Édition du 23 avril 2024

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Canada

Ottawa reste coi face au mouvement de protestations au Panama contre une mine de cuivre canadienne

La mine de cuivre Cobre Panamá, contrôlée par First Quantum Minerals, dont le siège se trouve à Vancouver, est l’investissement étranger le plus important au Panama.

Tiré de Canadian Dimension
https://canadiandimension.com/articles/view/ottawa-silent-as-panama-rises-up-
against-canadian-copper-mine

Dimanche 5 novembre 2023 / PAR : OWEN SCHALK
traduction Johan Wallengren

Le gouvernement panaméen a fait passer en force une entente avec le géant minier canadien First Quantum Minerals, qui exploite la décriée mine de Cobre Panamá.

Photo avec la permission de @SuntracsPanama/X.

La mine de cuivre Cobre Panamá, contrôlée par First Quantum Minerals, dont le siège se trouve à Vancouver, fait de nouveau face à un mouvement populaire de résistance d’envergure mené par des militants panaméens.

Avec un chiffre d’affaires de près de 10 milliards de dollars en 2022, First Quantum est l’une des plus grandes compagnies minières canadiennes. Elle investit uniquement à l’étranger, notamment dans des pays comme la Zambie, où 61 % de la population vit avec moins de 2,15 dollars par jour. La pauvreté touche également de nombreux Panaméens, en particulier dans les zones rurales, et plus de la moitié des communautés autochtones du Panama vivent sous le seuil de pauvreté.

La mine de Cobre Panamá, qui représente le plus important investissement étranger dans ce pays, demeure la cible privilégiée des mouvements de protestation qui y ont cours depuis plus d’une décennie. Les protestataires réclament une plus grande part des bénéfices provenant de l’activité minière étrangère, exigent que les droits des populations autochtones soient dûment protégés et revendiquent des règlements environnementaux plus stricts.

Le Panama est le troisième partenaire commercial en importance du Canada en Amérique centrale. Or, Ottawa est resté manifestement coi face à l’opposition aux activités minières canadiennes au Panama, passant sous silence les mouvements de protestation de masse qui ont émergé pour revendiquer la fermeture de la mine à ciel ouvert. Le Canada a même soutenu activement le gouvernement panaméen lorsqu’il a été pris à partie par des manifestants qui affirmaient que la mine mettait en péril l’eau potable locale et menaçait les écosystèmes forestiers avoisinants.

En 2011, le président panaméen, Ricardo Martinelli, a tenté de limiter les droits à l’autonomie et à l’autogestion de la nation autochtone Ngäbe-Buglé, afin que les compagnies minières aient la voie libre pour accéder aux gisements de minerais se trouvant sur le territoire de ce peuple. Un vent de protestation a soufflé au sein de la population, qui a réclamé l’annulation des concessions minières et hydroélectriques sur les terres autochtones. Des manifestants ont bloqué les points d’accès à la mine Cobre Panamá, ainsi qu’à une autre mine appartenant à la compagnie canadienne Petaquilla Minerals, elle aussi basée à Vancouver.

Martinelli a répondu par la violence : un manifestant est mort aux mains de la police anti-émeute, qui en a également blessé 32 et mis 40 en détention. Le gouvernement a fini par céder et à s’engager à ne pas approuver de projets miniers sur les terres des Ngäbe-Buglé.
Durant les manifestations contre les politiques minières de Martinelli, le Canada s’est abstenu de tout commentaire. Et lorsque des manifestations de masse ont de nouveau éclaté en 2022, les gens exigeant d’être mieux soutenus économiquement dans un contexte de flambée des prix des denrées alimentaires et de l’essence, le gouvernement Trudeau a publié un communiqué ne faisait aucun cas des motivations derrière ce soulèvement, se contentant d’émettre ces seuls avis : «  des manifestations ont eu lieu en terre panaméenne » et « les Canadiens doivent demeurer vigilants en tout temps  ».

Le Panama est présentement à nouveau le théâtre d’un soulèvement contre First Quantum. Comme l’écrit Daviken Studnicki-Gizbert, professeur à l’université McGill, dans le National Observer, le pays est « en révolte contre une mine de cuivre [canadienne] ».

Cobre Panamá est une immense mine de cuivre à ciel ouvert située au Panama, à 120 kilomètres à l’ouest de la capitale. Les militants affirment que la mine met en péril l’eau potable locale et menace des habitats de la jungle avoisinante. Photo de Luis Acosta/AFP.

Le 20 octobre, Laurentino Cortizo, qui a accédé à la présidence du Panama en 2019, a fait un cadeau à First Quantum en renouvelant le contrat de concession de cette dernière pour une durée de 20 ans. Cette reconduction intervient après une année de négociations et d’incertitudes qui ont commencé avec la décision du gouvernement Cortizo de stopper la production de la mine en décembre 2022. Cet arrêt des activités a été ordonné dans le cadre des négociations entre First Quantum et le gouvernement panaméen au sujet de la concession, avec en toile de fond la promesse de Cortizo de réformer le secteur minier afin de contribuer à remettre le pays sur les rails après la pandémie de COVID-19.

First Quantum a contesté cet arrêt de la production, qu’elle a qualifié de « non nécessaire ». Ottawa a ensuite volé au secours de First Quantum. Une source gouvernementale « au fait des discussions » a déclaré à Reuters : «  de toute évidence, nous avons tout intérêt à voir cette affaire se régler et nous sommes confiants que les deux parties négocient de bonne foi ».

Pendant le bras de fer, la ministre canadienne du commerce, Mary Ng, a eu des échanges aussi bien avec First Quantum qu’avec le ministre panaméen du commerce et de l’industrie, Federico Alfaro. La source du gouvernement canadien a déclaré qu’Ottawa avait « sondé [First Quantum] pour s’assurer que la ministre Ng et l’équipe chargée du dossier gardaient le cap et assuraient un traitement prioritaire de celui‑ci ». Cette même source a justifié le comportement de First Quantum en affirmant que la compagnie est « bien disposée » à l’égard des demandes du gouvernement Cortizo, mais « seulement soucieuse de pouvoir se prémunir avec assez de marge contre une éventuelle chute des prix des minerais... voilà le seul desiredata de la compagnie ».

First Quantum bénéficie depuis longtemps d’un engagement fédéral à intervenir sans poser de questions en cas de menace de « nationalisation de la ressource », en particulier dans les pays du Sud global gouvernés par des régimes de gauche :

Lorsque le gouvernement congolais a nationalisé une mine appartenant à First Quantum en 2010, le Premier ministre de l’époque Stephen Harper a pris fait et cause pour la compagnie auprès du G8, du G20, du FMI, de la Banque mondiale et « d’autres gouvernements ayant des intérêts commerciaux en RDC  ». Ces pressions diplomatiques ont finalement permis à la mine de retourner dans le giron canadien.

Depuis les années 1990, Ottawa a soutenu des gouvernements néolibéraux dans le monde entier, y compris au Panama, et promu des réformes et des initiatives économiques qui donnent aux compagnies canadiennes plus de pouvoir d’influence en vue de profiter des richesses en ressources naturelles des États étrangers, souvent au détriment des populations locales. Au Panama, les institutions gouvernementales se sont étiolées au cours des dernières décennies et l’influence des sociétés transnationales, dont notamment First Quantum, a pris de l’ampleur.

Sous l’ancien premier ministre Stephen Harper, le Canada a signé un accord de libre-échange (ALE) avec le Panama. Dans d’autres pays, cependant, les efforts du Canada pour répandre la libre entreprise se sont heurtés à un mur. Les négociations en vue d’un accord de libre-échange avec quatre pays d’Amérique centrale - le Guatemala, le Salvador, le Honduras et le Nicaragua - ont capoté parce que, selon les mots d’Enrique Mejía Ucles, du Conseil hondurien de l’entreprise privée, « il [est] difficile de conclure un accord avec le Canada... ils veulent que tout leur revienne à eux seuls ».

Depuis que la concession de First Quantum a été renouvelée, la société panaméenne s’est répandue en protestations. Selon un billet de Niall McGee dans le Globe and Mail, : «  le contrat a été dénoncé par les écologistes, les groupes autochtones, les militants syndicaux et les groupes religieux, qui s’y sont opposés en raison à la fois de ses modalités financières et de l’impact sur l’environnement de la mine à ciel ouvert ».

First Quantum a dénoncé les méthodes des manifestants comme étant « illégales et violentes ». Cependant, les pressions de la population ont fait en sorte que M. Cortizo a suspendu l’octroi de nouvelles autorisations d’exploitation minière et osé un « coup d’éclat » en annonçant un référendum visant à déterminer si le contrat conclu avec First Quantum doit être résilié ou non, la population étant invitée à se prononcer le 17 décembre.
Depuis l’annonce de Cortizo, le titre de First Quantum a chuté de 28,5 % à la Bourse de Toronto. « La compagnie a connu sa pire journée boursière des vingt dernières années », écrit Monsieur McGee.

Au Canada, les efforts déployés par le peuple panaméen pour protéger l’environnement et l’économie locale face à une certaine société minière canadienne ont à peine été évoqués par les médias et la classe politique. Monsieur Studnicki-Gizbert écrit :
Ce fait d’actualité a été couvert par les principaux médias du monde entier, mais ici, au Canada ? Pratiquement pas un mot. Cela laisse les Panaméens perplexes. Après tout, c’est une société minière canadienne qui est au centre de la crise politique et sociale la plus importante que leur pays ait connue depuis plus d’une génération.

Par contre, au Canada, rien n’émerge de la crise au Panama, si ce n’est des déclarations publiques lénifiantes et des manœuvres de soutien à First Quantum en coulisse.
M. Studnicki-Gizbert poursuit :
La question que [les Panaméens] me posent est : Que dit le Canada ?... Les Canadiens soutiennent-ils [First Quantum] ou sont-ils du côté du peuple panaméen ?... Compte tenu de ce que j’ai vu, je suis pour ma part d’accord pour dire qu’un autre bail de 20 ans ne fera que causer considérablement plus de tort que de bien au Panama.

Le gouvernement canadien voit-il les choses du même œil ? Compte tenu du silence actuel d’Ottawa et de son soutien historique à First Quantum contre les mouvements sociaux panaméens, la réponse semble être un non retentissant.

Owen Schalk est un rédacteur établi dans une région rurale du Manitoba. Il est l’auteur de Canada in Afghanistan : A story of military, diplomatic, political and media failure, 2003-2023. (Le Canada en Afghanistan : histoire d’un échec militaire, diplomatique, politique et médiatique, 2003-2023).

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