Édition du 23 avril 2024

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Immigration

Prise de position publique du CJF sur le projet de loi C-31 et la protection des réfugiés

Le 13 février 2012, Jason Kenney, ministre de l’Immigration du gouvernement Harper, a présenté un énième projet de loi omnibus (connu sous le nom de C-31) visant à réduire encore davantage l’accès des réfugiés à la protection du Canada. Le projet de loi est déjà rendu en 2e lecture à Ottawa. Il est donc urgent de s’y opposer.

Rappelons qu’en juin 2011, le gouvernement Harper, revigoré par sa nouvelle majorité au parlement, avait déposé un projet de loi nommé Loi visant à empêcher les passeurs d’utiliser abusivement le système d’immigration canadien. Celui-ci est mieux connu sous le nom de C-4. Le titre, à dessein ambigu, visait davantage les réfugiés que les passeurs. Le projet législatif contenait des mesures répressives sans précédent à l’encontre des personnes qui, pour arriver au Canada, ont eu recours au service des passeurs. Ce sont surtout les personnes qui fuient la persécution, particulièrement les enfants, qui pâtissent le plus de ce type de mesures.

Avec le projet de loi C-31 ces demandeurs d’asile seront soumis à une détention obligatoire minimale d’un an, sans possibilité de remettre en cause les motifs justifiant leur maintien en détention. Même si la détention ne s’applique pas obligatoirement aux enfants de moins de 16 ans, contrairement au projet de loi antérieur, la nouvelle mouture n’épargne pas leurs parents. Ce faisant, tout en étant libérés de la détention, les enfants demeureront séparés de leurs parents. Ces demandeurs d’asile seront également privés du droit d’appel en cas de décision négative et de la possibilité de recourir à la réunification familiale et de voyager pendant 5 ans, en cas de décision positive.

Les conservateurs vont plus loin sur d’autres plans. Ils ajoutent de nouvelles restrictions aux réfugiés classés dans la catégorie dite d’« étrangers désignés ». Une catégorie visant surtout les réfugiés provenant des pays jugés « sûrs et démocratiques » par les autorités canadiennes. Cependant, beaucoup de pays considérés comme « sûrs » se livrent à différentes formes d’exactions et d’abus, même de la part des agents de l’État. Pourtant, le projet de loi C-31 enlève l’obligation d’avoir un comité d’experts qui statue de façon plus autonome sur les critères qui établissent les pays « sûrs » et enlève le droit d’appel en cas de décision négative.

Pour ce faire, le projet de loi donne plus de pouvoirs discrétionnaires au ministre de Citoyenneté et Immigration. Ce dernier se réserve le droit de nommer, à sa guise, les pays d’origine désignés comme « sûrs ». L’abolition d’un mécanisme de surveillance pour les pays d’origine désignés « sûrs » transforme donc la prise de décision indépendante pour les réfugiés en geste relevant de calculs politiques ponctuels et arbitraires. Cela rendra l’actuel système décisionnel encore plus vulnérable aux intérêts partisans. Car les critères avec lesquels sont désignés les « bons » et les « mauvais » réfugiés demeurent souvent tributaires de considérations géopolitiques.

Par ailleurs, dans le projet de loi C-31, les délais pour préparer une audience devant la Commission d’immigration et du statut de réfugié (CISR) sont ramenés de 60 à 30 jours pour certains demandeurs d’asile. Un délai qui est définitivement trop court pour préparer un long dossier, amasser les preuves et qui ne tient absolument pas compte des traumatismes psychiques subis par les personnes demandant le refuge. Le système d’octroi de l’asile du Canada doit pourtant assurer une audience juste à tous

Le projet de loi C-31 revient aussi sur les concessions faites au mouvement d’opposition lors de la réforme de 2010, appelée C-11 à l’époque, alors que le gouvernement conservateur était minoritaire. Au nombre des compromis qui avaient été acceptés par les conservateurs figure l’accès à la section d’appel pour les demandeurs d’asile refusés. Les demandeurs d’asile avaient aussi conservé le droit à un sursis aux renvois pendant le contrôle judiciaire à la cour fédérale. Des gains qui sont menacés maintenant par le projet de loi actuel.

Un autre recul à relever : désormais, un changement à la situation politique dans le pays d’origine d’un réfugié donnera lieu à la perte de son statut de résident permanent et à son expulsion du Canada, et ce sans possibilité de droit d’appel. La vision sous-jacente au projet de loi C-31 est la volonté d’introduire, dans la loi, la notion de « résidence permanente conditionnelle ». Une telle mesure permettant de révoquer la résidence permanente nous semble inhumaine car elle insécurise toute une catégorie de migrants et leur enlève la possibilité de contribuer pleinement à la société canadienne. Cela s’ajoute aux nombreux obstacles à l’intégration des réfugiés et des résidents permanents réinstallés.

La juriste Idil Atak mentionnait, dans les pages du bulletin Vivre ensemble (édition automne 2011), à l’égard du projet de loi C-4 : « Si le texte est adopté, il est hautement probable que les tribunaux s’érigent contre certains dispositifs susceptibles de porter atteinte notamment au droit à l’égalité, à la liberté, à un procès juste et équitable, à la vie familiale et au principe de non-refoulement. L’incompatibilité avec la Charte canadienne des droits et des libertés de plusieurs mesures ne fait pas de doute ». Ce commentaire s’applique tout autant sinon encore davantage au projet de loi C-31.

Autant d’exemples qui doivent nous indigner et nous amener à crier haut et fort notre opposition à ce projet de loi. Au moment où nous venons de souligner, en décembre dernier, les 60 ans de la Convention de Genève, il nous semble plus que jamais le moment d’exiger du Canada qu’il s’engage à améliorer les mesures de protection des réfugiés.

Car au moment où nos autorités présentent cyniquement notre système comme permissif, il est important de rappeler que le nombre de personnes déracinées dans le monde s’élevait en 2010 à 44 millions de personnes. Le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) confirme que ce chiffre est le plus élevé des 15 dernières années. Dans plus de 80 % des cas, c’est dans les pays en voie de développement que ces personnes trouvent refuge. Cela contraste avec les images et les discours brandis pas nos décideurs.

Élisabeth Garant

Directrice générale du secteur Vivre ensemble du Centre justice et foi

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