants de gauche dans le ROC sont partagés face au Québec. Ils appuient certes le droit à l’autodétermination du Québec, mais en réalité, ce n’est pas une priorité pour eux. On les a vus passifs lors de grandes confrontations sur le thème, lors des référendums par exemple, où les manipulations de l’État fédéral se sont imposées sans pratiquement d’opposition. Il faut dire que sur cette question québécoise, les gauches du ROC n’ont pas la tâche facile. Les élites canadiennes, les grands médias et la quasi-totalité des politiciens se complaisent dans le « Quebec bashing ». On appuie les résistances des Mapuches ou celles des Grecs ou des Népalais, mais appuyer la lutte québécoise, c’est autre chose dans le cher ROC. Certaines fractions de la gauche, notamment parmi la mouvance anarchiste très radicale, expriment également une sorte de Quebec bashing à leur manière. J’ai entendu de mes oreilles des « militants » de Toronto parler des Québécois comme des « tueurs de mohawks ». Pour d’autres, la gauche québécoise n’est pas « assez radicale » (j’ai lu cela d’éminents profs « marxistes » de York). Cette ignorance n’est pas fortuite. Le fait que la grande majorité des gens de gauche du ROC ne parlent pas le français n’aide pas (je crois qu’il y en a plus qui apprennent l’espagnol). Mais on peut se poser la question : Est-ce qu’il n’y aurait pas, plus ou moins inconsciemment une forme de rejet ?

Les impacts du printemps érable

Terminons sur une note positive. Les Carrés rouges en ont surpris plusieurs. Dans un sens pour les militants du ROC, les mobilisations de masse semblaient dire qu’il y avait en fin de compte un grand mouvement pour la transformation au Québec, quelque chose qui n’existe pas dans leur pays, et dont ils pourraient peut-être apprendre une chose ou deux. Le fait que les Carrés rouges aient coïncidé avec la « vague orange » (le vote massif pour le NPD lors des élections fédérales de 2011, conforte une certaine impression dans les milieux progressistes du ROC que dans le fonds, le pilier de la lutte contre cet État qui s’appelle le Canada reste le Québec. Ce réveil pourrait ouvrir des portes à un dialogue constructif.

Ne jamais dire jamais

Pour que cela se fasse, il faudra que des changements surviennent. Les éléments de gauche du NPD doivent reprendre du poil de la bête. Comme c’est là, ils soupçonnent que Mulcair les mène à une impasse et que de faire passer ce parti centre-un-peu-gauche vers le centre-un-peu-droite, est un suicide, comme on vient de le constater lors des élections provinciales de Colombie britannique. En ce qui concerne la gauche radicale, le défi est de construire un projet convergent (j’oserais dire, comme QS) et non de se picosser ici et là sans être en mesure d’intervenir sur la scène politique ! Je dis cela de manière provoquante, en sachant que bien des camarades du ROC travaillent sérieusement, dans un milieu qui n’est pas très réceptif, donc dans des conditions culturelles adverses. Je leur souhaite bonne chance ! Et en fait, je nous souhaite bonne chance, sachant que pour aller plus loin, il faudra travailler ensemble. Pour finir, rappelons que nous avons une occasion, qui s’appelle le projet du Forum des peuples, une initiative à l’origine québécoise, mais qui commence à intéresser des mouvements du ROC ainsi que les Premières nations. Tout à coup que …

Sur le même thème : Blogues

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...