Édition du 26 mars 2024

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Europe

Perpinyà, capitale d’un jour de l’indépendantisme catalan

Samedi 29 février la ville va accueillir des milliers de personnes, venues principalement de la Catalogne sud, qui luttent contre l’Etat espagnol pour faire valoir leur droit à s’autodéterminer par référendum (à 70- 80% selon les sondages). Une moitié tente de convaincre l’autre moitié de la nécessité de l’indépendance.

photo et article tiré de NPA 29

Perpinyà, un événement du processus indépendantiste

Cet événement perpignanais s’inscrit évidemment dans la longue séquence des mobilisations indépendantistes démarrées en 2012 suite à la décision, deux ans auparavant, du Tribunal Constitutionnel d’amputer des pans essentiels du nouveau statut d’Autonomie de la Catalogne.

C’est de cette période que date l’essor d’un mouvement indépendantiste jusque là largement minoritaire. Le consensus demeurait en faveur de l’Etat des Autonomies établi au moment de la sortie « démocratique » du franquisme. Témoignent de cet essor les centaines de milliers, parfois le million, de participants aux « Diadas » (fête nationale catalane le 11 septembre) ou la majorité sans cesse reconduite au Parlement catalan.

Le point culminant de ce processus fut le référendum (non reconnu et violemment attaqué par la police blog) du 1er octobre 2017, par lequel, à travers la revendication d’indépendance s’était affirmée une mobilisation pour une République. Une république opposée frontalement à un régime monarchiste parlementaire n’ayant jamais soldé le parrainage franquiste dont il avait bénéficié à sa naissance.

Répression policière sur les votants au référendum, arrestations, longs emprisonnements préventifs et lourdes condamnations s’ensuivirent, ces dernières mettant le feu aux poudres. En octobre dernier des marches de protestation réunissent des centaines de milliers de participants avec le spectaculaire blocage de l’aéroport ou la spectaculaire fermeture de la frontière avec la France.

C’est cette combativité populaire qui va trouver à Perpinyà l’occasion de s’exprimer à nouveau

Pour envoyer le signal que l’échec à relancer la dynamique indépendantiste autour de la libération des prisonniers politiques et le « droit de décider » (l’autodétermination) ne signe pas, loin de là, la résignation. C’est sur ce point qu’il convient de s’arrêter pour bien mesurer ce qui va se signifier politiquement samedi prochain.

Au cœur de cet événement, la présence de Carles Puigdemont, le président de la Généralité (gouvernement autonome de la Catalogne) destitué en 2017 mais ayant gagné de haute lutte politico-judiciaire d’être reconnu député européen, interroge en dehors de la Catalogne, en particulier à gauche, y compris chez les anticapitalistes.

De quoi Puigdemont est-il le nom ?

Ce personnage est indéniablement de droite, droite modérée ou centriste, et il semble incarner la dimension, disons-le, bourgeoise ou petite-bourgeoise du nationalisme catalan. La conséquence étant souvent, que la gauche n’aurait pas sa place dans cette mobilisation ou dans les actions internationales de solidarité avec celle-ci.

Ceux et celles qui, adoptent cette position, en se revendiquant de l’orthodoxie anticapitaliste « classe contre classe », devraient (re)lire Lénine ou Trotsky, sans parler de l’éminent Andreu Nin. Ils posent très clairement et en pratique la nécessité pour les révolutionnaires de s’impliquer dans les mobilisations nationales démocratiques de masse sans faire de leurs directions bourgeoises un obstacle.

Une insertion pour le développement d’un plan d’action et d’un programme révolutionnaires, pour toucher les couches populaires mobilisées et pour mettre en cause l’hégémonie bourgeoise initiale. L’objectif étant, dans une logique de « révolution permanente », que le prolétariat démontre sa capacité à se déployer lui-même, dans toute sa plénitude démocratique et… internationaliste. Toutes choses que la direction bourgeoise est incapable d’assumer.

La revendication nationale doit s’articuler dialectiquement à un processus social et politique d’émancipation anticapitaliste !

Pour revenir au rassemblement perpignanais, l’erreur majeure serait d’interpréter la présence massive de catalans comme une adhésion au programme politique de Carles Puigdemont ou, plus exactement à son organisation Junts per Cat (JxC, Ensemble pour la Catalogne) qui inscrit l’idée d’indépendance républicaine de la Catalogne dans une logique économique de marché.

Il y a un décalage significatif entre Carles Puigdemont, ce qui fait que tant de Catalan.e.s s’y reconnaissent jusqu’à aller le manifester de l’autre côté de la frontière et, d’autre part, ce que dit et fait JxC.

Le paradoxal avantage d’être hors sol espagnol !

Carles Puigdemont évite, depuis Bruxelles, de mettre les mains dans ce cambouis politicien de la catalanité institutionnelle en occupant une position bonapartiste, au-dessus de cette mêlée, se permettant tout au plus de faire vibrer, mais sans trop appuyer, la fibre indépendantiste au détriment d’ERC. En somme l’indépendance est vraiment la chose exclusive de ce personnage et il parvient à l’incarner mais, pour le coup, dans sa radicalité intransigeante.

Une radicalité qui peut se prévaloir des succès contre l’Etat espagnol que sont les successifs rejets par les justices européennes des demandes d’extradition à son encontre. Surtout le frontal désaveu infligé récemment par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) au Tribunal Suprême espagnol et à tout l’establishment à forte connotation franquiste. Il peut garder son mandat de député européen et l’immunité qu’il lui reconnaît et qui le met à l’abri de toute extradition.

C’est de tout ceci dont lui est reconnaissant le peuple indépendantiste, toutes tendances confondues par-delà les clivages politiciens et c’est cela qui s’exprimera avant tout à Perpinyà sur fond d’hommage au courage dont il est crédité pour avoir pris le chemin d’un long exil, en total contrepoint de la campagne médiatique de l’espagnolisme le présentant comme « un lâche fuyard de la justice de son pays ».

Puigdemont catalyseur momentanément reconnu de la crise du régime

Carles Puigdemont (et les deux autres députés indépendantistes exilés « validés » par la CJUE) sont reconnus principalement pour être les leviers incontestables que ni les partis de l’intérieur ni même, il faut le dire clairement, le mouvement populaire in situ lui-même ne sont aujourd’hui. Les leviers de la mise en crise du régime de Madrid.

En se déplaçant à Perpignan, Carles Puigdemont et ses deux camarades, à la limite malgré eux, comme poussés paradoxalement à être plus « radicaux » qu’ils ne le voudraient par la guerre judiciaire qui les empêche de revenir dans l’Etat espagnol, malgré l’immunité dont ils jouissent.

Ce sont de puissants révélateurs des dévastations politiques que produit l’espagnolisme au pouvoir : sur les libertés démocratiques bien sûr obligées de s’exiler à Perpignan, mais aussi sur le comportement des partis et organisations qui, à un moment où un autre, se sont insurgés contre ledit espagnolisme.

Podemos (et Unidas Podemos, “Unis, nous Pouvons”, convergence de partis) intégrant un gouvernement hégémonisé par un PSOE inébranlablement prorégime derrière ses affichages « gauche progressiste », ERC et JxC « négociant » avec le PSOE ce qu’il dit toujours n’être pas disposé à négocier : le référendum d’autodétermination et le droit à l’indépendance.

Carles Puigdemont est entre deux lui-mêmes : l’indépendantiste affiché marquant des points contre le régime espagnoliste et le droitier qui se tait sur ce que ses amis politiques font en contrepoint de la logique indépendantiste, est un bonapartiste qui n’est pas appelé à durer.

Le temps que des illusions d’une partie du peuple de gauche dans l’ensemble de l’Etat espagnol se dissipent sur le nouveau gouvernement central que Bruxelles vient une nouvelle fois de mettre en garde pour son prévisible défaut de rigueur en matière budgétaire.

Le temps qu’en Catalogne, les « négociations » sur le conflit territorial se révèlent un véritable jeu de dupes visant avant tout à accentuer les divisions de l’indépendantisme. Pour l’enfermer dans une problématique d’autonomisme afin de faire passer le budget à Madrid. Cet éclaircissement des enjeux politiques de fond devrait rendre plus difficile à l’exilé d’alimenter la résilience combative mais sans débouché immédiat de l’indépendantisme populaire.

Seuls les indépendantistes anticapitalistes de la CUP (Candidatures d’Unité Populaire) et ceux des CDR (Comités de Défense de la République) parviennent à poser les repères stratégiques.

Seuls ils lient étroitement l’autodétermination et l’indépendantisme des revendications sociales et sociétales, les premiers au Parlement catalan et sur le terrain des élections, les seconds (avec la CUP) dans la rue. La CUP et les CDR seront présents à Perpignan sans préalable antibourgeois, au mouvement national catalan, tels qu’énoncés en son temps par Andreu Nin.

Il leur reste à lever le défi d’un embryon … d’indépendance politique vis-à-vis des rythmes bourgeois que les partis majoritaires imposent au mouvement.

Défi courageux mais difficile dans l’actuel contexte de répression maintenue malgré le décrochage « négociateur » du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol).

Voilà les raisons pour lesquelles les anticapitalistes conséquents devraient se défaire de leurs réticences à s’investir dans la solidarité avec la lutte nationale, démocratique, républicaine anti-monarchiste, autodéterminatrice/indépendantiste, antiraciste de la Catalogne… (Résumé voir lien)

Antoine Rabadan Vendredi 28 février 2020

https://npa2009.org/

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