Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Pourquoi Left Unity doit soutenir activement la campagne pour le oui

NdT : Produit par la coalition qui mène la campagne de la gauche radicale écossaise en faveur du « Oui » au référendum, ce texte a été mis en ligne sur le site de Left Unity pour alimenter la réflexion de ses collectifs de base.

Allan Amstrong participe à la campagne de Radical Independence

Traduction : François Coustal

Du fait de la préparation du référendum du 18 septembre sur l’indépendance, l’Ecosse est submergée de débats politiques. Il y a une corrélation directe entre appartenance de classe et intentions de vote. Plus un électeur est riche et privilégie et plus il est probable qu’il soutienne le statut quo unioniste ; plus il fait partie des exploités et des opprimés et plus il soutient l’indépendance.

Après le recul de la gauche radicale écossaise consécutif au fiasco autour de Tommy Sheridan, le SNP a été capable de prendre la direction incontestée de la campagne pour ’autodétermination de l’Ecosse. En 2011, une majorité SNP a été élue à Holyrood, le Parlement écossais. Cette majorité a enclenché le processus du référendum sur l’indépendance et construit la campagne officielle pour le « oui ». Au cours de ce processus, la revendication d’une autodétermination authentique a été considérablement diluée, dans l’espoir de gagner le soutien de certains milieux d’affaires écossais. En fait, ces derniers veulent seulement s’assurer un contrôle partiel des investissements britanniques en Ecosse avant de reprendre leurs relations d’affaires avec leurs anciens patrons britanniques ou avec les multinationales nord-américaines. E, rebaptisant l’Ecosse, ils espèrent obtenir une plus grosse part du gâteau.

Bien que les propositions pour une « indépendance éclairée » - soutenues par le SNP permettraient de supprimer le contrôle particulièrement anti-démocratique du Parlement britannique sur les affaires écossaises, elles prévoient de conserver la monarchie et, en conséquence, l’emprise des pouvoirs de la Couronne britannique. Elles prévoient également de conserver la livre sterling et la soumission à la City, la pérennisation du rôle du Haut commandement britannique ainsi que le maintien dans l’OTAN, dont elles crient naïvement qu’il pourrait être combiné avec une opposition localiste à l’implantation des missiles nucléaires Trident. On voit bien que dans l’hypothèse d’une victoire du Oui, il faudrait une campagne de masse pour s’assurer que la direction du SNP ne se dégonfle pas face aux pressions.

La campagne pour le « oui » a riposté à cette offensive par des réunions publiques, desinterventions de rue, l’inscription sur les listes électorales et le démarchage à domicile. LaRetour ligne automatiquecampagne s’est également concentrée sur les réseaux sociaux et sur des blogs comme bellaRetour ligne automatiquecaledonia. De nouveaux livres et des brochures sont publiés presque chaque semaine, ce quiRetour ligne automatiquereflète la soif de politique qu’a provoquée la campagne référendaire. Il y a du buzz politiqueRetour ligne automatiquedans l’air !

En quoi tout ceci concerne-t-il les militants de la gauche radicale qui vivent en Angleterre etRetour ligne automatiqueau Pays de Galles ? D’abord, si le « oui » l’emporte cela déstabilisera le gouvernementRetour ligne automatiqueCameron. Cela constituera aussi un véritable défi à la constitution du Royaume-Uni. Cela réduira le pouvoir de l’Etat britannique et amoindrira la résistance aux réformes démocratiques. Cela ne peut qu’encourager ceux qui veulent changer les choses. Le démontage potentiel de l’édifice constitutionnel du Royaume-Uni combiné au niveau actuel de mobilisation politique en Ecosse au-delà de ce qui est contrôlé par le SNP nous garantit une chose : nous entrons dans un territoire politique dont la carte n’a pas encore été établie…

Alors que, en Ecosse, la très grande majorité de la gauche radicale est en faveur du « oui », en Grande-Bretagne certains secteurs de la gauche « unioniste » sont encore réticents à soutenir la mise en oeuvre de l’autodétermination en Ecosse. Les plus modérés nous disent : « d’accord, vous avez raison. Nous vous souhaitons de réussir. Mais nous avons nos propres combats à mener ». Au fond, ce qu’ils nous disent est ce qui se passe n’a que peu d’importance pour eux et les dispense de participer à toute campagne de solidarité.

La réponse à cela a déjà été donnée, d’abord par James Connolly après 1896 et ensuite par John Maclean après 1919. Ces deux socialistes, révolutionnaires et républicains, ont défendu une stratégie de « rupture avec le Royaume-Uni et l’Empire britannique ». Cette stratégie a connu son apogée lors de la vague révolutionnaire internationale de 1916 à 1921.

Quand cette vague a reflué, c’est une version actualisée de la « voie britannique au
socialisme », centrée sur l’intervention dans le cadre de l’Etat britannique et de sescontraintes, qui l’a emporté au sein du Parti communiste naissant. Cet héritage s’est diffuséplus largement, dans toute la gauche britannique. Ce n’est que lorsque le déclin irréversible duRoyaume-Uni est apparu évident, à partir des années soixante, qu’une « stratégied’internationalisme par en bas » est redevenue possible.

Pour contrer cette option, la gauche « unioniste » britannique prétend que c’est la Grande-Bretagne qui unit les travailleurs. Le mouvement syndical britannique, le parti travaillistebritannique tout comme les différentes sectes révolutionnaires britanniques se situent dans lecadre étatique du Royaume-Uni. Ils espèrent pérenniser la tradition d’une grande claseouvrière britannique et unie.

Cette approche pose des problèmes considérables. Aujourd’hui, il y a peu de manifestationsconcrètes d’une telle unité organisationnelle. La Confédération syndicale (TUC) et lesdirigeants syndicaux britanniques acceptent le cadre étatique du Royaume-Uni, parfois àcontrecoeur. Ils refusent d’alimenter la défiance vis-à-vis de lois anti-syndicales, qui ont étélaissées intactes malgré treize années de gouvernement du New Labour. Toutes les actions sesituant dans le cadre global de la Grande-Bretagne ou du Royaume-Uni se sont limitées à desprotestations symboliques. La grève d’une journée relative aux retraites du secteur public quis’est déroulée le 30 novembre 2011 à l’échelle de l’ensemble du Royaume-Uni en fournit unbon exemple : elle n’a eu aucun prolongement.

Les dirigeants syndicaux britanniques peuvent jouer la carte ambiguë du nationalisme britannique pour diviser les travailleurs, en opposant les travailleurs « Ecossais britanniques »aux travailleurs « Anglais britanniques ». Les dirigeants syndicaux qui soutenaient le Partitravailliste ont invoqué la défense de l’acier écossais pour empêcher les piquets de grèvedevant Ravenscraig pendant la grève des mineurs. En Angleterre, les dirigeants syndicaux ontrendu la pression politique qui se développait en Écosse responsable des menaces sur l’emploi au chantier naval de Portsmouth. A Glasgow, la municipalité travailliste a créé des modalités de gestion du personnel destinées à contrer la menance d’une action unie des conseils de travailleurs. Loin de soutenir l’unité de tous les travailleurs britanniques, le Parti travailliste s’est au contraire évertué à organiser la division de salariés travaillant dans le même immeuble !

Donc, l’absence d’unité est bien un problème qui existe d’ores et déjà, pas un problème quiserait créé par l’indépendance. A l’intérieur des frontières du Royaume-Uni, il existe déjà dessyndicats qui sont spécifiquement Ecossais ou Nord Irlandais, des syndicats qui couvrent l’ensemble de l’Irlande, des syndicats britanniques, des syndicats qui couvrent le Royaume-Uni et des syndicats qui couvrent toutes les îles britanniques. L’unité peut très bien se réaliser au-delà des frontières politiques et être consolidée grâce à un cadre fédéral et démocratique. Nous avons désormais besoin de nous organiser à l’échelle de l’Union Européenne. L’unité dans le cadre étatique et l’unité syndicale sont deux choses différentes.

Les effets pernicieux d’une approche unioniste britannique vont plus loin que l’exigence d’un mouvement ouvrier « uni-national » ou que le fait que, sous le régime du « partenariat social », les dirigeants syndicaux fournissent au patronat un peu plus qu’une libre gestion de la force de travail. La majorité de la gauche britannique au sens large accepte passivement le cadre constitutionnel du Royaume-Uni. A l’intérieur de ce cadre, ils espèrent combattre l’austérité par un mouvement grandissant de grèves, qui conduirait à un changement de gouvernement. Mais ils n’entendent pas défier l’Etat du Royaume-Uni.

D’où leur slogan : « A bas la coalition Conservateurs – Libéraux-Democrates ; pour le retour du Parti travailliste ! ». Cependant, Miliband et Balls (NdT : dirigeants travaillistes) soutiennent la réduction des dépenses et le plafonnement des indemnités proposées par Osborne (NdT : dirigeant du Parti conservateur et actuel ministre des Finances). Dans sept des conseils locaux écossais, le Parti travailliste est déjà impliqué dans des coalitions avec les Conservateurs.

Après avoir obtenu que la fédération syndicale Unite (NdT : composante du TUC, Unite est la première fédération syndicale en nombre d’adhérents) vote pour Ed Miliband lors de l’élection du dirigeant du Parti travailliste, Len McCluskey (NdT : principal dirigeant de Unite, appartient à la « gauche » du mouvement syndical) a mis en oeuvre une stratégie visant à « récupérer le Parti travailliste » au profit de la Gauche. Ou, plus précisément, au profit de des carriéristes de gauche… Mais cette stratégie a complètement échoué dans la circonscription de Falkirk. Les travailleurs de la raffinerie de Grangemouth ont payé cher, en termes d’emplois et de conditions de travail, lorsque Unite a lamentablement capitulé face aux menaces de Ratcliffe, le patron d’Ineos. En avril, Miliband a pu organiser une conférence spéciale du Parti travailliste pour marginaliser encore un peu plus le rôle des syndicats dans le Parti.

George Galloway, un populiste de gauche, pourfendeur du « nationalisme » et animateur d’une campagne très personnalisée pour le « non » prétend s’opposer à tout ce qu’ont défendu Blair et le New Labour. Mais il discerne des aspects positifs chez Miliband. Sans doute la référence à une nation indivisible ! Quand on lui demande quelle est son alternative à l’indépendance de l’Ecosse, il répond qu’il veut « récupérer » le Parti travailliste. Mais la direction du parti travailliste ne lui permettra pas même pas de réintégrer le Parti, même s’il multipliait des actes d’allégeance.

Le référendum écossais a aussi créé des problèmes pour quelques groupes de la gauche « révolutionnaire » unionistes. Au Royaume-Uni, la politique ne se déroule pas comme indiqué dans leurs théories et leurs programmes. Ils ne voient aucun potentiel dans une rupture avec le Royaume-Uni, dans la mesure où cet Etat fournit le cadre qu’ils ont choisi pour unifier la « classe ouvrière britannique ».

Mais, en réalité, c’est la classe dominante qu’unifie le Royaume-Uni. Cette forme unifiée d’Etat permet aux différentes composantes de cette classe – les britanniques anglais, les britanniques écossais, les britanniques gallois et les britanniques « d’Ulster » - de protéger leurs intérêts particuliers sur leur pré carré, tout en utilisant cet Etat pour diviser la classe ouvrière à travers les différentes îles britanniques.

Alors même qu’ils n’avaient pas de député élu en Ecosse, lors du règne de Thatcher, les Conservateurs ont utilisé l’Etat unifié pour tester la poll tax, un an avant de la mettre en œuvre en Angleterre et au Pays de Galles. Le Parti travailliste a imposé à ses députés écossais de voter une réforme hospitalière spécifique à l’Angleterre alors que, précisément, les travaillistes anglais étaient entrés en rébellion contre ce projet. La permanence au Royaume-Uni de caractéristiques aussi réactionnaires que l’existence d’une monarchie Protestante ou la présence de 26 évêques Anglicans à la Chambre des Lords constitue une aide précieuse pour la réaction loyaliste, aussi bien en Irlande du Nord qu’en Ecosse.

Dans un contexte de poursuite du déclin impérial et de crise économique, le Royaume-Uni et le Parti travailliste, loin d’encourager une forme supérieure d’unité internationale de la classe ouvrière, alimentent de plus en plus le chauvinisme britannique. Parce qu’elle est le dos au mur, la classe dominante britannique est condamnée à prendre des mesures de plus en plus violentes. Elle lorgne du côté de Nigel Farage et de l’UKIP pour infléchir la politique britannique encore plus à droite, grâce à leur offensive contre les immigrés et ceux qui « profitent de la protection sociale ». Le Parti travailliste, partisan d’une nation unique, leur emboîte le pas tout doucement.En septembre, chaque vote « Non » profiterait à la droite. La tête dans le sable, la gauchebritannique « unioniste » a régressé sur la voie d’une approche propagandiste et d’uninternationalisme abstrait. Elle confond l’unité de la classe ouvrière avec l’unité de l’Etat.Quant au Parti travailliste, il participe activement au démantèlement de l’Etat social, socialomonarchiste, qu’il avait construit avec assiduité après 1945. Depuis que Tony Blair a exercé le pouvoir, le Parti travailliste a liquidé tout ce qui pouvait rester de progressiste dans les références au « caractère « britannique » de ces îles… Tout ce qui subsiste est une nostalgie sentimentale.

Certains rêvent d’une « solution » fédérale britannique. Ils ne se rendent pas compte que cela a toujours été le « plan B » de la classe dominante britannique à chaque fois que son Etat était menacé par une rupture potentielle. Un tel fédéralisme est un concept tout droit sorti de la chambre froide du Parti libéral, où il avait été congelé depuis plus d’un siècle !

Autre conséquence de l’acceptation tacite de la « Grande-Bretagne » par la gauche britannique : les aspects les plus douteux de la politique d’Etat du Royaume-Uni se sont encastrés au coeur de nombreuses organisations de gauche. Ainsi, la politique de délibérations secrètes du gouvernement s’y reflète, à travers le centralisme bureaucratique et la domination par Londres, avec une focalisation sur les débats politiques du Parlement de Westminster.

Construire une opposition socialiste efficace implique de défier cet héritage.

L’internationalisme ne se construira pas à travers les réactions de la gauche aux initiatives de la classe dominante, si ces réactions restent cantonnées au cadre étatique du Royaume-Uni. L’éclatement de certains Etats et la fusion d’autres sont parties prenantes de la globalisation capitaliste au sein de laquelle les luttes populaires et les mouvements démocratiques refaçonnent le monde.

L’internationalisme authentique consiste à unir les travailleurs au-delà des frontières. Pas à fétichiser et à défendre les frontières existantes…

La classe dominante britannique est consciente que son Etat est en déclin et soumis à des menaces grandissantes. Sa dernière tentative en date pour ériger une ligne de défense – le « processus de paix » irlandais et la politique de « dévolution globale » concernant l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord – était conçue pour créer dans ces îles les conditions d’une profitabilité maximale en faveur des multinationales. La grande crise de 2007 a ruiné ce projet.

Ceci ouvre des perspectives passionnantes aux partisans du socialisme. Le référendum écossais sur l’indépendance permet à la gauche de reprendre l’initiative politique sur une base socialiste, républicaine, « internationaliste par en bas », qui unisse les travailleurs d’Angleterre, d’Ecosse, du Pays de Galles et d’Irlande. Notre préoccupation immédiate devrait être la mise en avant d’une solidarité active et la création de républiques démocratiques, laïques et sociales. C’est au cours de ce processus que nous pourrons développer des organisations indépendantes et démocratiques, qui permettront à notre classe d’accroître son influence politique, d’avancer et de prendre le pouvoir.

Voilà l’esprit internationaliste écossais. La Campagne pour une indépendance radicale souhaite que cet esprit constitue un encouragement pour les partisans du socialisme en Angleterre, au Pays de Galles, en Irlande et, bien sûr, partout dans l’Union européenne. C’est pourquoi nous recherchons le soutien des membres de Left Unity, ainsi qu’un travail en commun.

Note
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En 2004, le Scottish Socialist Party (SSP : Parti socialiste écossais) avait suffisamment d’influence pour obtenir 6 élus au Parlement écossais. Le SNP reculait, à la fois en voix et en sièges. Le SSP avait alors été à l’initiative de la déclaration de Calton Hill et organisé une mobilisation populaire contre l’inauguration royale des nouveaux bâtiments du Parlement écossais, Holyrood. Si ces succès avaient perduré, la gauche aurait pu prendre la direction du mouvement pour l’autodétermination de l’Ecosse. Toujours est-il que le député le plus connu du SSP, Tommy Sheridan, a été rattrapé par un scandale qui a débouché sur un procès et qui a divisé la gauche écossaise. Cela a permis au SNP de reprendre l’initiative.

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